Hier j’étais à un congrès sur l’analyse du cycle de vie où j’ai rencontré mon ancienne boss. Elle avait un billet pour la conférence d’Hubert Reeves et David Suzuki. Ça me faisait rater la réunion bi-mensuelle d’Île Sans Fil, mais j’étais curieux d’y aller.
Autant dire ce qui est, Hubert et David sont des stars : 3400 personnes présentes, la file d’attente allait d’un sens puis de l’autre sur toute la longueur du Palais de Congrès. Des personnes arpentaient les lieux à la recherche désespérée de billet à acheter. Bon coup de Projet Montréal qui avait dépêché quelques personnes sur place pour distribuer des cartes ; 3400 électeurs potentiels bien ciblés !
Cette conférence, organisée par Équiterre, rentre dans une grande campagne de sensibilisation accompagnant la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui aura lieu le mois prochain ici-même, à Montréal. Et comme signalé précédemment, le Canada est un hôte bien négligeant en la matière.
La grande salle pour la conférence
Après trois quarts d’heure de retard, une fois l’émotion de la co-fondatrice d’Équiterre passée, les deux hommes se sont exprimés. Du moins après les salves d’applaudissements et de houras ; des stars. Ce type de manifestation me met mal à l’aise, la protection de l’environnement n’a pas besoin de superstars adulées (et ce n’est pas ce que cherchent ces deux personnes), ça ne doit pas être une soirée de divertissement comme les autres dont on ressort en prenant sa voiture comme si de rien n’était.
Quoiqu’il en soit, chacun a développé sa vision. Même si techniquement parlant je n’ai rien découvert, le déroulement de l’argumentaire de chacun valait le déplacement. Hubert Reeves, c’est un astro-physicien poète et c’est palpable dans sa vision des choses. Pour lui, le risque, c’est la disparition de l’espèce humaine avec tout ce qui fut développé : culture, sciences, compassion et autres. Et il n’a pas tort. Comme me l’a dit quelqu’un un jour, la vie survivra. Nous, en tant qu’espèce, et ce dont nous dépendons directement, c’est moins sûr.
Si l’extinction de l’humanité ne me semble pas un scénario envisageable (du moins pas par les atteintes environnementales), la pérénité de la majeure partie des individus n’est pas garantie, elle. Et c’est en fait tout l’enjeu des questions environnementales : c’est nous-mêmes que nous devons chercher à protéger, et surtout les plus faibles d’entre-nous, ceux qui serons le plus directement touchés quand le climat va faire des siennes, quand les eaux vont monter, quand les ressources viendront à manquer. Ce n’est pas défendre une espèce d’oiseau pour le plaisir, c’est défendre un environnement dont nous dépendons et donc nous protéger nous-même.
Si j’adhère à cette vision, je pense que ce n’est pas suffisant pour convraincre. L’idéal humain repose sur le progrès technologique, et on s’en remettra toujours à ce dernier pour espérer s’en sortir. “La montée des eaux ? Ben on déménagera plus loin !”. C’est pour cela que c’est insuffisant.
La vision de David Suzuki, qui m’a vraiment impressionné, correspond plus à ma vision et me semble plus convainquante. En tant qu’espèce, ce qui nous a distingué des autres c’est le concept de futur, comprendre ce qu’est le futur, comprendre qu’il est possible de le changer. Avec cela le cerveau humain s’est développé pour apprécier le monde selon une vision unifiée, où tout est lié, où toute cause aura un effet. Mais aujourd’hui, ces deux concepts sont complètement oubliés. Le monde n’est plus apprécié que par fragments, notre salaire, nos possessions, ou d’autres éléments, sans voir les répercussions, importantes, derrière. Ceci a permis de voir s’installer un système dans lequel il est normal de ne pas savoir, de ne pas considérer les conséquences de nos actes. Rendu à ce point, il devient incroyablement difficile de faire demi-tour, c’est tout le défi en fait. Par ailleurs, nous négligeons de plus en plus le future et la (pré)vision dont on peut en avoir. Ça se traduit souvent en faisant taire ceux qui évoquent les risques du futur, comme ça s’est passé pour la vulnérabilité de la Nouvelle-Orléans. Si un risque n’est toujours qu’un potentiel, il n’en est pas moins réel. Dire qu’en agissant maintenant on peut éviter des troubles climatiques, qu’on peut éviter des pénuries en ressources, devrait être synonyme d’action immédiate.
David Suzuki a pris l’exemple de scientifiques qui, en 1988, ont expliqué que le rechauffement climatique était très probable et qu’il serait important de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre. À cette époque ça aurait nécessité des investissements importants tout en ayant des répercussions positives sur l’économie (développement d’une expertise, créations d’emplois, etc). Aujourd’hui pour repecter Kyoto, il faudrait baisser de 30% les émissions, un objectif impossible et le peu que l’on fera sera incroyablement plus couteux que les solutions de 1988. C’est ça le futur. Du moins c’est à ça que ça devrait servir.
Il en va de même pour le pétrole, pas l’émission de CO2 qui en découle, mais juste sa consommation. Là-dessus, le discours de Suzuki rejoint parfaitement ce que j’ai toujours pensé. Comment peut-on, comment ose-t-on envisager d’épuiser les ressources de pétrole ? C’est le résultat de millions d’années d’évolution, c’est un one-time gift et on se contente de se demander ce qu’on fera une fois la ressource épuisée. Imaginez ce que diraient des humains des siècles prochains : “You just burned it ?”.
Bref, une conférence très convainquante, une piqure de rappelle quand on se demande à quoi ça sert d’aller fermer cette lumière à l’autre bout l’appartement alors que d’autres vont faire un tour de voiture pour le plaisir, un appuyant sur l’accélateur à fond pour montrer qui on est.
Après la conférence j’ai également rencontré un ancien boss qui a été débauché pour être coordonnateur pour l’organisation de la conférence sur les changements climatiques, drôle de hasard.