La possibilité d'une île

par Hoedic

Lecture: ~6 minutes

Plus encore que ses autres romans, le dernier opus de Michel Houellebecq, profitant d’une campagne de marketing hors norme, a provoqué de nombreuses polémiques à sa sortie. J’étais un peu sceptique sur l’utilisation du clonage ainsi que la place laissée aux sectes, mais ces éléments sont finalement de second plan (bien qu’effectivement moyennement abordés).

En bout de ligne, je trouve que c’est un livre riche, riche pour les raisonnances qu’il a provoqué en moi et ce que je livre ici est le résultat de ma lecture, aussi éloigné que possible du cas Houellebecq(Une bonne partie des critiques que j’ai pu lire étaient extrêmement agressives, directement tournées vers l’auteur).

Difficile de ne pas donner une partie de l’intrigue en faisant une critique un minimum poussée, je vous conseille de ne pas continuer si vous comptez lire ce roman prochainement ;)

La possibilité d’une île est avant tout dans la ligne des Particules Élémentaires, un peu trop dans une certaine mesure (on souhaiterait un peu plus de variété) tout en creusant certains aspects comme la vieillesse, la décrépitude humaine et surtout la prédominance des jeunes dans les sociétés occidentales.

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Un pas de plus / On step further

La structure narrative est l’histoire de Daniel, un personnage ressemblant bien à son auteur, entre-coupés du récit du clone de Daniel, plusieurs centenaires, plus tard. Daniel est un comique à succès, riche, passablement obsédé sexuel (mais pas tant que ça finalement), cynique, provocateur, utilisant les mêmes techniques de marketing que Houellebecq pour commercialiser son livre.

Daniel évolue dans une société hypersexualisée et utilise notamment ça dans ses spectacles en se plaçant facilement du coté des jeunes. Mais c’est un presque quinqua et finit par se rendre compte qu’il est lui-même victime de cette société ; il sera rapidement un vieux rebus dont personne ne veut et sombre peu à peu dans une apathie aigrie en prenant le coté des vieux. Conscient de sa situation, de ses obsessions, de la société, il n’arrive pourtant pas à dépasser sa situation.

Toutefois ce roman n’est pas aussi sombre et négatif qu’il peut y paraître et le titre en donne une idée. Je dirais même qu’il s’agit d’une fable moderne sur l’amour. Malgré sa propension évidente à la tristesse (une disposition consubstantielle générale humaine), Daniel accède à quelques moments de bonheur ; il connaitra l’amour par deux fois, des périodes qui selon lui font que la vie mérite d’être vécue. Il finit même par avouer qu’il avait surestimé son cynisme et son désespoir face à l’amour.

"Chacun d'entre nous a beau avoir une certaine capacité de résistance, on finit tous par mourir d'amour, ou plutôt d'absence d'amour, c'est au bout du compte inéluctablement mortel."
"...mais je continuais quand même au fond de moi, et contre toute évidence, à croire en l'amour"

Mais en jouant contre la société, en brisant ce qu’il estime être le dernier tabou, celui de vieillesse face à la jeunesse, en tombant amoureux d’une jeune fille refusant les attaches, il s’est lui-même condamné.

Cette société centrée sur la jeunesse, fille des soixante-huitards refuse en fin de compte de vivre ce qu’ont vécues les générations précédente en se sacrifiant pour la suivante. C’est dans ce contexte qu’entre en jeu la secte Elohim, directement inspirée des raéliens et proposant la jeunesse éternelle grâce au clonage et à une forme de transfert de personnalité, atteignant une vaste population en jouant sur l’individualisme avec, par exemple, la campagne “ChildFree” qui incite à concentrer sur soi plutôt qu’avoir des enfants.

Cette génération de jouisseurs donnera elle-même naissance, bien plus tard, à une civilisation morne, presque morte, qui, poussant jusqu’au bout son voeu de jeunesse, d’immortalité et de non-souffrante deviendra complètement isolée, dénuée de tout sentiment, comme le dit le clone-descendant de Daniel, neutre.

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La Désirade seen from la Pointe des Chateaux, Guadeloupe


Une île plus que possible

Contrairement à ce que j’ai pu lire, ce livre n’ai pas une apologie des Raéliens. La secte n’est qu’un moyen à l’image de la société selon Houellebecq et dont le positionnement stratégique correspond aux besoins. Après des centenaires d’évolution, le descendant de Daniel semble percevoir le cul-de-sac et bien qu’incapable de sentiments, fini par préressentir quelque chose et comprend, peut-être, que la vie humaine du passé, aussi misérable fut-elle, méritait peut-être d’être vécu pour ses quelques moments de joie.

Tout comme Plateforme, publié début Septembre 2001, se finissait sur un attentat d’extrêmistes musulmans, La possibilité d’une île se place pleinement dans son temps, le temps des sofa party à 12 ans, alors que les adultes ne veulent plus d’enfants (particulièrement évident au Québec), des parents qui veulent être les amis de leurs enfants, possiblement pour rester eux-mêmes des ados(Personnellement je trouve ces sujets médiatisés à l’excès, mais il est attrayant de voir ces excès mis en contexte). Un livre, qui bien que biaisé par le profil pessimiste de Houellebecq, mériterait d’être relu d’ici 20 à 30 ans pour voir s’il visait juste.

En bout de ligne La possibilité d’une île est un livre qui se lit très bien, l’intrigue est bien ficelée, le style fidèle à lui-même (on aime ou non). On s’étonne de certains détails comme la relative pauvreté de l’univers du futur, mais de la même manière que la secte, ce n’est qu’une toile de fond utile pour disposer le message voulu mais qui laisse malgré sur sa faim. De nombreux sujets abordés qui portent à réflexion et, à mes yeux, une morale de la fable plus positive que le ton global, comme l’indique le titre, la possibilité d’une île au milieu de ce qui semble un océan de desespoir.

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