Il y a actuellement de grands débats au sujet de la laïcité, en France.
(À ce sujet, je me suis d’ailleurs bien marrée devant le discours de Chirac, mercredi. C’est qu’après un an et demi de sevrage de la France, j’avais oublié ce que sont ses politiciens, et en particulier Jacques Chirac. Raah là là, manier l’art de la rhétorique comme ça, c’est dégueulasse… Un grand moment d’humour ! Nos politiciens québécois ne leur arrivent pas seulement à la cheville.)
Donc, la laïcité. Ce débat ne peut que me faire repenser au lycée parisien que j’ai fréquenté en Terminale. C’est un lycée comme il s’en fait bien peu en France. Déjà, il est semi-privé (ce qui est presque mal vu là-bas tant le public y est performant), sous contrat d’association avec l’État. Ensuite, je faisais partie de la dernière promotion composée de filles uniquement ; car effectivement, il s’agissait d’un lycée pour filles, créé pendant la Seconde guerre mondiale. (D’ailleurs, je ne savais pas cette information, au moment de l’inscription.)
Cet aspect des choses est ironique, car les lycées pour filles se comptent sur les doigts de la main en France (d’ailleurs, on s’y targuait d’être le dernier établissement à devenir mixte). Par la suite j’ai su qu’il existe au moins aussi le lycée La Légion d’Honneur à n’accueillir que des filles, mais sa définition, sa mission et sa vocation font qu’il diffère des lycées habituels. Bref…
Au Québec, les écoles secondaires non mixtes (privées comme publiques) sont légion, justement. Mes meilleures amies ont fréquenté le Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie (pour la laïcité, on repassera), ouvert seulement aux filles. J’ai fait mon secondaire V dans un collège qui n’accepte que des garçons au cours des quatre premières années du secondaire. Etc.
Je me suis donc retrouvée, pour la première fois de ma vie, dans une classe non mixte, dans un pays où la chose est fort improbable, mais provenant d’un autre pays où cela est coutumier. J’ai été très impressionnée des règles de politesse qui y régnaient. C’est ainsi que j’ai appris, en Terminale, à me lever à l’entrée d’un professeur (après avoir appris le vouvoiement seulement au secondaire…).
Mais ce que j’ai le plus apprécié dans ce petit lycée du 11e arrondissement, situé tout près de la place de la République, c’était son aspect résolument multiculturel et oecuménique. La philosphie de base du lycée est bien sûr catholique. Fondé par Madeleine Daniélou et sa communauté Saint-François-Xavier, il est encore aujourd’hui tenu par des soeurs. Il y a une chapelle toujours en usage dans l’enceinte même du lycée, avec une messe tous les vendredis midis et à chaque fête chrétienne.
En fait, il serait plus juste de parler de l’ensemble des établissements dépendants de cette communauté comme d’un tout. En effet, il en existe également à Blois, à Neuilly, à Rueil, à Garges-lès-Gonesse, à Bobigny, à Milan (Italie), à Abidjan (Côte-d’Ivoire), à N’djaména (Tchad), à Séoul (Corée du Sud) et à Czestochowa (Pologne)…
D’ailleurs, lors de mon séjour à Lourdes, j’ai pu faire la connaissance d’un écrivain et professeur, M. Jean-Pierre Lemaire, qui m’a confié enseigner régulièrement à l’enseigne de Neuilly et y trouver à chaque fois une expérience enrichissante, singulière, sans pareille ailleurs. Je n’ai pas de mal à le croire. On ne peut rester insensible à l’ambiance particulière qui règne en des lieux aussi resplendissants de bonté.
Il me semblait tout drôle de voir ça dans le pays-phare de la laïcité. Le Québec est encore très religieux en théorie, en façade, mais ce n’est plus très ancré et je n’y ai jamais rien vu d’aussi concrètement et sincèrement religieux. Même si je suis complètement athée et que je n’ai jamais assisté aux offices religieux de Charles-Péguy, j’adorais l’atmosphère qui y régnait. J’admirais cette jeune fille, devenue petit à petit mon amie, si réellement croyante et pratiquante, pour qui la religion faisait partie intégrante de la vie (messes le mercredi et le dimanche), qui organisait ses voyages estivals avec des groupes de jeunes catholiques, qui ne pouvait tomber amoureuse que d’un jeune homme aussi profondément croyant qu’elle (sans omettre d’y voir un signe du ciel…).
Le plus fantastique dans tout ça, c’est que, loin de se contenter d’être un lycée catho, Charles-Péguy encourageait aussi activement toutes les religions. Des intervenants juifs et musulmans venaient chaque semaine au lycée pour discuter de la foi et de la pratique religieuse avec les fidèles du même culte. Yom Kippour était annoncé et célébré en grandes pompes dans l’établissement. Le ramadan aussi. (Je pense pouvoir affirmer n’avoir jamais entendu parler de ces fêtes avant d’être en France. Pourtant, Dieu seul sait comme il ne manque pas de pratiquants juifs à Montréal, ni de musulmans d’ailleurs…)
Eh bien pour moi, la laïcité incarnée, c’est Charles-Péguy. La laïcité, c’est toutes les religions en harmonie, dans l’ouverture, la tolérance et l’amour. Ce n’est pas un milieu aseptisé de toute religion, bien au contraire…
C’est ainsi à Charles-Péguy que je me suis impliquée bénévolement pour aider des jeunes de Belleville souffrant de graves problèmes de comportement et d’apprentissage. Le tutorat a représenté une expérience unique pour moi, en ligne directe avec cet environnement où je baignais.
Il me revient en tête le fait qu’une amie de la mère d’Hoëdic, que j’ai rencontrée une fois, connaissait aussi Charles-Péguy pour habiter le 11e, et m’en avait parlé avec la plus grande médisance. Il s’agissait pour elle d’une vulgaire “boîte à bac”. Inutile de dire que j’avais été bien insultée par cette disgracieuse comparaison. Non pas personnellement, mais parce que c’est totalement faux. Ce lycée est l’endroit le plus profondément humaniste et impliqué qu’il m’ait jamais été donné de fréquenter.
À part ça, c’est vrai qu’il se classe souvent parmi les 20 meilleurs lycées parisiens. Mais est-ce une tare que de préparer des élèves de Terminale au bac ? Chaque chose en son temps… Personnellement, c’est pour ça que j’étais là. J’aurais été bien emmerdée de me retrouver à Louis le Grand ou à Henri IV, à faire le programme de Maths Spé… Mon bac n’aurait guère été reluisant avec une telle préparation et je n’aurais jamais été admise en médecine à Montréal. Après ça, j’étais bien la seule pour qui le bac relevait une telle importance ! (Entrer en fac nécessitant simplement de l’avoir, et entrer en prépa se jouant plutôt sur dossier…)
Mais qui est donc Charles Péguy ? Il s’agit d’un poète et écrivain français s’étant converti à la religion catholioque suite à une sorte de Révélation. Il est mort au combat pendant la Première guerre mondiale. Même le nom n’a pas été laissé au hasard…