Les couples parfois s’en approchent. Il y a *érôs, qui désire, qui prend, qui possède. Il y a philia, qui se réjouit, qui partage, qui est comme une addition de forces, comme une puissance redoublée par la puissance de l’autre, par la joie de l’autre, par l’existence de l’autre. Et qui n’aime pas être dérisé ou aimé ? Pourtant, à force de voir l’autre exister de plus en plus, à force de le voir tellement fort, tellement content, tellement satisfait, à force de voir comme le couple lui réussit, comme l’amour lui réussit, à force de le voir occuper si bien tout l’espace disponible, toute la vie disponible, à force de le voir persévérer si triomphalement dans l’être, il arrive qu’on sente face à lui comme une immense fatigue, comme une lassitude, comme une faiblesse, il arrive qu’on se sente soudain comme envahi, écrasé, débordé, qu’on en existe soi-même de moins en moins, qu’on étouffe, qu’on ait envie de fuir ou de pleurer… Vous reculez d’un pas ? Il avance aussiôt d’autant, comme l’eau, comme les enfants, comme les armées : il appelle cela “son amour”, il appelle cela “votre couple”. Et soudain vous préféreriez être seul(e).*
Petit traité des grandes vertus (André Comte-Sponville)