Les anomalies de la psychiatrie au Québec

par Dre Papillon

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Non, pour une fois, je ne vais pas vous parler de ce que je vois depuis l’intérieur de notre système de santé. Je vais simplement vous en parler du point de vue d’un patient : mon frère.

Pour ceux qui n’ont pas suivi mon récit décousu dans le temps depuis ces dernières années : mon “petit” frère est en proie à des problèmes psychologiques ces dernières années. Tout a commencé avec un bégaiement qui remonte à l’enfance et qui n’avait pourtant plus l’air de poser problème à l’adolescence. Erreur, grave erreur.

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Graffiti

En plus d’en développer des complexes sournois et mesquins, mon frère en a développé une fulgurante phobie sociale et a sombré dans une dépression carabinée dont il n’est toujours pas sorti (certes peut-être aussi sur un fond de personnalité dépressive).

Du jour au lendemain, il a refusé de retourner à l’école. Se sentant dans une impasse, la nuit de la rentrée, il a même failli passer à l’acte, ayant un plan suicidaire bien établi. C’est un ami à lui via Internet qui l’en a dissuadé en le convaincant que dans la vie, on a toujours le choix (et qu’il pouvait simplement ne plus aller à l’école). Je serai toujours infiniment reconnaissante envers cette personne, j’espère le penser assez fort pour que ça se rende jusqu’à elle. Et depuis ce temps, je suis très partisane de cette façon de voir la vie : on a toujours le choix. C’est important, parce que c’est dans les pires impasses que l’on commet aussi les pires conneries.

C’est depuis ce temps que se sont succédées maintes et maintes thérapies. Psychiatrie et anti-dépresseurs (plusieurs ont été essayé, parfois en co-action et à haute dose, mais aucun ne semble vraiment fonctionner), orthophonie bien sûr (avec exercices quotidiens), psychothérapie (avec pour le plus récent un spécialiste de la phobie sociale utilisant l’hypnose, l’EMDR, etc, mais ces méthodes n’ont pas marché), ergothérapie (oui), thérapie de groupe pour phobiques sociaux. Il a aussi suivi plusieurs cours de cégep à distance pendant cette période en obtenant de bons résultats.

Qu’est-ce qu’il a travaillé fort, mon petit frère ! Plus fort que je ne l’aurai jamais fait dans toute ma vie, ça c’est certain. Qu’est-ce qu’il a évolué et avancé, dans sa tête et dans sa vie, même s’il n’y paraît pas encore beaucoup !

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Spring is blowing out

J’aimerais revenir sur la partie “thérapie de groupe” de son problème (c’est une thérapie qui semble très importante dans les livres de psy sur le sujet et c’est moi qui lui avait suggérée). C’est là que notre expérience avec le réseau public a commencé (car avant ça, grâce à l’assurance privée de ma mère, il avait un accès aisé aux thérapeutes sans attendre des années sur une liste d’attente).

Déjà, on a dû se frotter à la réalité de la sectorisation. Comme il dépend de l’Hôpital Le Gardeur, il n’a le choix que d’aller à cet hôpital (et ses cliniques rattachées) et nulle part ailleurs. Peu importe la longueur des files d’attente.

Ce fut d’abord la galère pour entrer dans ce système, qui nécessitait de multiples étapes, démarches et références. J’imaginais un malade psychiatrique un peu plus mal en point ou un peu moins bien entouré que mon frère, et je ne vois déjà pas comment il est possible ne serait-ce que d’entrer dans ce système. Et je suis sérieuse. (Pas étonnant ensuite que le tiers des itinérants soit schizophrènes, avec la désinstitutionnalisation en plus…)

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Magnolia in the spring

Ensuite, il a fallu se faire entièrement à leurs façons de faire. Rayer les autres médecins consultés (car ils veulent avoir pleine marge de manoeuvre sans que personne d’autre n’y regarde), etc. Mon frère a fait tout ça docilement. Il a pris la psychiatre qui lui était attribuée d’office, que nous surnommerons désormais “Soeur Constance” pour les besoins de la cause, ainsi que l’ergo qui venait avec. Il a attendu de longs mois pour une thérapie de groupe, qui ne semble pas avoir été très satisfaisante ni concluante après coup.

Et depuis tout ce temps, il se tape cette psy régulièrement. D’un point de vue extérieur, elle a vraiment l’air de le mener par le bout du nez, comme un sale délinquant décrocheur, avec une fermeté inouïe et une bonne dose de mépris. (Non pas que je veuille rabaisser ces derniers, simplement, les méthodes coercitives à utiliser avec eux ne sont peut-être pas les mêmes.)

Son dossier avait été clos en décembre puisqu’il devait enfin retourner au cégep à plein temps en janvier (point ultime devant marquer pour elle la fin de tous ses problèmes). Malheureusement, la rentrée scolaire a finalement été au-dessus de ses forces cet hiver, même si je l’avais accompagné jusqu’à la porte de la classe ce matin-là pour l’encourager. (Au final, il a quand même réussi à suivre un cours.)

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Tulips are the spring flowers

Il est donc retourné voir cette psychiatre, qui l’a longtemps sermonné sur le fait qu’il ne respectait pas ses engagements, etc. Elle a élaboré avec lui (mais plutôt unilatéralement) un contrat thérapeutique dans lequel elle l’oblige à faire tant de lessives, à cuisiner tant de repas, etc., par semaine. Comme si l’autonomie était un problème si majeur pour lui ! Il me semble que c’est très accessoire dans les circonstances et que j’étais encore assez manchotte dans une maison à son âge. Ça vient assez naturellement avec la nécessité (i.e. quand on part de la maison ou qu’on se trouve seul un certain temps).

