Suis-je réac' ?

par Hoedic

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J’aime lire Houellebecq. Houellebecq est souvent qualifié de réactionnaire. Est-ce que cela fait de moi un réactionnaire? Tel est le plan de ce qui va suivre.

J’ai un souvenir très net mon achat du roman Les particules élémentaires. Rentrée 1998, je trainais à la FNAC du Palais de la Bourse de Nantes, au deuxième étage. C’était l’époque anté-Amazon où je zonais plusieurs heures à feuilleter livres et bandes dessinées pour finalement m’en choisir un ou deux. Le roman était en évidence, un Flammarion classique avec sa couverture écrue, titre rouge, un beau grain de papier, mélange prometteur de cul et de misanthropie parfaitement adapté à mon humeur atrabilaire de l’époque.

Mon objectif n’était pas démesuré. Après mes années de classe prépa – et un passé relativement peu tourné vers la littérature, l’opportunité d’avoir du temps pour lire et une certaine volonté de dépasser un peu mes lectures de l’époque, comme Bernard Werber, représentaient pas mal mon horizon. La lecture de ce roman a été comme un coup de poing asséné en pleine poire. Un univers noir où la décrépitude humaine alternait avec des scènes de cul glauques, les partouzes se soldant par des paraplégies, les amours par des suicides. J’avais assez rapidement enchainé sur Extension du domaine de la lutte et H.P Lovecraft, contre le monde, contre la vie (trouvé par hasard dans une halte routière, je sortais alors d’une période Lovecraft) offrant ainsi un tableau complet de vicissitudes allant du misérable au pire dont aucun personnage ne ressort indemne, champ de ruines d’une civilisation envoutée par le capitalisme, vision d’une société sordide rejoignant ma propre solitude, volontaire à bien des égards. Je finissais mes lectures presque soulagé: voici un auteur qui me donnait l’impression de ne pas être complètement seul.

“Même si ces notions nous paraissent aujourd’hui difficiles à comprendre, il faut se souvenir de la place centrale qu’occupaient pour les pour les humains de l’âge matérialiste les concepts de liberté individuelle, de dignité humaine et de progrès.”

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires.

Houellebecq était déjà une célébrité. Je me rappelle d’une interview sur Canal+ où il était enivré plus que de raison, au mieux répondant à coté des questions, plus souvent méprisant les interrogations de son interlocuteur. Noyer son esprit dans l’alcool ne semblait pas surprenant pour un auteur percevant avec une telle singularité l’horreur de nos sociétés. Ceci dit, même si j’aimais sa prose, il me semblait préférable de ne pas trop m’attacher à cet auteur ayant visiblement pour objectif de dépasser pour lui-même la déchéance décrite dans ses livres. Je risquais d’avoir pitié.

J’achetai Plateforme juste avant de partir en formation pour Accenture, à Chicago, ce milieu où « on est compétent, on est jeunes, on va s’éclater sur des projets sympas » comme le décrit un Houellebecq plein de sarcasme en parlant de l’environnement d’Extension –Houellebecq ayant lui-même travaillé pour Unilog, devenu Logica devenu CGI (ça ne s’invente pas). À mon retour, Houellebecq faisait la une des journaux avec sa fameuse réplique « La religion la plus con, c’est quand même l’Islam. » confirmant ainsi ma perception qu’il était préférable de s’en tenir à ses romans et oublier l’auteur.

J’ai ainsi lu et apprécié tous ses romans suivants: La possibilité d’une île (qui reste, à mon avis, son meilleur), La carte et le territoire (goncourisé) et Soumission. J’ai toutefois attendu une bonne année après la publication pour lire Soumission. La sortie houleuse du livre concomitante aux attentats de Charlie Hebdo (voir ici, les commentaires outrés (contexte aidant) combinés à ses déclarations passées m’ont fait craindre qu’il avait, cette fois, dépassé les bornes. Il n’en était rien et, me rappelant les tribunes incendiaires concernant le roman au lendemain des attentats, je ne pouvais que constater encore une fois que certains critiques soit ne savent pas lire, soit veulent juste faire passer leur message en dépit de la réalité.

Toujours est-il: lorsque j’ai vu passé le Cahier que la maison d’édition L’Herne lui consacrait, j’ai beaucoup hésité: après toutes ces années à le lire, il semblait difficile de ne pas vouloir creuser derrière l’image médiatique si souvent déformée. Mais à quel prix? Qu’allais-je y trouver en bout de ligne? Bien qu’évitant de trop m’y intéresser, je n’avais pu manquer les articles qualifiant Houellebecq de néo-réac’, nihiliste ou encore laudateur de la fin de l’espèce humaine. Pourtant, j’y voyais beaucoup plus, surtout après Possibilité d’une île, je voyais rétrospectivement dans ses livres sensibilité et amour comme des éléments forts. Est-ce que je rêvais?


