L'heure des urologues, l'heure des clodos...

par Dre Papillon

Lecture: ~6 minutes

J’ai commencé mon stage de chirurgie et tel que prévu, je m’y sens très mal.

Je dirais que le pire est de ne plus avoir de temps pour soi du tout. Je me lève à 5h15 le matin pour partir à 6h00 après avoir pris un petit déjeuner, et surtout un thé pour tenir éveillé jusqu’au midi. Quand je pars il fait noir, et quand j’arrive à l’hôpital aussi. Donc je n’entrevois même pas le lever du soleil. C’est une heure idéale pour faire les premières traces de pas sur la neige du trottoir, et pour croiser les clodos qui migrent d’un lieu à un autre.

Mais ce n’est pas parce que la journée de travail commence à 6h30 que, comme externe, je fais vraiment quelque chose. Souvent c’est une perte de temps complète jusqu’à 8h, heure ou la tournée commence. En effet, il y a déjà 4 résidents dont 3 seniors ainsi que 8 patrons en urologie, pour faire la ou les consults à l’urgence (0 à 2 consults par matin). Le rôle de l’externe consiste souvent à rester debout en ayant l’air de s’intéresser et en masquant les bâillements de fatigue. Premièrement, ne pas nuire, prennent-ils un malin plaisir à nous rappeler.

La tournée d’étage peut ensuite durer 10 minutes quand elle est normale ou 4 heures quand c’en est une d’enseignement. Le patron de la tournée d’enseignement est un vieil homme bourru de 72 ans qui a fait pleurer des générations d’externes et de résidents avant moi. Sans compter les infirmières et les patients. Les résidents se font littéralement massacrer par lui pendant des heures, me donnant simplement l’envie de rentrer sous le plancher. Heureusement, il est un peu plus indulgent avec les filles, surtout si elles portent un bon nom québécois rassurant. Mais je ne vous raconte pas plus la pénibilité de tourner avec lui. Quant aux tournées de 10 minutes, on n’y comprend rien parce les résidents font tout à toute vitesse et il ne faut surtout pas être dans leurs jambes.

Ensuite il y a au choix les consults à l’étage, les cliniques externes ou la salle d’op. Les résidents qui se sont fait détruire pendant la tournée doivent ensuite se venger un peu sur nous, et ils aiment bien décider de nos activités. Donc je me suis souvent retrouvée en salle d’op bien malgré moi, ce qui dure longtemps et est littéralement frigorifiant. Je sors de là avec les 4 extrémités cyanosées après des heures à ne pas voir grand-chose.

En clinique externe, contrairement à tous les autres stages, l’externe ne voit pas les patients seul à seul. Comprenez que 65 patients à passer en une demie-journée, ça ne permet pas à un externe de faire perdre du temps. Donc on suit le patron, i.e. on ne fait rien et on reste debout, car il n’y a pas de chaise prévue à cet effet. Et le patient a ainsi droit en ligne jusqu’à 4 touchers rectaux. Et hop, au suivant, baissez votre froc monsieur, c’est parfait, NEXT. La clinique externe du patron bourru sus-nommé est très intéressante même pour le patient, car il n’explique rien, ne répond pas aux questions voire parfois ne répond même pas à la raison de consultation. Et ce, même si le patient a pris l’avion de Val D’Or (700 $) pour venir voir le grand spécialiste.

Par ailleurs, comme les consults ont été faites à 6h30 et qu’il y a une armée de résidents, il y a souvent des temps morts ensuite pendant la journée. Bon, pour le coup, je ne m’en plains pas, parce que la quantité de lectures pour remplir les objectifs et passer l’examen à la fin est phénoménale en chirurgie. Et ce n’est pas pendant les activités hospitalières que l’on apprend, particulièrement en salle d’op.

Le tout, bien entendu, dans une ambiance macho à souhait. Exemple de question que l’on se fait poser le premier jour alors que l’on n’y connaît rien : “Alors les filles, qu’est-ce qu’on donne pour alcaliniser les urines ?”. “…” “Vous devriez savoir ça, vous en mettez dans vos pâtisseries !” Grrrrmhhhfff.

À 16h, tous les jours, on peut enfin cesser ce que l’on fait pour aller à un vrai cours. Là on reçoit un peu d’enseignement vraiment utile. La seule chose, c’est qu’on est légèrement fatigué rendu là, et que ça fait sortir à tous les coups à 17h, 18h voire 19h le mercredi. (Sans compter qu’en urologie, après le cours, il faut retourner à l’étage faire les admissions…) Au moins comme ça, il n’y a pas de problème, je suis sûre de ne jamais voir la lumière du jour !

Donc on rentre à la maison et il reste une soirée de 2-3h pour faire à manger, manger, faire la vaisselle, se brosser les dents et se laver. Ensuite, on peut avancer ses lectures pour l’examen. Et se coucher à 21h pour pouvoir se lever à 5h le lendemain.

Ma vie se résume en tâches successives et mes journées de “travail” durent 11 à 12h. Et ce n’est même pas pour quelque chose qui m’intéresse ou qui me semble particulièrement utile dans ma formation. Je m’ennuie globalement pendant de longues heures et je ne fais grossièrement rien. Ou si peu, ça pourrait tenir en 1-2 heures seulement.

Et après, on se demande pourquoi je somatise… Maux de ventre terrible, maux de cou et de tête terribles aussi…

Je dois tenir 2 mois comme ça. (C’est pour ça qu’aujourd’hui j’ai décidé que j’étais malade et que je n’y allais tout simplement pas.)

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