Apologie de l'oubli

par Hoedic

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Depuis quelques années maintenant, une bataille acharnée oppose Google, qui souhaite numériser tous les livres de la terre, et les éditeurs, qui craignent de perdre le contrôle de leurs sources de revenus. Ceci sans oublier la projet de bibliothèque numérique européenne, projet concurrent (et surtout public).

Dans un (long mais très intéressant) article publié par le NYTimes, Kevin Kelly dresse un bilan de la situation… et de l’avenir. De quoi peut accoucher tout ce remue-ménage ? Potentiellement beaucoup car les enjeux sont énormes. Selon l’article, les textes, numérisés et plongés dans l’univers d’Internet deviendront vivants, se lieront les uns aux autres, créeront des grappes d’information pertinentes et facilement compréhensibles ; et ce sont les outils de recherche qui auront pour fonction de structurer les étagères de ce savoir universel et de relier entre elles les connaissances.

Mais voilà, avoir accès n’est pas savoir et savoir n’est pas comprendre ou utiliser correctement. Par ailleurs dans cette bibliothèque universelle, il n’y a plus de place pour l’oubli. Tous les livres existant encore sur papier seront numérisés et indexés, sans parler de tous les contenus “nés” numériques, qui le sont déjà (nos blogues, nos commentaires, nos mails sur des listes de diffusion, etc.)

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Musée d'art contemporain à Ottawa

Sauf que chez l’humain, l’oubli est une fonctionnalité.

Des cas d’ACV montrent que certaines zones du cerveau permettent une remémoration visuelle ou auditive quasi-parfaite. Le cerveau possède les structures concurrencer un ordinateur sur son propre terrain. Cependant, ces souvenirs pouvant remonter très très loin, ne sont pas accessibles à la conscience, ils remontent seulement lors d’erreurs de parcours du cerveau. Surement que nous aimerions pouvoir faire remonter ces parfaites images et chansonnettes de notre enfance à volonté, mais surement que l’oubli est utile au fonctionnement de l’ensemble.

D’abord, l’oubli est ce qui nous permet de lâcher prise sur les événements tragiques de notre vie, nous permettant ainsi de continuer. C’est aussi une fonctionnalité avancée de tri de l’information ; ce qui est valable est conservé, le reste oublié. Souvent les conséquences d’une action sont retenus, inclus dans la mémoire sans que les faits antécédents le soient. Bref, la mémoire humaine et son corrolaire, l’oubli, sont le moteur de notre intelligence.

Que deviendra une société sans oubli ?

Car il ne faut pas se leurrer ; au milieu de cette bibliothèque universelle que nous promet Kevin Kelly, le facteur limitant sera l’humain, l’humain qui encore devra gérer toute cette information dont nous avons déjà du mal nous sortir. Une mémoire rémanente, omni-présente qui nous surgira à la figure à la moindre occasion.

Je me rappelle avoir lu un billet de Karl (En parlant de lui, il vient de faire un billet qui porte à réfléchir sur la notion de commentaire (sur le web)) dans lequel il évoquait la possibilité de créer un script qui dégraderait lentement l’historique de son carnet, reproduisant ainsi naturellement l’ouvrage du temps sur les actions humaines. Cependant, il n’échapperait pas pour autant au paradigme nouveau de la copie inifinie : un moteur de recherche (Google ou Archive.org) pourrait lui ressortir une copie, de même qu’un lecteur consciencieux ayant archiver une page serait également en mesure de lui remettre sous le nez un texte biffé par son script logophage.

Entre devoir de mémoire (au sens large, celui qui devrait éviter à l’histoire de se répéter) et besoin d’oubli, pourrons-nous trouver un équilibre ?

P-S : Être en mesure d’exhumer très facilement le journal de 20 heures du 15 mai 1978 (ou un autre) n’aidera pas PPDA à faire son deuil de l’époque où il avait des cheveux… pas plus que ça ne lui fera oublier la cravate bleu-blanc-rouge qu’il portait se jour.

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