L'avènement de Monsieur

par Hoedic

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Journal de bord du capitaine, jour 0

Malgré un fort pressentiment je prends le chemin de travail comme à chaque fois en ce lundi matin veille de la St Jean, jour férié. La journée promet d’être tranquille… à moins que.

10h: Dre Papillon me fait savoir qu’elle ressent des contractions à intervalle régulier, aux 5 minutes. Inutile de s’exciter à ce point; les contractions, même fréquentes et régulières, sont notre pain quotidien depuis plusieurs mois. Ce n’est pas franchement douloureux, mais c’est un peu différent de l’habitude, dans le bas du ventre et le dos. Cependant si au bout de 2 heures cela continue, il faudra se pointer à l’hôpital, ne serait-ce que pour faire du monitoring et avoir un statut.

12h: Les contractions sont toujours présentes et régulières. Il faut envisager l’hôpital. Nous n’avons pas de voiture à portée de main mais une collègue et amie me propose la sienne. Sans être stressé outre mesure il est difficile de ne pas avoir les neurones en ébullition.

13h: Départ du travail. J’ai écrit mes dernières volontés professionnelles en cas d’absence prolongée. Si un cadeau sort du ventre de Dre Papillon, je ne remettrai pas les pieds ici avant 3 semaines minimum, merci au congé de paternité.

14h: Nous avons rassemblé de quoi aller à l’hôpital et sommes parés à tout, même à y rester quelques jours et à accueillir un petit bonhomme. Par chance, Dre Papillon est prévoyante de nature, deux valises sont prêtes depuis quelques temps déjà, une pour elle durant l’accouchement et après, une pour le bébé (et moi).

14h50: Arrivée à l’hôpital Sainte-Justine. À la description des symptômes, le personnel n’hésite pas une seconde : nous nous voyons attribuer une salle d’accouchement, la 7. Comme c’est un premier bébé et que personne n’est impressionné par l’absence de souffrance apparente de Dre Papillon, il faudra attendre longtemps avant de voir un médecin.

16h : Nous sommes installés dans ladite salle. Les signes vitaux sont pris par une infirmière (immédiatement remplacée par une autre, fort gentille qui nous accompagnera pendant les 8 heures à venir). L’infirmière de soir sort d’office le kit complet d’accouchement en nous disant qu’elle a plusieurs fois été prise de vitesse par des sorties précipitées dans la 7. Si elle pouvait avoir raison, nous ne serions pas contre, un travail-marathon ne nous inspire pas trop. Elle nous prédit un accouchement sur son quart de travail.

17h30: Le résident de garde en obstétrique vient finalement nous rendre visite. C’est le seul habilité à aller voir de plus près et à poser un diagnostic. Ce dernier est formel : dilatation à 5.5cm, le travail est en route. Si cela se déroule vite, le bébé peut naître aujourd’hui, sinon ce sera le même jour que la fête nationale québécoise. En tout état de cause, ce sera un petit prématuré de 1 mois, ce n’est pas rien. Toutefois, grâce à l’échographie passé un mois plus tôt, nous savons que le bébé devrait avoir un poids respectable. Dre Papillon doit recevoir des antibiotiques intraveineux mais réussit à ne pas se faire installer de soluté, seulement une voie veineuse. Elle préfère boire la quantité de liquides prescrite directement (et manger en cachette mais gardez ça pour vous).

18h: Nous essayons de passer le temps. Les contractions sont un peu plus rapprochées, toujours aussi peu douloureuses. Du fait que c’est un prématuré, Dre Papillon est théoriquement sous monitoring continu permettant de voir défiler sur papier le rythme cardiaque du bébé ainsi que les fréquences des contractions. Dans les faits, nous négocions un monitoring intermittent car nous voulons pouvoir bouger à notre guise, surtout que le tracé du coeur du bébé est toujours rassurant.

19h: Les contractions commencent à gagner en intensité. Nous obtenons cependant le droit de profiter du bain malgré le souhait du personnel soignant d’avoir un suivi continu. Le bain bouillonnant soulage un peu les douleurs des contractions. Notre infirmière préférée passe toutes les 15 minutes pour écouter le coeur du bébé avec un doptone submersible. Le bain est installé depuis 2 ou 3 semaines à peine et Dre Papillon est bien heureuse de pouvoir y passer une heure complète.

20h20: Le résident de garde repasse pour faire un suivi. La dilatation est de 6,5 cm. Déception, le travail est maintenant traînant et on évoque la possibilité de devoir médicaliser davantage l’accouchement. Nous aurions souhaité être plus avancés; d’après les courbes classiques, nous aurions pu compter sur une dilatation de 1,2 cm par heure depuis 17h30. Peut-être que notre infirmière qui pariait sur un accouchement le jour même s’est trompée. Comme le personnel médical est très a cheval sur les durées de chaque étape, le résident envisage de rompre la membrane des eaux dans quelque temps pour accélérer le travail si ça n’avance pas plus, et de donner de l’ocytocine intraveineuse. Dans ces conditions, les contractions vont mécaniquement devenir insupportables et il deviendra impossible de tenir très longtemps sans péridurale… Nous négocions que ce ne soit pas fait tout de suite mais réévalué au prochain examen.

