Farandole médiatique

par Hoedic

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Mercredi 13 septembre 2006, un jeune homme est entré dans un collège pré-universitaire de Montréal armé de 3 armes à feu pour tuer. Hormis l’auteur, tué par les policiers, il y a à ce jour un décès, 2 ou 3 personnes état grave et une quizaine de blessés au total.

Une heure après le début de la fusillade, les sites de nouvelles, les blogs, tout ce qu’Internet compte de sites québécois un minimum réactifs est rentré en ébulition. Immédiatement, les sites de référence (Radio-Canada, Canoé, Cyberpresse) ont montré des signes de faiblesse, preuve qu’ils n’ont pas appris du 11 septembre 2001 où la majorité des sites de référence de l’époque étaient devenus inaccessibles.

Dans le même temps, les hypothèses fusaient : 1 suspect, 2, 3 peut-être. À Dawson, dans un centre commercial, dans un autre Cegep, dans le métro, dans un centre commercial. Blond, ou non, visiblement armé ou non, sri lankais, indien, blanc, who knows ? Certains blogues relayaient aussi vite que possible des informations dont certaines étaient erronées.

Dans quel intérêt d’ailleurs ? Quel est l’intérêt de relayer des informations clairement hypothétiques ? Qu’est-ce que ça peut bien changer pour ceux qui, proches ou non des possibles victimes, sont et doivent rester en dehors de l’action ?

Moins de deux heures après les faits, Cyberpresse a déjà déterré son dossier sur la fusillade de Polytechnique (Montréal) ainsi que celui concernant Columbine, parce que les morts tragiques ne peuvent jamais se reposer tranquilles.

L’information est une drogue à accoutumance, c’est un fait connu. Et comme l’alcool, la cigarette, des entreprises font leur vie dessus, et plus c’est fort, meilleur c’est. Comme l’indiquait Éric le matin même de la fusillade, les sites d’information n’hésitent pas à utiliser la mort pour attirer le traffic. Inutile de dire ce que peut représenter un événement comme une fusillade pour un site d’information. D’ailleurs, les difficultés d’accès à ces sites le montre bien.

Les diffuseurs de contenus quelqu’ils soient enchérissent sur les appels à témoin, tout est prêt : lignes téléphoniques, journalistes attentifs, SRC créant pour l’occasion l’adresse fusillade@radio-canada.ca, quel bon goût. Blogueurs, professionnels ou non, relayent encore l’information, pour ajouter aux images, les témoignages d’horreur. Patrick Lagacé se défend : tous les médias font ainsi. Quand j’étais petit, quand je faisais une connerie en suivant le troupeau, ma mère me disait “Si tout le monde se jette du haut d’une tour, est-ce que tu feras pareil ?”.

Et dans un élan général, chacun entre dans une transe de peur, accroché à la télé, à la radio, à Internet et avale jusqu’à la nausée des clichés qui ne changent en rien les événements. Mais le lendemain, chacun va s’empresser de regarder d’un air craintif celui qui parle tout seul, celui qui est un louche, l’exclu en fait, celui qu’il faudrait aider.

Les médias excellent dans la création de scenario et de symbole. Le fou en noir qui s’acharne sur la princesse en rose, le casting est trop parfait pour ne pas en faire une histoire.

Et dans le même temps, ce déchainement médiatique donne raison au tueur. Il était exclu, voulait mourir glorieusement, il voulait une reconnaissance qu’il n’a jamais eu de son vivant et la couverture médiatique lui a donné ce qu’il voulait.

Oh non, bien entendu, on ne veut pas encourager les autres à faire pareil en faisant un tapage du tonnerre autour, on veut juste informer !

Bientôt, nous verrons des personnes, loin de l’action, présenter des symptômes post-traumatiques tellement, devant leur téléviseur les mettaient proches de l’action. Nous pouvons enfin espérer devenir une génération de traumatisés, psychotiques en puissance, agressés de partout et vivant dans l’effroi et le délire de chaque événement mortel à travers le monde.

Chaque événement ? Non bien entendu. 400 suicides par an chez le 15-34 ans au Québec. Quelle couverture ? Et le gouvernement va-t-il indemniser, comme il va le faire pour la famille de la victime, les piétons et cyclistes renversés par un connard pressé ou un alcoolique au volant ? Il semble préférable de mourir au main d’un fou sanguinaire !

Par ailleurs cette recherche d’information est aussi une machine à pointer du doigt. 12 heures après les événements, le nom du tueur est diffusé, bientôt connu de tous. Inutile d’expliquer la situation inconfortable, impossible, des proches et de la famille qui auront besoin d’un support pour ne pas sombrer mais qui risquent plutôt d’être regardés de travers, voire accusés. Des hordes de journalistes se sont rués chez la famille au point de demander l’aide de la police.

Le plus choquant c’est que ceux qui ont décidé de relativiser la situation ont été considérés comme indignes. Ainsi, le service public a décidé de couper sa couverture en fin d’après-midi pour reprendre sa grille normale. Grand mal lui a pris, au point qu’une chroniqueuse mal embouchée a pondu un “Pauvre Radio-Canada !” pour fustiger ce comportement. Il faut couvrir le sujet, il faut faire durer des heures même s’il n’y a plus rien à dire, il faut que ce soit traité avec importance.

Un jour, il faudra faire la différence entre communication d’urgence et information. La communication d’urgence (visiblement lacunaire) concerne un nombre limité de personnes qui ont besoin d’une information crédible car directement impliquées (pour le cas présent, ça peut concerner les parents d’élèves, donc certains ont appris bien tard dans la journée que leurs enfants étaient blessés… voire mort). Les medias se croient visiblement investis d’un devoir de communication d’urgence… sauf qu’ils racontent n’importe quoi pour des raisons évidentes : les sources sont le tout venant. À confondre les genres, c’est le bordel.

Alors, face à ce bordel, je choisis le recul. J’ai choisi, ce jour-là, de ne pas rester rivé à la TV, à la radio ou Internet.

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