Je ne suis certainement pas la première étudiante du monde à ressentir ce phénomène. Mais je dois avouer que l’idée d’en avoir grossièrement fini avec la théorie, avec la vie dans les livres sans conséquences, avec les cas inventés, m’occasionne une angoisse sourde au creux de l’estomac.
Il faut dire, je n’ai jamais été très “pratique”. Je suis plus à l’aise dans le monde des idées que dans celui de la cuisine, de la chimie, de la menuiserie ou du bricolage. Bref, je n’ai pas dix pouces au bout de mes métacarpo-phalangiennes, mais pas loin non plus !
Et là, je vais devoir vivre et agir pour de vrai, en 3D, avec mon corps au complet, toute la journée, tous les jours, toutes les semaines. Mes pensées et mes gestes auront des conséquences, serviront ou causeront du tort pour vrai, feront partie intégrante des soins donnés aux malades.
Je vais d’ailleurs devoir apprendre beaucoup de gestes précis et techniques en peu de temps. Poser un cathéter veineux central, une sonde nasogastrique, réaliser une ponction lombaire ou un bloc du nerf honteux ; voilà plusieurs des objectifs de l’externat qui me donnent des frissons. Et on a beau lire toute la théorie que l’on veut (ce qu’on n’a souvent pas le temps de faire dans la vraie vie, quand au milieu de la salle d’urgence, quelqu’un décide que tu vas poser ta première canule artérielle comme si tu savais déjà le faire, sans te superviser ni rien)… Donc en plus, on va être nuls, on va créer des pneumothorax avec nos premiers drains thoraciques, etc. Le stress et le doute vont nous enserrer la gorge, mais on va devoir jouer l’assurance devant le patient.
Comme autre difficulté de l’externat, je prévois le fait d’être constamment confrontée aux conséquences de mes actes et de mes non-sus devant mes supérieurs. Je suis assez sensible et je pense que d’encaisser cette masse de critiques, pas toujours forcément gentiment formulées, parfois moqueuses, risque d’être difficile pour moi. Il va falloir apprendre à m’assumer, ainsi que mes failles et mes erreurs, avec une attitude positive et un peu d’humour, non dans la dévalorisation. Mais finalement, cet apprentissage sur le terrain, cet avancement à partir des erreurs, est sûrement la meilleure façon d’avancer et de s’améliorer constamment.
Dire qu’en plus, personnellement, je vais tout le temps sombrer dans les vapes, avec mes malaises vagaux (grommelle-t-elle)… À la fin, je n’aurai plus aucun honneur à sauvegarder, garanti !
En ce sens, je dirais que l’expérience que je vais vivre au Sénégal va aussi m’aider à accepter les regards et les jugements sur ce que je fais. Je suis certaine qu’un Occidental doit s’y sentir bien humble. À force de tout faire par machine interposée, on vient à ne plus savoir faire grand-chose comme il faut, dans la vie quotidienne. Les gens là-bas risquent de trouver ça drôle, de nous voir si maladaptés, parfois. Il faudra rire avec eux et non pas s’en désoler. Sinon, on doit trouver le temps long…
Et dire que l’externat, c’est déjà demain, ou presque ! Il me reste un examen final vendredi prochain (j’exulte), puis le dimanche je m’envole, pour commencer mon stage mardi le 31 mai, à Lille, en cardiologie pédiatrique !