Le mal-être généralisé

par Dre Papillon

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Mon envie d’écrire se dissipe, petit à petit, surtout quand il s’agit de sujets personnels. Une certaine envie de protéger mon intimité que je n’avais pas avant.

Je suis actuellement dans mon stage de psychiatrie. En fait, ça fait déjà un bon moment que j’y suis, puisqu’il achève même. Je l’avais placé stratégiquement à la dernière période raisonnable où il est encore possible de le considérer comme choix de carrière. (Après, ça commence à être trop tard…) Juste au cas où j’aurais un coup de coeur, où je voudrais finalement m’orienter vers ça.

Eh bien, ce n’est pas exactement ce qui se produit, mais pas loin. En fait avec moi, rien n’est jamais si clair. Je n’ai jamais d’illumination, de révélation. J’ai toujours des doutes intenses, des hésitations sans fin.

Un instant j’ai envie d’appliquer en psychiatrie en premier choix. L’instant d’après, je n’ai plus envie d’appliquer du tout. Et on applique ce raisonnement aux quatre programmes de spécialité dans lesquels j’ai envie - ou non - d’appliquer. Inutile de vous décrire davantage le casse-tête dans mon esprit.

Oui, j’ai fait des tableaux avec les pour et les contre de chacun. Mais malgré tout, je ne suis pas en mesure de peser le poids de chaque liste, de chaque argument. Ce sont des valeurs tellement divergentes, pour ne pas dire irréconciliables. Certains des aspects sont même quasi impossibles à évaluer maintenant (la pratique définitive dans chaque spécialité, le mode de vie qui l’accompagne…).

Bref, je ne vais pas vous étaler davantage ma vie dans le menu détail.

Mais revenons à la psychiatrie. Je fais mon stage dans l’équipe de “suivi intensif dans le milieu”. Ça signifie que je fais des visites à domicile et parfois aussi qu’on va dans des lieux publics avec les patients (café, épicerie, banque, pharmacie…). On fait fonctionner le quotidien avec eux. On les protège du monde extérieur, parce que leur niveau de tolérance au stress, quel qu’il soit, est très bas.

C’est un programme qui est très motivant. Les patients que nous suivons étaient auparavant de si grands malades psychiatriques (principalement des schizophrènes, avec plus ou moins de comorbidité…) qu’ils étaient hospitalisés une bonne partie de l’année, chaque année. Et quand ils ne l’étaient pas, ils se présentaient plusieurs fois par semaine à l’urgence, en proie à une anxiété morcelante ou à d’autres troubles pas plus joyeux…

Maintenant, grâce à la thérapie (très encadrante), ils vivent en appartement, mangent trois fois par jour, prennent bien leur médication, ont un minimum d’hygiène, font des activités, parfois réussissent à travailler un peu. Souvent, ils ont repris contact avec famille, amis et/ou amoureux qui les avaient délaissés quand ils étaient trop malades, qu’ils n’étaient plus côtoyables. Ils ont rarement besoin d’être hospitalisés maintenant, et quand c’est le cas, ça ne dure pas longtemps.

Certains parmi ces patients étaient de vrais dangers publics. Certains ont, dans leur délire, tué d’autres gens, parfois parmi leurs proches parents, leurs enfants, ou failli le faire si ce n’est pas arrivé. Ils ont maintenant récupéré la garde de leurs enfants d’une façon relativement sécuritaire.

Bref, c’est un programme très motivant, avec des résultats impressionnants. Une des grandes réussites, probablement, de la psychiatrie moderne et de sa désinstitutionnalisation. Pour une fois qu’on ne laisse pas les patients à eux-mêmes…

J’aime bien la psychiatrie. Les schizophrènes et autres toxicomanes ne me rebutent pas. J’ai envie de me mêler de leur vie, de les aider. Je suis sensible, de par mon histoire familiale, aux dépressifs, aux phobiques. Mon intérêt pour la pédiatrie me rend sensible aux troubles de comportement, aux troubles de l’attention des plus petits et des ados.

Évidemment, la psychiatrie est taboue à plusieurs niveaux. La folie est taboue, on ne veut pas en entendre parler. On l’ignore quand on passe à côté d’elle en haîllons dans la rue, sale, qui quémande, qui parle toute seule. On la condamne, on la diabolise quand elle entre dans une école et qu’elle tire sur de jeunes personnes.

Les psychiatres ? Tous des salauds qui ne pensent qu’à médicamenter les gens, leur donner des pilules, alors que ce n’est “pas la solution”.

Mais ce n’est pas ce que je vois. La médication n’est jamais la solution à tout. Elle est une béquille, une bouée, pour aider à s’en sortir.

Je me souviens, quand j’étais au Sénégal, et que les hommes me parlaient de leur désir d’immigrer au Canada, en France ou ailleurs… Personne ne me croyait quand je leur disais qu’ici, les personnes âgées sont souvent seules et délaissées. Que plein de gens vivent seuls, qu’il y a beaucoup de pauvreté. Que certains vivent dans la rue, que d’autres se suicident. Que ce n’est pas le paradis.

Je ne sais pas où est la vraie solution. On ne peut pas changer la société, le mode de vie effrené, la solitude. Mais quand on a une personne qui souffre à sa manière devant nous, on peut l’aider avec nos outils, certes imparfaits, mais qui sont bien mieux que rien du tout.

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