Le mur

par Hoedic

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Hier j’ai déchiré mon bas de pyjama.

Ça prête à rire, je suis certain que dans une autre humeur, écrire ces quelques mots m’auraient fait éclater de rire. Pourtant ça m’a profondément atterré. Non que je sois particulièrement attaché à bout de tissu bleu avec différents types de navires que je traîne depuis possiblement 10 ans. Non que je sois bouleversé d’avoir niqué mon deuxième et dernier pyjama en deux semaines alors qu’en temps normal, je dors plutôt en caleçon.

Je discutais récemment avec un ami Français également installé à Montréal qui semblait s’étonner de ma méconnaissance totale des magasins de fringues du coin. Hormis les Simons et autres que j’ai traversé dans des galeries marchandes, je ne connais effectivement rien. D’ailleurs je ne connais les magasins, quel qu’ils soient, que par leur devanture ou pour les avoir traversé.

Depuis que je suis ici qu’ai-je acheté (hormis la bouffe) ? Un manteau d’hiver, un ordinateur puis ça doit être tout. Le reste, on me l’offre.

Certes, tous ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un consommateur effréné, on pourrait même me qualifier assez facilement de radin. En fait, ça tient plutôt au fait qu’on m’a toujours fait comprendre l’importance des sous qu’il ne faut pas foutre par la fenêtre. Non pas que je suis particulièrement vénal ou matérialiste, c’est seulement que je ne dépense pas “inutilement” (et j’ai une notion du utile assez restrictive).

Mais depuis que je suis ici, cette consommation est réellement réduite à l’extrême. Je pouvais bien m’étonner de voir mon compte en banque grimper malgré mes 12$/h et stagner actuellement avec mon “assurance emploi” (quel dénomination stupide). En fait c’est parce que je ne remplace même pas mes fringues qui tombent en lambeaux. Moralité j’enfile quotidiennement des pantalons élimés et des chemises qui ne sont blanches que de loin.

Envisager de remplacer mes enceintes de PC (rien de très couteux) qui sonnent comme de boîtes de conserve et que j’écoute quotidiennement ou pire, m’acheter une planche à voile et aller naviguer font figure de fantasme inatteignable.

Bien entendu, je pourrais m’acheter tout ceci, en piochant dans mon compte ici où il reste quelques milliers de dollars ou en France, ou même, horreur des horreurs, en demandant à Maman. Mais cela ne pourrait se faire sans un horrible sentiment de culpabilité et d’absence de mérite. À tout dire, je ne profite même pas des cadeaux qu’on m’offre.

La clé, le nerf de la guerre, c’est le boulot. Avec un boulot (à hauteur de ce que je vaux), je pourrais réaliser tous mes souhaits de consommateur (assez limités, il faut bien dire). Sauf que de boulot il n’y a pas. Je fais face à un problème pour moi sans solution. Ce n’est pas seulement le fait de me prendre des “non” qui me démoralise, c’est le fait d’être si loin d’un “oui”.

En plus de me sentir de plus en plus nul et de m’en vouloir simplement pour un bas de pantalon que non seulement je n’ai pas remplacé à temps mais que je sais ne pas avoir les moyens de remplacer, je suis devenu plus exigeant niveau emploi. Exigeant ou apathique. Quelque soit le terme, rien ne me tente sauf quelques très rares opportunités.

Bien entendu, je n’ai pas toujours été nul. J’estime que je faisais de l’assez bon boulot quand je bossais chez A. à Paris, malgré le ranking, moyen supérieur, que m’ont filé mes supérieurs (mais j’ai eu des appréciations en or et une lettre de référence superbe venant des clients qui valaient le déplacement). J’ai naturellement un sens de l’initiative qui m’ont permis de lancer et mener à bout quelques projets dont je suis assez fiers. Projets dont je me demande aujourd’hui comment j’ai même pu y penser et encore plus comment j’ai pu les réaliser.

Depuis mon arrivée ici je sombre dans une espèce de mollesse dont je n’arrive pas à me défaire. Il me semble que j’étais un peu comme ça en 1èreS quand mes notes étaient lamentables et que je ne savais que faire pour lutter contre cela (même en travaillant je prenais des taules). Les quelques idées, initiatives, que j’ai actuellement se soldent par des abandons… quand j’ai le courage de commencer.

J’en suis même rendu au point que je ne veux plus voir du monde, sachant qu’inévitablement la conversation va revenir sur ce sujet damné qu’est la recherche de boulot et mon échec patent à réussir à décrocher quoique ce soit et à toujours devoir parler de pistes intéressantes. Même si mon interlocuteur, sachant que c’est un sujet désagréable, évite d’en parler, c’est moi qui vais mettre ça sur le tapis, parce que c’est intrinsèquement lié à ma vie actuelle, parce que ça me pourri l’esprit en permanence sans pour autant que je sois capable de faire des gestes concrets, efficaces, qui pourraient me permettre d’en sortir.

Alors je m’enferme dans mon appartement, dans mes pensées qui tournent en rond.

Par période je me dis que je vais me reprendre en main, qu’en cassant ce mur dans lequel je m’enferme tout sera plus facile, que le plus difficile c’est le premier geste et qu’ensuite ça va mieux, que rencontrer du monde peut aussi m’aider assez directement dans ma recherche de travail. Mais en fait, je me sens mal à l’aise. Et au contraire de ce que je pouvais croire, rien n’est plus facile après, le mur que j’ai essayé de traverser se rebâti encore plus proche de moi, m’étouffant encore un peu plus.

Le summum est l’exaspération est atteint quand en plus tout se met à déconner d’un coup. C’est le cas en ce moment. Depuis une semaine rien ne va. Ça va d’une opportunité de boulot ratée pour un quiproquo stupide à la rédaction de ce (long et fastidieux) message que j’écris pour une deuxième fois puisque, pour la première fois en plus d’un an et demi d’utilisation, j’ai perdu un article (qui était fini en plus). Je ne suis pas superstitieux et crois encore moins à l’astrologie, mais parfois la mierdasse s’acharne tellement que je pourrais me mettre à douter.

Je vais donc baisser les bras… qui de toutes manières n’étaient déjà pas très haut. Le mois de Juillet arrive dans quelques jours et avec lui la quasi-impossibilité d’espérer quelque chose niveau emploi. Je suis inscrit à une maîtrise à Polytechnique Montréal fin août et c’est donc là que je vais m’en aller.

Non pas que j’en saute de joie. Je sais que cela va représenter pour moi encore un an et demi à me serrer la ceinture et même pire, à m’endetter, à être frustré aussi. Mais je ne me vois pas aller plus loin en recherche de boulot, je n’ai plus aucune motivation, j’en suis même rendu au point où je n’arrive plus à me préparer correctement pour une entrevue pour un poste qui m’intéresser au plus haut point. Je vais donc aller chercher un aspect de spécialisation si cher aux employeurs ici, ainsi qu’une formation qui sera moins regardé de travers. J’espère aussi aller chercher une nouvelle capacité de travail, un intérêt pour de nouvelles disciplines ou techniques, bref, de quoi alimenter le moteur.

**Note **: les commentaires sont de retour.

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