Ce sport où on reste «poche» longtemps

par Hoedic

Lecture: ~5 minutes

Récemment, la Presse a publié un article dont l’objectif avéré était d’aider les gens à choisir un art martial correspondant à leurs attentes. Pour l’aikido ça donnait quelque chose comme suit:

Pour qui: Ceux qui sont persistants
(…) «Ce sont des mouvements plus compliqués à maîtriser [qu’au karaté], explique-t-elle. Tu as l’air poche longtemps.»
Source: Arts martiaux: à chacun son style

On peut difficilement trouver une description qui donne moins envie de faire une activité. Alors, parmi les milliers qui existent sur internet et dans les livres, voici ma petite contribution à la grande question: pourquoi faire de l’aikido?

Premièrement, l’aikido est un art martial que je qualifierais de “soft”: pas de frappe, pas de compétition, pas de domination. C’est un art martial “coopératif”, que je sois de celui qui fait la technique ou de celui qui la reçoit, j’ai quelque chose à apprendre et je participe à l’apprentissage de l’autre. Lorsque je reçois une technique, j’apprends à chuter de manière sécuritaire, à détecter les possibilités de contre-attaque et enfin à évaluer quand il demeure possible d’essayer de s’échapper ou qu’il est préférable de laisser aller la technique plutôt que de résister et risquer de se blesser. Évidemment, lorsque je fais une technique j’apprends à la faire correctement, mon partenaire me donne l’énergie et accepte la technique, sans la boycotter (e.g jouer le roc qui ne bougera pas) mais sans non plus laisser passer une technique inefficace.

Hakama

Aikido de la montagne, le 31 mars 2005

Ce qui m’amène au deuxième point: l’aikido est efficace. En cherchant sur internet, on a vite fait de trouver toutes sortes de comparatifs sur les arts martiaux dans lesquels l’aikido est facilement comparé, comme j’ai vu une fois, à du “japanese ballroom dance”, avec des mouvements sont largement chorégraphiés. Certes, l’aikido n’est pas aussi directs que d’autres arts martiaux car sa philosophie est de se protéger sans pour autant blesser l’autre. Orienter l’énergie d’une attaque pour qu’elle se dissipe. Outre l’aspect philosphique, comme beaucoup de monde, ça ne me tente pas de faire du jujitsu brésilien ou du krav maga. Des techniques certes plus directes, mais pas franchement agréables à pratiquer. L’aikido offre un compromis intéressant entre efficacité et agrément de pratique. Par ailleurs, l’aikido s’adapte à une grande variété de situations: seul à seul, seul contre plusieurs, attaque à l’arme blanche ou un bâton. Les mêmes principes s’appliquent à toutes ces conditions.

Comme plusieurs arts martiaux asiatiques, ce qui permet cette versatilité potentiellement face à des opposants plus grands ou plus forts, c’est un certain rejet de la force physique et dans le cas particulier de l’aikido, le refus d’opposer la force à la force. Et autant le dire: c’est très difficile de résister à l’envie de faire jouer les muscles. Même dans le cadre d’une pratique codifiée, lorsqu’une personne arrive sur vous pour vous saisir ou (prétendre) vous frapper, le système nerveux sympathique se fait aller les neurotransmetteurs avec son lot de tension physique. Cette tension devient un handicap pour des techniques s’appuyant sur l’anticipation, la perception et la fluidité. Il faut donc désapprendre au corps certains de ses reflexes primaires. Pas une tâche facile.

Et c’est aussi ce qui rend la progression lente. Ceci dit, la découverte de nouvelles choses, de nouveaux concepts est pas mal permanente; la lenteur des progrès ne doit pas être confondue avec l’absence d’apprentissage. Le début est difficile car on a vraiment l’impression de devoir apprendre et contrôler des miliers de choses: les noms de technique (en japonais pour faire simple), la synchronisation de différents mouvements nécessaires pour chaque étape d’une technique, le contrôle musculaire (en essayant de rester détendu), etc. Toutefois, assez rapidement, les bases sont suffisamment posées pour effectivement commencer à apprendre et ressentir du progrès même si on se sent à des années-lumières des plus avancés.

Fluidité, sans force ni d'opposition à l'attaque. Ikkyo ura.

La lenteur des progrès est également liée au nombre de variantes possibles pour une même technique. Le “premier principe” (ikkyo), habituellement la première technique que l’on apprend, peut être réalisée de milles manières différentes. Une large partie de ces variantes sont “mauvaises”. Soit qu’elles ne marchent simplement pas (mais qu’un partenaire trop laxiste laisse tout de même passer), qu’elle ouvre la porte à une contre attaque ou, et c’est là la difficulté, parce qu’elle pourrait blesser l’un ou l’autre des pratiquants: Lorsque l’on fait ikkyo sur une attaque venant d’en haut (voir ci-dessus), il est très facile d’avoir un contact brutal, une opposition dans les deux mouvements. Une bonne manière de le faire se fait sans opposition, dans la continuité du mouvement. Même des pratiquants expérimentés peuvent avoir du mal là-dessus.

L’aikido est loin d’être parfait et le but n’est pas de jouer au jeu du meilleur art martial. Malheureusement, trop de pratiquants -voir des instructeurs- veulent absolument démontrer l’efficacité de l’aikido, favorisant une approche plus physique, s’éloignant ainsi du style classique et le plus reconnu autant du point due vue philosophique que pratique.

Tout ceci pour dire que non, l’aikido n’est pas une activité pratiquée selon une sorte de masochisme visant à rester poche longtemps ou se donner l’impression d’avoir des pouvoirs transcendants. Comme beaucoup d’art martiaux, c’est un travail sur soi, une amélioration des capacités physiques et mentales et, dans ce cas-ci, en minisant les risques de coups et de blessures (écrit celui qui s’est luxé la clavicule au début de l’été.)

Gunnm vs Alita

Quelques réflexions sur l'adaption cinématographique du manga cyberpunk Gunnm/Alita La suite

Quarante cycles solaires

Publié le 18 mai 2018

Suis-je réac' ?

Publié le 16 avril 2017