Mon père

par Dre Papillon

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Je ne vois pas mon père très souvent, même depuis mon retour au Québec. Faut dire : j’habite Montréal, lui Joliette (enfin dans ce coin-là), et je ne vais jamais chez lui.

Tout au plus vais-je chez ma mère, en banlieue, toutes les quelques semaines, histoire de les voir, elle et mon frérot. Et parfois le hasard fait que c’est aussi cette fois-là que, mensuellement, mon frère se trouve à dîner avec notre père. Alors moi, j’y vais quand ça m’adonne, point final. Comme demain, par exemple.

Parce qu’aller chez ma mère, ça demande de faire un petit bagage, puis de le défaire. Ça demande qu’elle vienne me chercher et me reconduire, parce que je suis chargée - et elle a une santé fragile, donc ça la fatigue. Ça fait que je ne travaille pas bien, là-bas, il me manque des livres et des dicos, l’ordi est trop lent, etc. Bref, je n’y vais pas n’importe quand n’importe comment, je choisis les moments où c’est moins stressant, où j’ai besoin d’y aller. Pas avant les examens. Pas deux semaines d’affilées. Pas si je garde un enfant ou si je sors avec des amis ce week-end-là. Beaucoup d’impératifs à respecter, donc - et les quelques jours de préavis de mon père ne me permettent pas de chambouler mes plans.

Évidemment, il ne comprend rien à tout cela. La seule chose qu’il voit, c’est que souvent, je refuse son invitation. Et il s’en insulte.

Ce n’est pas la seule chose qu’il ne comprend pas. Si ce n’était que ça… Non, en plus, à chaque fois que je le vois, il en profite pour dire des bêtises sur ce que je fais.

Quand j’ai eu le bac français, j’ai pris le temps de lui expliquer un peu. Là-bas, les notes sont plus basses, c’est plus sévère ; pour passer, il suffit d’avoir 10/20, pas 60% comme ici, etc. Il ne faut surtout pas faire la règle de trois, ça ne marche pas. Et ensuite seulement, je lui ai donné ma moyenne. Lui de s’empresser de répondre, avec un air entendu, “Bah, ça fait (juste) 80%…”.

Puis j’ai été admise en médecine. Et lui de me faire un beau discours sur le fait que la médecine, on sait bien, c’est rien que du par coeur, il suffit d’avoir un “gros disque dur”. (Sous-entendu : pas comme lui, hein, qui est ingénieur, attention… Ingénieur en quoi déjà ? Géologie ? Si c’est pas du par coeur, ça aussi… Mais je ne suis pas entrée dans son jeu.) Et puis des médecins, il y en a peut-être seulement une dizaine de bons au Québec, tous les autres sont des abrutis et des fourreurs qui ne font ça que pour l’argent. C’est rien que de la politique, c’est bien connu.

J’aimerais bien le voir apprendre mes livres de médecine. Peut-être que la mémoire pourrait suffire, mais personnellement, je n’en ai pas assez. J’ai besoin de comprendre en plus, pour apprendre.

Et puis, j’aimerais aussi le voir devant un patient qui lui dirait : “Dr., j’feele pô”. Depuis quand ? “Ça fâ une secouss’…”. Le “par coeur” ne suffit pas, devant une personne qui souffre. Il faut aussi savoir écouter, observer, communiquer, s’adapter, examiner, faire des liens, analyser, raisonner, juger, déduire… Le savoir emmagasiné n’est que le substrat à toutes ces opérations mentales.

Une autre fois, j’ai eu droit à la description détaillée d’un bobo dont souffrait sa… “blonde”. Et lui de nous expliquer que tel médecin avait prescrit tel médicament contre ce bobo. Et de rajouter que, oh là là, ça n’a pas de sens, on ne prescrit pas cet antibiotique dans un cas comme ça ! Quel con ce médecin ! Hahaha !!! (Mais euh, qu’est-ce qu’il en sait au fait mon père, des indications des antibiotiques, de leur spectre ? Ça fait deux ans qu’on essaie de me l’expliquer et j’ai encore un mal fou… Alors qui est-il pour juger comme ça d’un acte médical, de le ridiculiser, pour faire le paon ?)

Il ne manque pas une occasion de cracher sur la profession médicale, de l’écraser du pied comme un insecte indésirable.

J’ai aussi pris la peine de lui expliquer, plusieurs fois, que pour ces deux années en cours, je n’ai plus tellement de cours magistraux, qu’à la place, j’apprends par la méthode APP - explications et exemples à l’appui. Et que je passe aussi une journée par semaine à l’hôpital. Eh bien au téléphone, la dernière fois, il n’a rien trouvé de mieux à me dire que “Ah bon ? Je croyais que tu n’allais plus en cours…” (sous-entendu : que je ne fais rien de mes semaines ?). J’ai peu de cours théoriques, certes, mais j’ai encore et toujours des cours bien denses, d’ailleurs je viens de finir la neuro et j’entame la psychiatrie lundi…

Comprenons-nous bien : je m’en fous qu’il haïsse les médecins. Ce qui me gêne, c’est son absence totale d’intérêt et d’écoute (alors qu’il fait semblant de se soucier de nous et de nous encourager). Je serais en secondaire V professionnel pour devenir coiffeuse, il dirait plein de niaiseries sur les coiffeuses, et je serais aussi rouge de colère…

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