20h50: Le ballon qui jusqu’à présent offrait un soulagement à Dre Papillon devient à son tour inconfortable. Nous essayons de regarder Le voyage de Chihiro mais les contractions sont trop intenses pour se concentrer dessus. Nous décidons de prendre une petite marche pour éventuellement faire débloquer le travail; tous les moyens sont bons, surtout dans la mesure où Dre Papillon a encore sa mobilité.

21h10: La marche coupe court, les douleurs sont trop fortes à présent. Dre Papillon se tord de douleur sous mes yeux. Nous entrons dans la phase tant redoutée de l’accouchement, cette douleur insupportable pour elle, cette incapacité à faire quoique ce soit qui la soulage pour moi. Malgré le peu de mots échangés, nous avons tous deux en tête la dernière dilatation, loin de l’objectif; il va sûrement falloir attendre encore un bout, rompre les membres, médicaliser l’accouchement.

21h20: Nous demandons une péridurale à notre infirmière qui revient en panique : les anesthésistes sont pris d’un côté par des jumeaux et de l’autre par un césarienne d’urgence; impossible d’avoir quoique ce soit pour l’heure. Seule alternative, le Nitronox, encore connu comme gaz hilarant. Après une panique pour installer l’affaire, Dre Papillon est loin d’être hilare. Malgré qu’elle soit plus détendue, elle se tortille encore de douleur à chaque contraction plus forte. De manière évidente, elle ne durera pas longtemps comme ça et la péridurale sera incontournable.

21h35: Dre Papillon gémit et devient plus blême à chaque contraction. Entre deux inspirations dans son masque à Nitronox, elle glisse qu’elle ressent une puissante envie de pousser. L’infirmière sent qu’il est temps de passer à l’action. Tout en soutenant Dre Papillon, elle sonne une autre infirmière et lui glisse de manière inaudible pour moi des instructions visiblement pressantes. Mon inquiétude augmente, je demande penaud si on aura le temps pour une péri, j’obtiens un non de la tête. Tout semble maintenant se dérouler très vite. Est-ce que l’infirmière serait de nouveau sur le point de se faire jouer un tour dans la salle 7 ?

21h45: Cette fois-ci, ce n’est pas le résident mais un patron qui débarque. Chose rassurante, nous le connaissons, c’est lui qui a fait la clarté nuquale à 12 semaines et Dre Papillon a travaillé avec lui, c’est un bon médecin. Au début il pense pouvoir retourner dans une autre salle où se déroule un accouchement mais finalement se ravise: la dilatation est complète mais la membranes des eaux sous pression l’empêche de sentir correctement la position de la tête.

Alors que les préparatifs pour réaliser l’accouchement proprement dit ne sont pas encore terminés, le Doc rompt les membranes provoquant rien de moins qu’un raz-de-marée. Désormais il sent clairement la tête qui n’est pas parfaitement dans le bon angle. Alors que Dre Papillon se tord de douleurs et qu’il est désormais clair qu’il n’y aura aucune anesthésie (il manque même de temps pour le bloc honteux), le Doc dit avoir repositionné la tête correctement.

21h55: Quelques instants après, les premiers cheveux du bébé apparaissent de l’Origine du monde. Entre deux respirations de gaz hilarant, Dre Papillon fait savoir qu’elle ressent une envie de poussée irrépressible. Après une première poussée peu convaincante guidée par l’infirmière, elle pousse à sa guise, de manière tout à faire réflexe.

En une poussée, la tête se dégage en partie.

22h00: Un seconde poussée et le Doc dégage le corps au complet, Monsieur est né et posé sur le ventre de sa maman. Entre temps il a eu le temps de pousser quelques cris stridents ce qui lui vaut un beau apgar de 9 9 9.

Le personnel nous laisse rapidement entre nous 3. Monsieur est étonnamment éveillé; les yeux grands ouverts il cherche un sein qu’il finit par accrocher sans pouvoir en obtenir quoique soit. La pesée un peu plus tard donnera un point de 2.8kg, très honorable pour un petit 35 semaines.

Nous contemplons ébahis ce petit si étonnamment formé qui est parti de rien et qui désormais rampe comme il peut. Finalement ce n’est pas si horrible un nouveau-né, c’est même pas mal mignon ! Entre deux silences de contemplation, Dre Papillon m’explique qu’elle voguait dans un autre univers au son d’une musique techno uniquement présente dans sa tête pendant l’accouchement (le fond musical que nous avions grace à notre iPod n’avait rien de techno). Le nitronox faisait plus d’effet qu’il n’en avait l’air !

Vers Minuit nous sommes transférés dans notre chambre pour débuter une nouvelle vie, à 3.

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Arthur - 9 hours old


Monsieur, âgé de 9 heures

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