Hiroshima mon amour

par Dre Papillon

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Paul Tibbets est le colonel qui a largué la première bombe atomique sur Hiroshima, à partir de son avion, l’Enola Gay (du nom de sa propre mère). Il est interviewé dans un Paris Match datant d’août 1995.

[Juste après avoir largué la bombe] : “J’ai amorcé immédiatement le tournant à 149° que m’avait recommandé le physicien Oppenheimer. Au moment où j’achevais mon virage, un immense flash a rempli la cabine : l’intensité de dix mille soleils dont les scientifiques nous avaient parlé. La bombe avait explosé. J’ai senti son goût amer dans ma bouche : l’explosion avait créé un phénomène d’électrolyse sur mes plombages.”

“Comme la question de la contamination me préoccupait, j’en avais parlé au Dr. Oppenheimer, qui m’a répondu : “Ne t’inquiète pas. En rentrant, fais simplement passer l’avion à travers de gros nuages de pluie, cela le lavera.””

Sa réaction concernant l’ampleur des pertes humaines occasionnées : “Depuis plusieurs mois, je m’y préparais psychologiquement. Cela me tourmentait, mais je savais que ce genre d’états d’âme ne menait à rien en temps de guerre.”

“J’ai reçu énormément de courrier, dont des dizaines de demandes en mariage.”

“Je continue de penser que la mission sur Hiroshima a permis de mettre un terme à la guerre.”

“Nous savions qu’en décidant d’employer la bombe atomique, le président des États-Unis avait choisi la seule option possible. Il en était arrivé à la conclusion que les pertes en vies humaines qu’engendreraient une invasion seraient telles que l’opinion ne lui pardonnerait jamais de ne pas avoir utilisé la bombe.”

“En août 1945, nous étions des garçons ordinaires à qui on avait confié un “job”. Nous avons accompli notre tâche avec succès et cela nous a donné la satisfaction d’avoir sauvé de nombreuses vies humaines.”

Ce témoignagne me rappelle l’expérience que Milgram a menée en 1961-1962, à Yale. Elle portait sur l’obéissance à l’autorité, la pression des pairs et la disparition de la responsabilité personnelle.

On a demandé à des volontaires, supervisés par des médecins en blouse blanche, de tester la mémoire d’un sujet. Ledit sujet était ligoté à une chaise, et pour chaque mauvaise réponse, le volontaire devait lui administrer une décharge électrique de puissance croissante. Le volontaire pouvait entendre les cris et voir les convulsions du sujet. Il était bien écrit, sur l’appareil, que des décharges supérieures à 375 volts étaient dangereuses. 65 % des sujets atteignirent les 450 volts (le maximum offert par l’appareil). Aucun des autres 35 % ne mis fin à son obéissance soumise avant d’atteindre les 300 volts.

Bon, en réalité, les décharges n’étaient pas vraiment envoyées et le sujet n’était qu’un comédien. L’expérience portait sur l’autorité, non sur la mémoire, ce qui fait qu’elle ne s’est pas déroulée sur des bases très éthiques : on a menti aux volontaires dès le début.

Malgré tout, cette expérience est très révélatrice de la nature humaine. Ainsi, certaines personnes sont prêtes à faire n’importe quoi, ou presque, dès lors qu’elles sont sous l’autorité d’une autre personne. Le phénomène du “premier pas” est aussi mis de l’avant ici : une fois qu’on l’a fait, on peut continuer et amplifier, ne serait-ce que pour se justifier.

“La disparition du sens de la responsabilité est la conséquence la plus lointaine de la soumission à l’autorité.” (Milgram)

Cette expérience n’est pas sans faire penser aussi à celle menée par Zimbardo en 1971, à Stanford. Cette dernière porte sur ce qui se passe lorsque l’on met des gens ordinaires dans un contexte carcéral et violent. C’est ainsi que des volontaires se sont aléatoirement fait attribuer un rôle de prisonnier ou de gardien de prison. Et il s’est avéré qu’en quelques jours seulement, les gardiens sont devenus de plus en plus cruels et sadiques (alors qu’aucune instruction particulière ne leur avait été fournie pour jouer leur rôle), et les prisonniers se sont transformés en dépressifs soumis, humiliés, abusés et maltraités.

Cette expérience ne serait pas très éthique non plus dans le contexte actuel, car elle a laissé de nombreuses séquelles à long terme aux volontaires impliqués.

Comment un individu lambda peut-il perdre son humanité aussi facilement, en fonction du seul contexte et du renforcement du groupe, tout en sachant qu’il ne s’agit là que d’une expérience, d’un jeu ? Il semble bien facile d’être déshumanisé, de perdre son individualité et ses valeurs.

La nature humaine n’est décidément pas toujours très belle…

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