Ça m’a encore pris il y a quelques jours, cette espèce de sourde et sournoise vague à l’âme, en croisant dans la rue une personne obèse, en la remarquant peiner pour marcher, s’essouffler, suer, devenir rouge. La tristesse que ces gens-là m’inspirent est sans bornes. Encore heureux qu’elle n’était pas en train de manger quelque chose !
Pourtant, j’en ai déjà vu, des obèses harmonieux, beaux et gracieux. Une danseuse en particulier m’avait profondément touchée une fois. La légèreté qu’elle dégageait !
Nous avons fini par aller voir le film “Super Size Me” ce dimanche. C’était un bon film, qui fait bien le tour de la question, qui met bien le doigt sur les problèmes de l’alimentation et de l’obésité.
Ce qui me gêne toujours, tout de même, c’est que c’est loin d’être la seule cause à ce problème multi-systémique et généralisé. C’est même un peu réducteur. Les gens en viennent à croire que seul McDo, ou le fast-food disons, est la cause de leurs maux.
Alors que ce n’est pas parce qu’ils ne mangent pas chez McDo que les Occidentaux s’alimentent bien ! Le problème est bien plus profond. Il est dans la surabondance de nourriture hautement calorique, pour nos pauvres petits corps dressés génétiquement à emmagasiner l’énergie. Boire du jus d’orange, ou du lait, toute la journée, c’est exploser ses besoins caloriques tout aussi sûrement qu’en se gavant de Coca…
Le problème est donc tout à fait global, au niveau de la société. C’est l’absence de maman pour cuisiner des plats bons pour la santé et au goût, pour éduquer, pour montrer les valeurs justes. Hop, c’est maintenant bien intégré qu’on peut manger, la plupart du temps, des mauvais plats tout préparés ou auxquels il suffit d’ajouter un peu d’eau… On ne sait plus manger, le goût se perd, et du même coup on ne contrôle plus les quantités de sel, sucre, gras que l’on ingurgite. Même des produits “santé” aussi nécessaires que les céréales (et pas forcément celles pour enfants…) ou les yaourts contiennent bien trop de sucre. Pire, quand on choisit un produit “faible en gras”, c’est souvent au profit du sucre, qui lui se trouve augmenté (ou vice versa) !
C’est également le plaisir de bouger qui s’est perdu, entre les banlieues, les voitures, les télés, les jeux vidéos et les ordinateurs.
C’est aussi l’absence de prise de relais par le système éducatif. On n’y mange pas mieux, on n’y est pas moins soumis aux distributeurs de boissins gazeuses, on ne s’y fait pas davantage inculquer la valeur du sport (intégré au mode de vie et non artificiellement surajouté), de la cuisine ou d’une saine alimentation.
Bref, de nos jours, ça commence tellement tôt, enfant, nouveau-né même, que je ne vois pas comment tant de mes collègues/futurs médecins peuvent continuer d’avoir une telle attitude intransigeante et méprisante à ce sujet. Certes, si on regarde froidement les faits, sans humanité, l’individu a effectivement le contrôle sur ce qu’il mange, la quantité, le choix des aliments, de même que sur l’activité physique qu’il pratique. De là à dire que c’est la faute de chaque obèse s’il est obèse, qu’il est nul, qu’il n’a qu’à se forcer et se contrôler un peu ?
C’est faire preuve d’une étroitesse d’esprit qui me fascine… C’est oublier l’infinie complexité des aspects psychologiques humains, des comportements appris, profondément ancrés depuis l’enfance, qui sont tributaires de l’environnement social dans lequel l’individu évolue depuis son premier vagissement. C’est aussi méconnaître de nombreux aspects du métabolisme adaptatif du corps humain.
Pour avoir une tante anorexique, une mère diabétique (en syndrome métabolique), un frère obèse et pour avoir moi-même plusieurs problèmes de poids et d’alimentation (même s’ils ne sont pas graves en tant que tels), je peux vous garantir l’importance que revêt la psychologie dans tout ça. Manger ses émotions, ne pas arriver à se contrôler, subir des phénomènes tantôt proches de la dépendance, tantôt proches de la boulimie (sans la phase de “soulagement” du corps ; seulement l’hyperphagie, le “binge-eating”), en souffrir énormément (pensez seulement à toutes les pressions sociales vers la minceur extrême conçue comme beauté)…
Et vous voulez en rajouter une couche sur ces gens-là, dont la souffrance est pourtant si réelle et tangible, en les accusant et les pointant du doigt, en les trouvant répugnants et honteux ? C’est pas comme ça que vous allez les aider…
C’est donc avec une sensibilité sûrement excessive que j’aborde personnellement toutes les questions se rapportant à l’obésité.
D’ailleurs, le projet de recherche que j’accomplis moi-même cet été porte justement sur l’obésité, l’inflammation, l’athérosclérose et le diabète. En recherche, il est d’usage de lire de nombreux articles scientifiques ainsi que des thèses d’autres étudiants. Eh bien, laissez-moi vous dire que plus d’une fois mes yeux se sont remplis d’eau à la lecture de ces textes pourtant bien neutres et factuels…
Chose certaine, j’ai l’impression que la fourchette de la normalité est bien étroite, qu’on a tellement vite fait d’avoir un comportement alimentaire malsain. Mes meilleures amies ne sont pas loin d’être anorexiques, avec leur IMC à 17, même si elles s’en défendent bien. Et les top-modèles qui continuent d’être toujours de plus en plus maigres, de plus en plus loin de la réalité. Et les sites pro-anorexie qui pullulent sur Internet… La psychologie, en matière de poids, est vraiment indéniable.