En plus, Soeur Constance passe son temps à dénigrer le fait que ma mère aide mon frère dans certains déplacements (quand on habite en banlieue, on peut vite passer des heures dans les transports en commun entre des points mal désservis), qu’il habite chez elle, etc. Comme si à 21 ans il n’y avait pas encore plein de jeunes qui habitent chez leurs parents et qui se font aider.

Elle voulait aussi l’obliger à avoir trouvé un boulot pour le RDV suivant (comme s’il suffisait de claquer des doigts pour en trouver un). Et elle poussait très fort pour qu’il aille vivre dans une résidence pour jeunes psychiatrisés à Mascouche. (Tout en refusant de signer un papier d’impôts au sujet de ses troubles psychologiques, car elle prétend qu’il est normal et n’a pas de problème).

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Funny breathing graffiti

Et tout ça, bien sûr, en faisant fi du fait que mon frère souhaite poursuivre ses études au cégep à Montréal dès qu’il en sera capable (et non se trouver une jobine pour le restant de ses jours, ni vivre à Mascouche).

De manière générale, cette façon de régir sa vie dans les moindres détails me semble d’abord intolérable et ensuite nuisible. S’il devait s’habituer à se faire dicter ainsi quoi faire à chaque instant de sa vie, comment pourrait-il effectivement être autonome à la fin ? Il me semble qu’il faut toujours garder une saine distance dans l’approche thérapeutique. J’ai plutôt l’habitude de voir des professionnels t’aider à “accoucher” de ce que tu veux faire (comme Socrate qui accouchait les esprits) ; jamais te l’imposer sauvagement de l’extérieur.

Apprendre à cuisiner a été pour moi une découverte très tardive mais plaisante, car venant de moi. Avec cette psy, je crains maintenant que ce genre de découverte ne puisse survenir chez mon frère et qu’il en reste dégoûté à vie.

De manière plus générale, j’ai d’abord eu peur qu’il se sente coincé dans un étau tel qu’il passe finalement à l’acte, surtout que des pensées dans ce sens lui sont revenues cet hiver.

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Spring is blowing out

Ensuite, j’ai eu peur qu’elle en fasse un vrai décrocheur à force de nier son projet de retourner au cégep pour vivre ce qu’il n’a pas encore pu y vivre à cause de ses troubles, tout en retrouvant le cheminement d’études qu’il s’est lui-même fixé en démarche d’orientation.

Évidemment, mon frère demeure très fragile, empli de questionnements et de doutes. À cause de sa grande instabilité, il n’a jamais été capable de déterminer s’il devait se débarrasser de cette psy. Il se sent mal à l’aise avec elle depuis le tout début. Il revient de chaque rencontre sur les rotules et déprimé. Mais à chaque fois, ne sachant pas si ce n’est pas elle qui aurait raison au fond, il a poursuivi en faisant tout ce qu’elle disait. Une persévérance incroyable, je vous dis, même devant l’adversité.

Mais la dernière fois que je l’ai vu, sous sa déprime, il y avait une colère noire, enfin. Il n’en peut plus de se sentir comme un objet entre ses mains, jamais respecté, jamais encouragé, seulement dénigré, dégradé, méprisé. Il a enfin décidé qu’il n’en peut plus d’elle. Malheureusement, elle a exigé de le voir en RDV une dernière fois pour “en discuter”, et je crains que du haut de son piédestal et avec sa grosse personnalité hautaine, elle ne l’écrase, lui si fragile et avec tous ses doutes. J’espère qu’il va y arriver mais ce ne sera pas facile.

Si jamais je devenais un médecin comme ça, j’espère que quelqu’un sera là pour me faire signe. D’abord ne pas nuire, qu’ils disent…

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Marché Maisonneuve Market

Le seul bémol, c’est qu’effectivement cette psy a réussi quelques bons coups, avec sa poigne de fer. C’est grâce à elle qu’il a gardé un cours, ou qu’il a commencé du bénévolat, dernièrement. En même temps, ce sont là les apparences extérieurs : on constate qu’il fait ci ou ça. Mais l’important est plutôt comme il se sent en les faisant, plutôt que ce que l’on voit. Et être mué par une force de contrainte rigide et une peur sourde… ne me semble pas être la source d’énergie la plus pérenne et la plus saine au monde.

Malgré tout, moi, je suis très fière de mon frère. Je trouve qu’il a parcouru un trajet immense depuis le début. Il s’exprime de mieux en mieux et se débrouille dans la plupart des situations de la vie. Il a commencé à faire du judo, a gagné une médaille d’argent récemment et a obtenu une ceinture de niveau plus élevé. Il va bientôt passer son permis de conduire. Il vient de commencer à faire du bénévolat à la Société Saint-Vincent-de-Paul (20h par semaine) et s’y fait très apprécier. Il s’est même déjà fait offrir un emploi payé à temps plein ! Il travaille fort pour son cours d’histoire de l’art au cégep. Il suit toutes ses thérapies avec beaucoup de sérieux et fait tous les exercices recommandés.

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Tulips are the spring flowers

Tout ce qui continue de manquer se trouve à l’intérieur. Ça ne se voit pas, ça ne s’évalue pas, mais c’est le plus important. Un soupçon de vie sociale plus normale, une étincelle de bonheur, quelques rêves et projets… J’espère de tout coeur qu’il s’en approche tranquillement, une petite réussite à la fois.

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