Demi-singe de février (part 2)

par Hoedic

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Suite du premier épisode

Finalement, nous passons les hauts-fonds de trafalgar sans encombre, bien que la mer y était effectivement plus formée. Finalement, profitant que la côte s’éloigne un peu et que les vents perdent en vigueur, nous virons pour dégager le génois que nous enroulons à moitié pour le reste du trajet qui doit nous amener à Lagos. Vagues et vents sont stables, mais on ne peut pas parler de conditions faciles. Toutefois, à cette vitesse, nous rejoindrons notre étape de mi-parcours en 24h au lieu des 48 initialement prévues. Le soleil se couche, je fais de même après toutes ces émotions.

Puis vient mon quart. À une heure du matin, la mer est toujours formée, la nuit empêche d’anticiper les vagues qui arrivent par derrière sans prévenir et viennent lécher l’arrière du cockpit. Avant d’aller se coucher, mon père me donne le grand couteau de plongée que nous utilisons, très coupant, et me montre l’annexe suspendue aux bossoirs, deux bras à l’arrière de la coque permettant de mettre en l’air, deux mètres au-dessus de l’eau, de notre petit zodiac et de l’amener à l’eau facilement. Si une vague venait à déferler dans l’annexe, ça pourrait arracher les bossoirs et créer une importante voie d’eau. Le couteau, c’est pour couper les bouts qui retiennent l’annexe, le cas échéant. Gloups.

Impossible de compter sur Otto, le pilote automatique, il est incapable de gérer ses conditions, quatre heures à négocier avec une barre molle. Pas de grands exploits à raconter, et c’est pourtant à mes yeux le point culminant de ce voyage, ces quatre heures de quart, seul avec moi-même, seul avec la mer. Chaque instant était un moment de conscience extrême, chaque instant avait son importance, chaque geste, sa raison d’être.

Une petite anecdote malgré tout : toute cette eau, autour de moi, tous ces événements durant lesquels je n’avais pas eu le temps d’alléger ma vessie ; il a bien fallu y aller à un moment et il se trouve que c’est durant mon quart que c’est devenu insoutenable. Je n’allait réveiller mon père juste pour pisser. La première étape consiste donc à mettre le pilote automatique et voir s’il est capable de tenir 1 minute sans faire n’importe quoi. Une fois que ça marche, il faut s’approcher du bord puis se mettre à genoux en s’appuyant contre le bastingage arrière, au bord de ce néant dont on ne voit rien, sauf parfois l’eau à la limite de toucher les genoux (on est attaché quand même, il n’y a pas de danger de finir à l’eau). Ensuite, il faut relaxer… parce que sinon ça sort pas !

C’est avec un soulagement non dissimulé que je me suis fait remplacer à la barre. Au réveil, le même magnifique ciel bleu, toujours les vagues, toujours le vent et nous sommes effectivement en passe de rejoindre Lagos en 24h. Je m’affère à ranger l’intérieur, à m’assurer qu’il n’y a pas trop de dégâts puis je distingue dans le ciel un changement de ton, à y regarder de plus près ce n’est pas du bleu devant nous mais du gris ; en fait en quelques kilomètres, tout change. En l’espace d’une heure, le vent fait 180° et s’oppose désormais à notre avancée. Depuis Gibraltar, le bateau le laissait doucement bercé par des vagues portantes qui désormais nous frappent violemment de face. Jamais vu un tel changement de régime aussi rapide.

Nous arrivons finalement à Lagos, dernier port de la côte sud du Portugal, un peu plus loin, la pointe de Saint-Vincent et la côte oblique vers l’ouest. À Lagos un ami de mon père nous rejoint, nous serons désormais trois à bord, les quarts seront plus faciles. Profitant du port, nous regardons comment mettre le tourmentin, une voile d’avant, grande comme un mouchoir de poche, qui a vocation à remplacer le génois par lors de coup de vent. Rien qu’avec son nom, nous espérons ne jamais avoir à l’utiliser.

