Désabusement

par Dre Papillon

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Entendu dans le métro :

“Ah là là, très chère, je ne sais pas si tu as vu, ils ont sorti un article hier, il paraît que le diabète prédispose à la maladie d’Alzheimer. Ha ha ha, qu’est-ce qu’il ne faut pas inventer ! Encore une idée de compagnie pharmaceutique pour faire vendre des médicaments contre le diabète. Je ne vois vraiment pas quel lien il pourrait y avoir entre ces deux maladies. Tiens, prends ma mère : elle a souffert d’Alzheimer, mais jamais du diabète, tu vois !” (Adaptation libre, de mémoire)

Etc. Avant d’en arriver là, les deux femmes, qui ne devaient pas très bien se connaître, ont pris le temps de se rappeler l’une l’autre ce qu’elles font. Alors je peux vous dire que la première travaille dans une compagnie pharmaceutique et fait de la génétique. La seconde a pour employeur l’association de la maladie d’Alzheimer ; je comprends qu’elle fait un boulot de paperasse, genre secrétaire.

C’était plus fort que moi, j’ai dû lever le nez de ma lecture du moment (Knock, de Jules Romain) pour leur vulgariser le lien qu’ils ont sûrement trouvé entre le diabète et l’Alzheimer. Ça me semble aussi évident que le nez dans le visage. Le diabète cause des problèmes aux micro-vaisseaux dans tout le corps. Il y a de ces micro-vaisseaux dans le cerveau également. Or, la mort de ces vaisseaux entraîne des petites zones d’ischémie et de nécrose. Pas des grosses, comme dans un ACV (infarctus), mais c’est le même principe. D’ailleurs, on savait déjà que le diabète prédispose à la démence d’origine vasculaire (logique), qui elle-même est souvent accompagnée d’Alzheimer - un peu comme tous les facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension, problèmes de cholestérol ou de triglycérides trop élevés, athérosclérose…).

Bref, elles ont arrêté de médire sur le sujet et sur les intentions des chercheurs après mon petit discours.

La leçon que je retire de cet épisode de vie est que les gens ont vraiment un problème existentiel avec la médecine, peut-être même avec la science en général. Je ne sais pas trop ce que c’est, une méfiance, une paranoïa, une jalousie, des attentes irrationnelles, ça dépend des gens.

Moi qui ne comprenais pas le comportement de mon père et le pensait spécialement élaboré contre moi. Force est de constater que c’est un sentiment au contraire tout-à-fait général et généralisé.

J’ai l’impression d’entendre partout, à commencer par ma famille, des doléances contre la médecine. Outre mon père, spécialiste es “crier très fort contre les médecins”, ma grand-mère en rajoute régulièrement une couche également. Sur la péritonite non détectée de son frère, tout ça tout ça. À les entendre, tous les médecins sont des gros nuls assoiffés d’argent.

Faut-il rappeler que la maladie, ça arrive des fois, et même la mort parfois ? Qu’une maladie ne se présente pas toujours de la même manière ? La médecine, c’est aussi subjectif, c’est aussi de la chance et du nez. Parce que le médecin ne peut pas toujours devenir ce qui se cache derrière une présentation de symptômes atypique, surtout dans la bouche d’un patient aussi articulé que ceci : “Docteur, j’file pas, ça fait une secousse…” (si si, nos hôpitaux regorgent de ça). Que des fois, il y a des complications, aux maladies comme aux traitements, et que leur taux est même prévisible ? La vaccination n’est pas sûre à 100%, une opération ne l’est pas non plus.

La faute professionnelle, c’est de ne pas savoir ou de ne pas faire quelque chose qu’on aurait dû savoir ou faire de par notre rôle et dans les circonstances. Ce n’est pas la première complication venue, le premier résultat décevant, aussi tragiques et désolants soient-ils, qui constituent une faute.

Je ne demande pas à être adulée comme médecin, je sais que je ne le serai pas. On s’attend de moi à ce que je donne (gratuitement) un “service dû” et à ce que ça marche vite et sans douleur. On ne me remerciera pas les fois où je réussirai (puisque c’est le niveau basal attendu), à chaque fois que miraculeusement (car je n’ai pas fini de m’émerveiller, personnellement) la médecine sauvera une vie, un membre, évitera de la souffrance… Par contre, on me traînera dans la boue à la moindre faille. Sauf que la médecine n’est pas une science exacte, elle relève aussi de l’art. Et l’erreur est humaine - cela devrait s’appliquer aux médecins aussi, eux qui manquent tant de sommeil en plus. Dommage que les malades et leurs familles soient devenus tellement féroces. Ça rend la relation médecin-patient plus défensive, moins belle, alors qu’elle devrait être une alliance.

Le médecin est avec vous, pas contre vous.

Certes, la médecine n’a pas un taux de réussite de 100%. Certains de ses disciples sont meilleurs que d’autres, plus motivés ; d’autres sont plus cupides ou moins doués. Comme partout ailleurs, c’est la vie.

Certes, les médecins gagnent plus que les concierges dans le métro. Mais ils font des études de fous pour arriver où ils sont. Et je peux vour garantir comme il est malaisé de traverser lesdites études avec pour seule motivation des dollars dans les yeux. Pour endurer les privations de sommeil, la charge des responsabilités grandissante, la nécessité de savoir, de se rappeler, d’y penser, à tout moment et même quand ça n’en a pas l’air. Il faut aussi la vocation, être séduit, saoûlé par le fait d’aider les autres, par le maîtrise du geste, par la beauté du corps humain.

En tout cas…


C’est l’histoire d’un médecin bon et aimant avec ses patients. Il les suit depuis tout petits, prend toujours le temps qu’il faut avec eux, est respectueux, obtient un consentement libre et éclairé le cas échéant.

Il faut amputer un bras. Le médecin commet en salle d’opération la pire erreur qui soit : il se trompe de côté. Au réveil, il doit non seulement annoncer à la dame que le problème du bras malade n’est toujours pas résolu, mais qu’en plus, elle a perdu son bras sain.

Piteux, le médecin expose les faits à sa patiente. Il convient que la faute est impardonnable et irréparable, et lui propose même de l’orienter vers un bon avocat.

La dame de répondre : “Ben voyons docteur, vous avez toujours été mon médecin, vous avez toujours été compétent et bon avec moi, pourquoi est-ce que je vous poursuivrais maintenant ? Je ne ferais jamais ça. C’est une erreur, c’est tout, n’en parlons plus.”

Je précise que l’histoire est vraie.

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