Prendre des photos sous tous les angles d’une personne ne nous permet jamais de saisir pleinement le relief de son visage, de son corps. La multitude des articles, commentaires, interviews, textes personnels et inédits, et même des extraits de courriels offrent un portrait saisissant de Michel Thomas, dont on ressort malgré tout plein de contradictions. Contradictions des interprétations de son œuvres, contradictions de l’homme lui-même.

Comme toujours, quand on se penche sur un sujet, il y a beaucoup plus qu’on ne pourrait le penser de prime abord. Très instruit, autant en littérature qu’en philosophie, les points de vue que Houellebecq défend dans ses romans sont supportés par des systèmes de pensées élaborés et une connaissance littéraire vaste qui trouve son principal fondement dans la poésie. C’est une impression évidente quand on le lit, mais ses livres ses complètent les uns les autres. Bien que ne formant pas une trame commune (comme le faisait Zola), le développement de certains thèmes peut être suivi d’un roman à l’autre. Plus que cela: Houellebecq a développé une approche transmédiatique. Ses productions non-romanesques: photographie, expositions, films, etc. et ses présences médiatiques prolongeant son système de pensée. Poussant même plus loin la transgression, il se projette dans ses livres, la majorité de ses héros/narrateurs s’appelant Michel, le personnage Michel Houellebecq en arrivant même à exister dans La carte et le territoire, réalisant ainsi pleinement la confusion entre l’auteur et le contenu de ses livres.

En fait, tout en critiquant ad nauseam le système capitaliste, il s’en sert à dessein pour véhiculer son message, devenant, en reprenant son vocabulaire, un des rares gagnants d’un système qui produit surtout des perdants (et continuant à se représenter comme un perdant, mais tout de même conscient de faire partie du cénacle des grands auteurs). Tout en étant surement on ne peut plus sincère, comme en témoignent plusieurs de ceux qui l’on interviewé, il sait s’être crée en partie, depuis toujours, témoin attentif du monde et de lui-même.

À propos de l’image qu’il a parfois véhiculé d’un enfant abandonné par sa mère, utilisée en partie pour justifier sa misanthropie:

“Les choses ne dérapent vraiment que lorsque je parle de moi, et uniquement de moi. Mon interprétation du pauvre petit bébé chat abandonné par sa maman est certes bien émouvante ; je n’y reconnais pas moins, non sans un peu d’embarras, une stratégie de drague que j’ai pratiquée toute mon adolescence, et même un peu après.”

Michel Houellebecq, Mourir II

Opposé au système capitaliste, il s’est fait coller l’étiquette de gauchiste. Il n’en est rien. Son hostilité est tournée vers le libéralisme en général: liberté du capital, liberté des mœurs, etc C’est un point où il est on ne peut plus cohérent. Selon sa vision, la liberté est une valeur exagérée, illusoire, finalement assez rare, au nom de laquelle sont justifiées toutes les dérives individualistes. Opposé aussi, donc, à la libération des femmes, par exemple. Position que certains attribuent à sa mère, occupée à vivre ses aventures alors qu’il était enfant. C’est dans ces positions qu’il frappe le nœud du réactionnaire. Réactionnaire certes, mais d’une logique implacable et c’est là sa grande force (j’y reviendrai plus en détail dans un autre billet).

Mais ce serait trop facile de s’arrêter là: au milieu de ce monde en décrépitude, il continue à croire en des sentiments puissants qui font que la vie vaut d’être vécue. Il voudrait croire en la transcendance, voudrait un Dieu (re)créant l’union de tous les hommes; athée par constat plus que par conviction, cette tension est au centre de toute son œuvre avec un point d’orgue au milieu de Soumission où le personnage central sent au bout de ses doigts la révélation divine mais finalement s’effondre. L’amour aussi. C’est pour moi le message de la Possibilité d’une île: les “transhumains” du futur, s’étant libéré des principaux désirs, notamment de la sexualité et de l’amour, sont devenus des épaves qui, bien que pouvant possiblement vivre éternellement, finissent par se suicider assez jeunes (pour rapidement se faire réincarner sous forme de clone), sauf Daniel25, qui à la lecture du récit de son ancêtre réalise son humanité et part à la recherche d’une île, d’un amour possible.

Oui, l’univers de Houellebecq est un monde de guerre permanente de tous contre tous. Et oui, il est réactionnaire et voit dans le libéralisme une dénégation de l’essence humaine. Mais cela ne l’empêche pas, malgré tout, de croire qu’une flamme peut exister dans ce monde noir, flamme qui justifie de participer à ce monde, même si c’est souvent pour s’en moquer.


Alors, est-ce que conformément à la loi Betteridge, la réponse à la question en titre est “non”? En fait, je ne suis pas nécessairement la bonne personne pour répondre. Je pense ne pas être réac. Adhérer aux constats que Houellebecq fait dans ses romans, c’est accepter de voir et de nommer certaines choses. Ceci dit, il est indéniable que creuser le point de vue de cet auteur phare a fait évoluer ma pensée.

“À mon avis, l’Occident ne produit plus rien d’intéressant que sa science depuis longtemps.”

Michel Houellebecq, Je crois peu en la liberté (entretien)

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