Une certaine vue du Capital au XXIème siècle

par Hoedic

Lecture: ~7 minutes

Il est rare que je prenne la peine de lire un bestseller, encore moins un qui soit récent (plus par manque de temps que par snobisme, entendons-nous). Mais celui-ci n’a pas manqué d’attirer l’attention et malgré l’imposante brique je voulais vraiment voir ce qu’il avait à dire.

Le but n’est pas de copier le livre, pour ce faire vous pouvez le lire. Si vous êtes vraiment pressés, il existe même un sommaire exécutif.

Évidemment, je ne vais pas faire la critique du livre sur la validité des arguments économiques. Il n’en reste pas moins que le livre est riche d’enseignements. Je vais donc me concentrer sur quelques remarques particulières

Ce n’est pas Marx

Malgré ce qu’en disent certains, ce n’est pas le descendant spirituel de Marx. Pour ce dernier, le capital était le moyen de la domination d’une classe et il explorait surtout cette dynamique. Piketty constate qu’historiquement les inégalité sont sources d’instabilité (sans détailler pourquoi ni comment) puis regarde surtout la dynamique économique (autant macro que micro) qui génère ces inégalités. D’un point de vue c’est un peu décevant mais primo Piketty est “seulement” un économiste, secundo en restant au niveau économique il évite des critiques d’ordre purement idéologiques.

Piketty était clairement tenaillé entre des idées de grandeurs (d’ou la référence à la bible de Marx) et le fait qu’il ne pouvait pas non plus prétendre changer la face du monde (quoique souvent il donne cette impression.)

Une unique solution

Au terme du livre, l’auteur en arrive à promouvoir une unique solution (une taxe mondiale progressive sur le capital) qu’il juge lui-même utopique. Comme le dit l’autre, tout problème complexe a un solution simple, et elle est mauvaise. Personnellement je suis assez sceptique qu’une seule approche puisse permettre de résoudre un problème aussi complexe. Quand on considère que cette solution est par ailleurs utopique et hautement improbable, c’est tout de même un peu décevant. Certaines critiques ont proposé d’autres approches qui pourraient avoir participer à améliorer la situation

Notre histoire

Ce qui m’a fait passer à l’acte d’acheter le livre, c’est d’apprendre qu’une partie de l’argumentaire se basait sur la période précédent la Première guerre mondial au moment même où je développais un intérêt pour la période couvrant le Second Empire et la Belle Époque et aussi alors que nous nous apprêtons à commémorer le début de la Der des ders.

L’aspect central du livre, au-delà des diverses conclusions de l’auteur, c’est que nos sociétés sont largement déterminées par leur histoire. Les choix politiques allant de la première guerre mondiale à maintenant sont une suite d’enchainements quasi-logiques. La façon dont américains et européens envisagent la question des inégalités est fortement teintée par leurs histoires respectives. Ça peut sembler une lapalissade, mais c’est pourtant central.

Et ce que le livre permet de comprendre de manière générale c’est que l’économie des inégalités évolue sur le très long terme et que de ce point vue, il a fallu attendre les années 1980 pour sortie des conséquences désastreuses (mais très égalitaristes) de la Seconde guerre mondiale et encore une génération pour commencer à en voir les impacts.

Les choses changent

Aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, fut un temps où les États-Unis étaient plus égalitaires que l’Europe, y compris dans leurs politiques. D’après Piketty, jusque dans les années 1980, le taux d’imposition du “bracket” le plus élevé était de l’ordre de 80%, voire 90% aux États-Unis. Il en était ainsi depuis le New Deal, soit près d’un demi-siècle. Évidemment, Reagan est passé par là ensuite.

On ne peut s’empêcher de sourire à l’idée que certains prônent que seuls des taux d’imposition bas permettent la croissance et l’innovation alors que les États-Unis ont été on ne peut plus dominant pendant une période de forte imposition. Pas nécessairement de causalité, mais ça donne à réfléchir.

Un bon état des lieu

Si le livre a reçu plusieurs critiques sur certains points spécifiques, il rappelle des concepts généraux certes connus des économistes, mais souvent mal traités et incompris. Par exemple de joyeusement amalgamer les plus riches en terme de revenus avec ceux possédants les plus grandes fortunes. Selon l’axe qu’on prend, le fameux 1% n’est pas le même.

Autre chose que l’on oublie: le taux de croissance sur lequel tout le monde a le nez collé dépend de la croissance démographique. Ainsi on impute souvent une meilleure croissance aux É.U qu’à l’Europe, mais c’est “simplement” parce que leur population croit plus. Ce n’est pas vraiment un signe que leur économie va mieux ou qu’ils sont plus innovants.

Le rôle de l’innovation technologique

Point non traité par l’auteur et c’est dommage. Son ouvrage est déjà très riche et possiblement que c’est un domaine qu’il connait moins. Il aurait toutefois été intéressant de voir si les évolutions technologiques, notamment dans les trente dernières années, ont eu un effet dans la résurgence des inégalités et notamment dans la capacité de faire travailler le capital à la place des gens.

D’après les quelques paragraphes qu’il écrit sur le sujet, il semble que le consensus autour de l’apport technologique, c’est qu’il favorise le développement du capital humain, c’est-à-dire la capacité d’aller chercher une formation plus avancée utile et donc un revenu plus élevé. Mais de la même manière qu’il démontre qu’aucune loi économique n’empêche les inégalités de croitre à des niveaux très élevés, est-il démontrable qu’aucune loi n’empêche la technologique d’augmenter les inégalités en nuisant à la capacité des employés à participer au développement économique.

Conclusion

Étant devenu un incontournable, le livre a également reçu beaucoup de critiques. Ceci dit, de ce que j’ai pu voir, aucune n’arrive de manière convaincante à complètement détruire l’argument central du livre: les inégalités sont en augmentation et rien n’empêche qu’elles continuent à augmenter jusqu’aux niveaux où elles étaient à la veille de Première guerre mondiale alors que 10% de la population possédait 90% des richesses.

Toutefois, en n’entrant que superficiellement dans la critique sociale et les rapports de force qu’entrainent ces inégalités, on se demande les inégalités sont une cause ou un symptôme: serait-il possible d’avoir une société stable avec des inégalités importantes? La mise en place d’une ploutocratie est-elle inévitable lorsqu’une faible partie de la société possède une large partie de la richesse? Piketty effleure ces questions par moment mais sans donner asséner d’argument fort là-dessus.

Malgré ce point et la faiblesse de sa proposition centrale, ça reste un livre fascinant à lire!


Broadly speaking, it was the wars of the twentieth century that wiped away the past to create the illusion that capitalism had been structurally transformed.

Thomas Piketty, Capital in the Twenty-First Century

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