Nous quittons Lagos de nouveau sous le soleil, la pointe de Saint-Vincent approche, c’est étonnant de se dire qu’en quelques instants, sur un simple mouvement de barre, nous allons passer d’une direction ouest à une direction nord de manière définitive. Voir cette pointe nous permet de nous placer très exactement sur une mappemonde au détail pourtant très relatif. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprise : au niveau de la pointe, la mer change, elle passe de plate à ridée, ça souffle plus de l’autre coté. On décide de continuer, une mauvaise décision a posteriori. On se retrouve à devoir enfiler le tourmentin… en pleine tourmente.

Les deux jours qui suivirent furent très éprouvants. Du vent fort, une mer démontée et le tout nous arrive de face. À chaque vague la proue du bateau s’élève dans les airs pour retomber violemment, faisant vibrer le mat et les haubans par la force de la secousse. Notre troisième co-équipier supporte mal les conditions et choppe un mal de mer en bonne et due forme. Les quarts sont harassants. Il faut constamment lutter avec la barre. De plus, après chaque vague, quand la proue s’enfonce dans l’océan, une gigantesque gerbe d’eau froide et salée passe par dessus le bateau et vient s’écraser irrémédiablement sur le cockpit. Des quantités d’eau tellement importantes qu’à chaque fois, les épaules ploient sous cette masse liquide. Pire que tout pour le moral, nous n’avons pas. Dans ces conditions, bien qu’essayant de remonter le vent au mieux, nous avançons en crabe.

Finalement, nous décidons de faire une pause, histoire de reprendre nos esprits. Direction Lisbonne, nous mouillons finalement à Cascais, non loin d’Estoril, réputée pour son grand prix. C’est une petite ville côtière charmante, très typique. Nous pouvons acheter du bon poisson que nous préparons en papillotes avec des herbes. D’autres plaisanciers se sont abrités dans la baie, nous échangeons avec eux, plusieurs viennent en godillant jusqu’à nous, pour nous proposer de souper avec eux ou de déguster un porto local avec des olives. L’un d’eux nos raconte comment il a percuté un cargo avec son 6 mètres, le bateau est en sale état, c’est surtout un miracle qu’il n’ai pas coulé.

Au bout de deux jours, nous tentons un nouveau départ, mais nous devons battre en retraite au bout de quelques heures, impossible d’avancer. De nouveau au port, nous nous renseignons et apprenons que ce temps peut perdurer pendant des semaines. Pas le choix, nous devons y aller. Nouveau départ le lendemain, nous décidons de nous éloigner des terres rapidement au lieu de chercher à prendre un cap nord immédiatement. Sage décision, les conditions sont un peu meilleures, et une dépression arrivant de l’ouest fait changer les vents qui par la suite nous sont plus favorables.

Ce n’est pas pour le meilleur cependant : cette dépression est accompagnée d’orages et les précipitation dans les grains sont tellement violentes qu’on les voit sur le radar. Nous échappons à plusieurs d’entre eux mais finissons par en prendre un de plein fouet. Le vent vient de partout et finalement amène la grand voile à empanner. Le chariot d’écoute de grand voile explose littéralement sous le choc. Après le grain qui n’a duré que quelques instants, nous récupérons la voile qui n’est désormais plus tenue que par le mât, il nous faut trouver un port pour réparer. Mieux vaut maintenant que plus tard, nous étions sur le point d’entrer dans le Golfe de Gascogne. Opération McGyver dans un port de la pointe nord-ouest de l’Espagne : bricoler de quoi remonter le chariot, il faut trouver des vis pour remplacer celles qui ont été sectionnées net, refaire les tarauds. En quelques heures c’est fait et nous repartons.

La traversée du Golfe de Gascogne se fait en 2 jours, sur les chapeaux de roue, au portant. Enfin, Belle-île-en-mer en est vue. Nous espérons arriver avant la nuit, mais le vent, encore une fois, s’oppose à notre volonté, de vrais Ulysse. Nous arrivons, finalement à 2 heures du matin. Ouf !

Le voyage aura duré en tout 2 semaines. Quelques jours après notre retour, mon père contact la station météo de Gibraltar et cette dernière lui annonce qu’en ce 21 juillet 1995, il n’y avait pas plus de 10 noeuds de vent !

En petit bonus, un site avec des belles photos : gréements.com

Certains, comme Édouard, semblent croire que ce fut une expérience horrible, pourtant je meurs d’envie de naviguer de nouveau. Ce fut pour moi une expérience de vie sans pareil. Sur un bateau, la vie n’est plus la même !

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