La grande déception

par Hoedic

Lecture: ~7 minutes

Moi aussi je vais donner mon feed back sur l’émission Enjeux concernant la déception des Français qui ont immigré au Québec (dispo sur internet en deux parties, ici et ).

Mon moment de choix : le sous-ministre du MRCI disant que seuls 16% des Français s’en vont durant les 8 premières années et qu’il y a un niveau de satisfaction et d’enraciment important.

Ha ! Je ris. Le nombre de Français que je connais retourné en France (ou ayant quitté le Québec au profit d’une autre province !) représente surement plus que ces 16% déjà (bon j’exagère d’accord).

Mais sérieusement, comment le MRCI peut-il oser donner ces chiffres ? C’est tellement évident que c’est impossible. Je ne peux pas croire qu’ils n’aient absolument aucun contact avec le consulat de France dont j’avais entendu une personne donner des chiffres (là encore “à vue de nez”) plus proche de ce que donnait le démographe à savoir un taux de retour de 50% dans les 8 premières années.

Ce qu’ils ne semblent pas comprendre non plus, c’est que les gens ne vont pas dire, en répondant à des sondages par exemple, qu’ils ne sont pas content. On a beau avoir la réputation de Maudits Français, on ne va pas officiellement casser du sucre sur le dos de nos hôtes. C’est ainsi que le MRCI va se retrouver le manque de la famille et le climat comme les principaux critères de départ. Personne ne va mettre “Parce que le Québec fesse !”, ou même parce que le système santé est pourri.

De même quand un Québécois me demande comment je trouve le Québec, je vais généralement dire que c’est bien. Que voulez-vous que je dise ? “Ah c’est nul, les Québécois sont cons”. Donc oui, vous, Québécois, pouvez voir pleins de Français très content d’être ici, le sont-ils réellement ? Moi j’en vois plein se dire très satisfait d’être ici et rentrer tout de même assez rapidement. Le fait de se dire insatisfait, c’est aussi admettre à demi-mot un échec, ça ne fait jamais plaisir.

Il serait donc utile que le MRCI enlève la merde qu’il a dans les yeux et réfléchisse vraiment à ce qu’il fait.

Mais bon, c’est une solution win-win. Pas gagnant-gagnant pour le Québec et les immigrants, mais pour le Québec et le Québec. Quoiqu’il arrive le Québec est gagnant car de toutes manières les immigrants vont ramener de l’argent, beaucoup d’argent quand ils sont Français. C’est déjà ça de gagné. S’ils restent, parfait, sinon, ben ils auront au moins laissé du fric ici. Trop facile, pas de contre-partie négative, ou presque pas.

C’est pour ça que Bernard de Jaham, dont la réputation n’est plus à faire chez les intervenants en immigration s’en foutait plus ou moins de dire tout et n’importe quoi, quitte à omettre tous les aspects négatifs, quitte à amener des gens à se planter, il n’avait rien à perdre à faire venir du monde !

Une des personnes interrogées disait déconseiller à toutes les familles de venir ici. Ce n’est pas par hasard, ça colle à la réalité. Ceci va dans le sens de ce que j’ai affirmé plusieurs fois : le Québec essaie de couvrir un déficit de politique familiale par de l’immigration bien formée qui acceptera peut-être de faire des enfants ne connaissant pas trop la situation ici.

L’autre fois on m’a rétorqué qu’en France la forte natalité venait des immigrants. Ici aussi il y en a beaucoup, des immigrants. Je suis dans un quartier d’immigrants et c’est clair que les familles ont des tonnes de gamins. On se retrouve quand même avec un taux de fécondité lamentable… imaginez ce que ça donne au niveau des “purs laines”…

La question du choix des profils d’immigrants a été soulevée à un moment, et ça me semble vraiment crucial. La DGQ cherche (idéalement) des gens avec un haut niveau d’étude, de l’expérience, parlant plusieurs langues, etc. bref des gens qui ont tout pour être dans une très bonne situation en France. Pour tout dire, ils font plus ou moins partie de l’élite et ont tout d’acquis alors que rien ne leur sera reconnu ici. Ces gens ont tout à perdre. Quand, comme c’est très souvent le cas, ces futurs nouveaux-arrivants se décident sur un séjour de vacances et l’argumentaire de la DGQ, c’est certain qu’ils risquent d’y perdre et d’être déçu. Le MRCI vise mal. S’il veut vraiment relancer la démographie il devrait se contenter de chercher des Français, quelque soit leur profil et leur donner ce qui manque en France, c’est-à-dire la possibilité de progresser à travers les strates sociales à la force de leur travail.

Le reportage qui suivait, sur les autoditactes, révélait un autre fait : il faut de plus en plus des diplomes pour s’en sortir au Québec. Bref, le fameux modèle Nord-américain d’évolution est en train de se scléroser comme en Europe et la méritocratie risque de faire place à un élitisme qui ne dit pas son nom.

Pour revenir sur des éléments plus de terrain, la réaction de Neige dans les commentaires est typique : “Ah mon dieu, qu’est-ce qu’ils sont coincés du cul”. Le comportement des Français comporte une ambivalence aux yeux des Québecois dont ils n’ont pas conscience : ils sont considérés à la fois comme grande gueule et coincés du cul. Quoiqu’il en soit, c’est ainsi que beaucoup d’entre nous sommes et tant que ça ne sera pas admis et que ça ne cessera pas de faire l’objet de remarques stupides, on n’arrivera à rien.

La difficulté de se faire des amis est réelle. Oui, c’est très facile de connaître du monde parce que les québécois, comme tout nord-américain qui se respecte, sont très avenants. Mais c’est souvent une façade. Combien ai-je vu des gens dire “ah ouais, j’ai connu des Québécois, ils m’ont proposé d’aller chez eux” ou “il m’ont dit pouvoir m’aider”, puis il n’ont rien fait et quand on essayait de les contacter ils semblaient se rappeler de rien (de plus, ce n’est pas les méthodes françaises de courir après les gens qui proposent quelque chose). C’est très difficile d’établir une relation de confiance avec la population dans ces conditions. En France, quand on propose quelque chose, ce n’est pas lancé dans le vide, c’est une réalité.

Je n’essaie pas de rejeter la totalité du blame sur les Québécois. Quand je vois la kiné qui a décidé de venir “suite à un séjour de vacances” et qui ne sait même pas qu’elle n’a aucune chance d’avoir une équivalence, je me demande ce qu’elle a dans la tête, sérieusement. Malheureusement beaucoup sont dans des situations assez similaires. Mais d’un autre coté, il y a toute une série d’éléments négatifs qui viennent autant de la population québécoise que du gouvernement et de sa politique d’immigration.

Pour conclure, j’ai rencontré un jour un Français installé ici depuis 12 ans. Bonne réussite professionnelle, pas mal d’amis, bref aux yeux de tous une immigration couronnée succès. Il n’en reste pas moins que non seulement il disait lui-même qu’il sera toujours un maudit Français mais surtout qu’il ne se sentira jamais chez lui.

Carnets de voyage: immigration et exceptionnalisme américain

Un séjour à Washington DC et les pensées qui en découle La suite

Gunnm vs Alita

Publié le 31 mars 2019

Quarante cycles solaires

Publié le 18 mai 2018