Encore des moyens de pression

par Dre Papillon

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Il y a quelques années, sous un autre gouvernement, il avait été reconnu par lettre d’entente entre les médecins spécialistes du Québec et le Ministère de la santé qu’un écart salarial trop important existait dans la rémunération, par rapport à la moyenne canadienne, et qu’il fallait le combler. Cet écart était alors estimé à 10-20 % par le gouvernement et à 44 % par les médecins spécialistes.

En juin dernier, à la fin de la saison parlementaire, le gouvernement provincial a décidé de passer le bâillon et d’imposer plusieurs lois (comme la privatisation du Mont Orford). Ils en ont profité pour imposer une loi (la loi 37) aux médecins spécialistes, leur fixant une augmentation de salaire de 2 % par année pendant 4 ans comme à tous les fonctionnaires de l’État, et leur interdisant tous moyens de pression. Ceci a coupé court aux négociations qui avaient alors lieu entre les deux parties.

Depuis ce temps, les médecins spécialistes sont furieux tout en ayant peu de moyens de manoeuvre.

Depuis juin, ils font discrètement monter les moyens de pression. Tout a commencé par l’annulation pure et simple de cours donnés aux externes, souvent peu ou pas payés. Depuis 2 semaines, des milieux de stage entiers ont commencé soit à interdire l’accès aux externes, soit à les tolérer mais sans échanger une parole avec eux. L’hôpital Maisonneuve et l’hôpital Sainte-Justine sont actuellement fermés aux externes. Actuellement, environ les 3/4 des 420 externes de l’Université de Montréal sont en chômage forcé à la maison. Leurs stages sont remis en cause et il faudra les reprendre un jour ou l’autre. Ces stages sont obligatoires pour l’obtention du diplôme, ils sont à la base de notre apprentissage.

Les stages touchés vont de la médecine interne à la chirurgie en passant par la pédiatrie et la gynéco-obstétrique, et ce, dans tous les hôpitaux. En fait, il est plus simple de parler de ceux qui ne sont pas touchés : ce sont principalement les stages qui se font avec des médecins généralistes, comme la médecine familiale, la gériatrie, l’urgence. Et aussi la santé communautaire (qui se donne à la direction de la santé publique de Montréal), où je suis actuellement moi-même en stage.

Que faire ? Les étudiants en médecine sont pris entre l’arbre et l’écorce. Les médecins spécialistes prétendent qu’ils font ça pour nos futures conditions de travail, donc pour nous. Ils ont voté à main levée, à leur dernière assemblée, comme quoi ils seraient prêts à nous faire perdre jusqu’à 2 ans de notre formation pour obtenir leur augmentation de salaire de 44%. Ils admettent qu’il s’agit là d’un “dommage collatéral”.

Beaucoup d’étudiants bouillonnent de colère et trouvent que le sacrifice actuel de leur stage ne donne rien et que tout le monde s’en fout. Ils n’ont pas complètement tort. Ils se demandent si nous ne devrions pas tomber en grève illimitée, tous les étudiants en médecine, en bloc. Cela aurait plus d’impact. À vrai dire, même la Faculté envisage de cesser notre formation comme moyen de pression sur le ministre ! Ça donne une idée d’où on est rendus… Des manifestations sont organisées, certains se demandent si ce n’est pas faire le jeu des médecins spécialistes, qui nous utilisent comme des marionnettes, que d’aller manifester “pour eux” (en fait, pour notre enseignement…). Notre position est délicate mais il faut bien faire quelque chose.

Il faut dire ce qui est, les médecins spécialistes se comportent comme des goujats. Ne plus parler aux étudiants, les ignorer purement et simplement, c’est assez vulgaire, quand on y pense.

J’ai dit que mon stage actuel n’était pas touché, mais ce n’est pas dire que je ne subis aucun impact de la situation. La célèbre gynéco-obstétricienne de Sainte-Justine, que l’on voit presque tous les jours à la télé en ce moment, m’avait donné son accord début octobre pour me faire une lettre de recommandation dans le cadre de mes demandes d’admission en résidence. Évidemment, j’avais remarqué que ma demande traînait et qu’aucune lettre n’était rédigée. La sachant très “fâchée” et très “impliquée” dans cette lutte avec le gouvernement, je commençais à me douter et je suis maintenant certaine qu’elle ne me fera jamais cette lettre dont j’ai pourtant besoin. Ce que je dénonce, c’est le fait de mentir, de ne pas me prévenir que je devrais me trouver un autre référent.

Je dois avouer que je serais furieuse de tomber en grève forcée (que ce soit par l’association étudiante ou directement par la Faculté) et de ne pas pouvoir continuer mes stages qui sont pourtant intacts. C’est se tirer dans le pied que de ne pas profiter du peu d’enseignement encore disponible. Personnellement, j’ai signé un contrat qui m’oblige à commencer ma résidence le 1er juillet prochain. La série d’événements qui va y mener comprend l’examen final de médecine pancanadien en mai, suivi normalement de presque 2 mois de vacances. Je refuse de devoir reprendre des stages à ce moment.

J’estime avoir droit à ces vacances et les mériter amplement après un externat éreintant. J’ai des projets de voyage qui me tiennent à coeur à ce moment et que je ne pourrai jamais retrouver à aucun moment futur de ma vie.

Je suis consciente que ma position n’est pas très “solidaire”. Mais je dénonce tout autant que mes collègues les moyens de pression des médecins spécialistes, et je les déplore totalement. Je compatis vivement avec ceux qui sont touchés. Je suis prête à me joindre aux manifestations organisées, à crier sur tous les toits l’injustice grave qui est commise envers nous.

Le pire, c’est qu’on n’a aucune prise sur les médecins spécialistes ! Il n’est pas écrit dans la loi qu’ils doivent nous enseigner. On ne peut les poursuivre en justice ni les obliger à le faire. D’ailleurs, “officiellement”, ils ne le font pas de manière “concertée” (puisque c’est interdit par la loi 37), mais sur une base purement “individuelle” (mais tous en même temps, n’est-ce pas ?).

Le nouveau président qu’ils se sont élus jeudi soir, Dr. Barrette, est le plus radical qu’ils pouvaient trouver. Apparemment, il est prêt à faire monter la pression y compris sur les patients, par un moyen “subtil” : retarder les congés des patients aux étages par prudence et excès de zèle, ce qui fera déborder tout le réseau très rapidement.

Quant aux étudiants, notre prochaine assemblée générale est prévue lundi soir, et je me permets de craindre pour la bonne marche de mon année scolaire.

Je me permets aussi de craindre pour les futures relations entre étudiants et spécialistes. Personnellement, je me sens déjà pleine de rancune… Sur le plan humain, la situation est tout simplement intolérable. Tout ça pour se mettre plus d’argent dans les poches, quelle horreur quand même !

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