Écoute et empathie

par Dre Papillon

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À la lecture du billet de Neige, je ne peux m’empêcher quelques réflexions.

Certes, dans un lointain passé, les médecins écoutaient beaucoup plus les malades. Mais il faut voir que la médecine de cette époque avait bien peu à voir avec celle d’aujourd’hui, en ce sens qu’elle ne comprenait même pas le fonctionnement du corps humain (connaissance qui nous apparaît maintenant bien minimale) et savait encore moins traiter les pathologies (appliquant des remèdes à tout va sans se questionner sur leur pertinence). Alors mise à part l’écoute, qui a en soi un effet positif, la médecine ne pouvait pas s’appuyer sur grand-chose de concret.

Le développement de la médecine et l’écoute du patient ont suivi une évolution inversement proportionnelle. En effet, avec l’élévation des connaissances, il s’avérait que la médecine devait être objective pour être la plus efficace. D’où les questions fermées des médecins, qui ne voulaient pas se faire embrouiller par les termes personnels des patients et leurs impressions diverses et variées. La passivité était de mise.

Cette méthode n’a pas que des torts. C’est grâce à elle que la santé humaine a fait un bond si prodigieux en si peu de temps, que les femmes ont pu connaître la ménopause [avant, elles mouraient trop tôt], etc. (Je sais, je simplifie ; il ne faut pas oublier l’impact non négligeable des améliorations découlant de l’alimentation, de l’hygiène et de diverses mesures de santé publique…) La médecine est devenue véritablement une science efficace, se basant sur des faits probants (evidence-based medicine). Ce n’est pas rien !

Maintenant que la médecine a un si grand contenu et tant de champs d’application faisant même appel à la technologie, on peut se questionner sur le bien-fondé des méthodes d’entrevue usitées en cabinet médical. La recherche en communications nous apprend que les patients sont insatisfaits, qu’ils ne comprennent pas les explications des médecins, qu’ils n’écoutent pas leurs recommandations ni ne suivent leurs traitements, et qu’en réalité ils n’arrivent même pas à se mettre d’accord avec leur médecin sur leur principale raison de consulter…

Devant de tels constats, l’entrevue a commencé à évoluer. On nous apprend maintenant qu’il faut commencer par une question ouverte (“Qu’est-ce que je peux faire pour vous aider aujourd’hui, Mme X ?”), puis qu’il ne faut pas interrompre le patient avant qu’il ait terminé. Qu’il faut alors l’écouter attentivement, faciliter la poursuite de son récit, sans penser à la prochaine question ; ne pas faire de fixation sur un problème en particulier, ne pas déjà demander de précisions (sous peine de provoquer un blocage et un passage en mode passif).

On doit ensuite régulièrement s’assurer que le patient ne voulait pas aborder autre chose avec nous, ainsi que résumer ce qu’il nous dit pour vérifier notre bonne compréhension, notre longueur d’onde commune. On insiste sur le fait qu’il faut être attentif au non-verbal et aux émotions, s’enquérir des inquiétudes, peurs, désagréments et attentes du patient envers sa maladie. Que le modèle explicatif du malade envers son problème n’est pas superflu, mais bien essentiel et qu’il faut le rechercher activement. Qu’il faut inclure la dimension psychosociale dans l’analyse de la situation. Qu’il faut dès le début établir un agenda en accord avec le patient sur le déroulement de la séance et les points à traiter ensemble. Qu’il faut ponctuer la rencontre de locutions de liaison pour que le patient sache à chaque instant ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons.

C’est ainsi qu’au lieu de demander “la douleur vous brûle-t-elle ou vous écrase-t-elle”, on demande maintenant “décrivez-moi ce que vous ressentez“… Et ce sont bel et bien les mots du patient qu’il est maintenant essentiel de retenir, qui importent.

C’est en se basant sur cette alliance thérapeutique entre le médecin et son patient qu’on peut espérer réaliser une intervention réellement personnalisée et satisfaisante. Des explications adaptées au niveau de la personne s’ensuivent, adaptées aussi à ses préoccupations par rapport au problème (certains veulent surtout comprendre, d’autres s’intéressent plutôt au pronostic…). Un patient en confiance, qui comprend ce qu’on lui explique, le retient mieux, se sent par la suite plus rassuré et calme, moins souffrant ; il guérit mieux et plus vite. Et l’observance des prescriptions s’en trouve largement améliorée.

Peut-être suffit-il d’aller voir de jeunes médecins pour observer cette différence ? Mon moniteur de médecine clinique est un chirurgien (et dieu seul sait que ces spécialistes ne sont pas réputés pour leurs habiletés communicationnelles…) qui a été apprêté à la sauce de ces nouvelles réformes. Vous devriez voir la douceur et l’attention avec laquelle il s’adresse aux malades…

Concernant le billet sur le cancer (désolée pour ton amie, ça n’a pas dû être facile…), il m’a semblé y lire une simple application de la justice proportionnelle nécessaire dû au fait de la restriction des ressources. Je ne parle même pas du manque d’argent/d’infirmières, mais bien du manque de matière première : les organes disponibles pour transplantation. La situation décrite me semble empreinte de douceur et de bon sens. Sans compter qu’il y a aussi ici des considérations de l’ordre de l’archanement thérapeutique (qui ne peut être exigé par la famille et le malade)… On est loin de certaines considérations inhumaines, purement économique, comparant le coût des soins aux sidéens par rapport à une absence de soins que j’ai déjà eu l’horreur de lire !

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