La ville ou la banlieue ?

par Dre Papillon

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On demande toujours l’avis des adultes quand on réfléchit au choix de lieu de vie, et jamais celui des enfants. Ou alors, on fait passer sur leur dos le fameux choix de la maison en banlieue. Pourtant…

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Je suis née à Rouyn-Noranda, en Abitibi. Par la suite, j’ai vécu alternativement à Rouyn et à Val-d’Or, au gré des pertes d’emploi du paternel. La vie en région était très adaptée à l’enfant que j’étais, enfin, je n’ai rien à en redire. Les maisons y avaient de grands terrains non clôturés parfaits pour jouer avec tous les amis du quartier. Notre “voisin” arrière était un grand bois non aménagé, type forêt avec roches volcaniques. Très amusante ère de jeu, et on pouvait y cueillir en été les fameux petits bleuets de l’Abitibi pour en faire des tartes délicieuses. Les grandes pelletées de neige de l’hiver ne sont que pur bonheur quand on a moins de 10 ans.

Je ne suis jamais retournée là-bas depuis mon départ. Je me demande souvent comment c’est maintenant. Chose certaine, de temps en temps, je m’occupe de patients qui proviennent des régions éloignées de notre belle province, et je suis toujours renversée par leur humanité, leur grandeur d’âme, leur gentillesse infinie, tout simplement. Et ce, même quand on les traite de façon honteuse parce qu’on trouve qu’ils n’auraient pas dû venir…

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(Certes, il ne faut pas trop généraliser, et c’est aussi en Abitibi que ma mère s’est fait le plus martyriser dans le monde du travail… Se faire imposer de voyager Rouyn-Val d’Or matin et soir en plein mois de janvier dans le noir et sur les routes verglacées quand on a un bébé de 3 mois et une fillette de 2 ans qui attendent à la maison, ça bousille une santé humaine de façon indélébile, garanti…)

J’ai ensuite vécu l’époque de l’éveil de la conscience et l’adolescence en banlieue nord-est de Montréal, une ville dortoir sans centre-ville, sans attraction, sans lieu de culture sauf la bibliothèque dont j’ai usé à outrance. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours trouvé la mentalité de banlieue très fermée sur le monde, comme s’il y manquait quelque chose. Dans des magasins tous pareils et sans choix, j’avais du mal à trouver chaussure à mon pied, me croyant du coup complètement difforme et anormale. Jusqu’au jour où j’ai découvert la diversité et le choix, en ville… C’est comme ça que Wal-Mart devient roi : là-bas, on trouve de tout pour pas cher, même si ça brise au bout de deux semaines.

J’y ai aussi découvert le snobisme. Quand j’allais chez des amis, leurs parents (et les enfants aussi !) remarquaient la marque de mes vêtements, ou plutôt l’absence de marque. Avant ce jour, je ne savais pas que les vêtements pouvaient avoir une marque ni que ça avait la moindre importance…

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Delicate iris versicolor

J’allais à la première école accessible de l’île de Montréal. Il y avait des noirs et des Italiens, et je trouvais ça vraiment très incroyable. Je pensais que toutes les petites filles asiatiques étaient toujours des enfants adoptées. Je me sentais un peu prisonnière de vivre dans une banlieue où tous les déplacements se font en voiture et où même les amis habitent trop loin.

Mes parents devaient se lever outrageusement tôt le matin, et rentraient bien tard le soir, devant se taper les longues distances de route dans le trafic monstre de la transhumance quotidienne. Je pense pouvoir affirmer que j’aurais nettement préféré voir ma mère deux heures de plus par jour et vivre en appartement que d’habiter dans une grande maison mais passer ma vie dans divers services de garde.

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Sunny flowers ! :)

Plus tard, j’ai aussi vécu une année à Paris et trouvé l’expérience difficile, un peu asphyxiante. Le rythme de vie effrené ne permet pas de profiter de la ville comme quand on y passe en vacances l’été. Tout ce qui reste au quotidien, c’est un logement exigu, des rues étroites et sans soleil bordées d’immeubles trop hauts. Oppressant. Un manque flagrant d’espaces verts et de verdure en général. Des places publiques et des lieux de vie tellement civilisés que même de fouler les pelouses y est interdit, encore plus de s’y allonger. Sans oublier la peur sourde au ventre lorsque l’on se trouve par mégarde en certains lieux, à certaines heures…

Nous habitons maintenant Montréal et je trouve que c’est le meilleur des mondes. La multiculturalité et l’ouverture au monde y sont inspirantes, la vie artistique et culturelle y est intéressante, ça bouge, c’est vivant, il se passe toujours quelque chose. L’architecture y est hétéroclite, il y en a pour tous les goûts ; même la laideur parsemée participe à la beauté globale et troublante de la ville. Une beauté mitigée, qui n’apparaît pas au touriste du premier coup d’oeil comme d’autres villes pimpantes du monde, mais qu’il faut découvrir petit à petit, apprivoiser.

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Curious (stupid ?) squirrel

La qualité de vie y est bonne. La taille des logements est raisonnable et il y a plein d’arbres et de parcs. J’ai plaisir à me déplacer en vélo l’été, à me sentir libre, sans me trouver excessivement en danger de le faire (mais un peu quand même, entre les nids-de-poule ;). Dans notre quartier, il y a partout des fleurs comme je n’en ai jamais vues, et je reste sans mots devant tant de beauté. Quel don de joie et de partage de la part de tous ces citoyens qui prennent la peine et le temps d’entretenir leur petit bout de terre, leur bac ou leur coin de ruelle, pour le plus grand émerveillement des passants, pour l’harmonie du tout, gratuitement.

Moi qui, venant de l’Abitibi puis de la banlieue, croyais qu’il n’existait que les épinettes et les géraniums orange sur terre ! Me voilà bien déboussolée !

Finalement, je trouve la vie en ville moins froide, moins indifférente et moins égoïste que celle en banlieue, quoi qu’on en dise. Un quartier, c’est comme un village à l’intérieur la ville, il existe un véritable savoir vivre ensemble. Si si !

Je peux comprendre que des adultes finissent par choisir la vie en banlieue, après avoir connu l’excitation et la frénésie de la vie en ville. Ça ne leur enlève rien. (Enfin, la seule chose que je ne comprends pas, c’est qu’on puisse choisir sciemment de passer autant de temps dans une voiture pour aller travailler au lieu de vivre un peu plus…) Mais ce n’est pas du tout la même chose que de découvrir la vie pour la première fois de ce point de vue sur le monde un peu atténué, assourdi et lointain.

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My hand with those delicate flowers

Si un jour nous avons des enfants, j’aimerais qu’ils grandissent en ville, comme mon Parisien de mari (qui n’en est pas traumatisé pour autant ;)). J’aimerais qu’ils côtoient toutes sortes d’autres enfants, pas juste des copies d’eux-mêmes. J’aimerais qu’ils apprennent à appréhender le monde comme il est réellement, avec tout son bruit, sa cohue, ses dangers, sa vie, sa diversité.

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