Je ne suis pas très férue des commentaires d’actualité, vous avez pu le remarquer.
Mais là, je peux difficilement ne pas réagir devant la psychose actuelle. Dès qu’on parle d’enfants, les gens (et les médias !) sont encore plus prompts à la panique…
Je résume la situation. Une chirurgienne de l’hôpital pour enfants malades Ste-Justine, à Montréal, se savait porteuse du VIH depuis 1990. Elle en a alors informé un petit comité de l’hôpital, mais non la haute direction. Et elle ensuite a continué de pratiquer jusqu’à tout récemment, alors que son état de santé ne le lui permettait plus. Elle est maintenant décédée.
Son comportement a été en accord avec les lois et les codes de déontologie en vigueur. Elle a le droit au secret médical et à la confidentialité, comme tout individu. Elle a le droit de continuer à pratiquer. En accord avec le comité d’éthique, sur une base volontaire, elle a tout de même choisi de restreindre ses activités à plus haut risque (orthopédie, femmes enceintes, etc.) et d’augmenter les mesures de protection (port de deux paires de gants plutôt qu’une). La plupart de ses collègues n’étaient pas au courant de son état de santé, ni sa famille, ni ses patients.
Maintenant, l’hôpital recontacte 2614 patients pour leur faire subir un test de dépistage du VIH, par mesure de précaution. Des médias sans foi ni loi, ni éthique, ont même jugé bon de dévoiler le nom de la chirurgienne, de sorte que sa famille se fait maintenant harceler.
Voilà, on crie au meurtre. C’est la fin du monde. Il faudrait tester tous les médecins, tous les étudiants en médecine.
Est-il nécessaire de rappeler que, sauf peut-être parfois au cours de certaines interventions particulièrement à risque (genre hystérectomie par les voies naturelles - les médecins se piquent souvent, ne voyant pas ce qu’ils font), il n’y a pas d’échange de sang entre le médecin et son patient ? Que même en cas d’un éventuel contact, le risque de transmission du VIH est de 0,3 % ? Que s’il y avait eu un tel contact, le patient concerné aurait été mis au courant aussitôt, afin d’entamer une trithérapie réduisant encore davantage le risque de transmission effective ? (Par comparaison, le taux de transmission de l’hépatite B suite à un contact sanguin est de 30 %. Les étudiants en médecine sont obligés d’être vaccinés contre l’hépatite B.)
Pourquoi paniquer ainsi au sujet des médecins ? Les patients porteurs du VIH ne préviennent bien souvent pas non plus leur médecin. Mon moniteur de clinique à l’automne dernier, chirurgien général, a souvent été confronté à des patients lui apprenant après coup leur état de santé particulier. Il a même déjà reçu, en opérant un enfant noir immigré d’Afrique, du sang dans les yeux. Il a aussitôt entamé une trithérapie jusqu’à l’obtention du résultat du test de dépistage du VIH sur l’enfant - heureusement négatif.
Ce n’est pas parce qu’on testerait les étudiants en médecine à leur admission, ou les médecins à l’embauche, que le risque serait annihilé. Le sida peut s’attraper n’importe quand. Alors quoi, tester tous les ans ? Tous les mois ? Tous les jours ?
Tant qu’à y être, pourquoi ne pas plutôt tester les patients ? Car s’ils infectent leur médecin, ce dernier pourrait ensuite justement le propager à d’autres patients. Ça marche dans les deux sens.
Bref, ça n’a pas de fin. Pour un risque toujours infinitésimal.
Un peu d’humanité : lisez donc l’histoire de cette chirurgienne… Elle a fait montre d’une conscience professionnelle aigüe et irréprochable. Elle était dans son droit. Et elle est morte toute seule, avec son lourd secret et sa souffrance. Alors moi, c’est pour elle que j’ai une petite pensée…