La gratuité de l'éducation : le pourquoi du comment

par Dre Papillon

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Christian Rioux, correspondant à Paris pour Le Devoir, signe un bel article sur la gratuité scolaire dans L’annuaire du Québec 2006, une publication de l’INM.

L’auteur n’en revient de tous les savants calculs qui sont faits sur le sujet (compte pour les parents, remboursement de dettes à longue échéance…?). Tout ça sans jamais s’interroger sur le sens de la gratuité. Il s’agit pourtant d’un choix de société important, qui véhicule un message social.

L’air est gratuit, malgré la valeur que l’on pourrait lui attribuer. Le sang des transfusés l’est aussi. Parce que la vie ne se monnaye pas. Les espaces verts et les places publiques constituent aussi des endroits où les gens peuvent se rencontrer et contribuent à la salubrité des villes. Les bibliothèques aussi sont gratuites, parce que les livres et le savoir sont jugés importants.

Pourtant, l’eau est payante en Europe. Peut-être que notre rapport avec la nature est différent de là-bas. Nous avons “découvert” ce continent presque vierge, avec des ressources pouvant sembler inépuisables. Cette idée a davantage disparu d’Europe, avec le temps.

De même, notre rapport avec le territoire et la liberté rend quasi impossible l’imposition de péages d’autoroute ici. Même si les routes couvrent des distances immenses et coûtent une fortune à entretenir, à cause du climat.

L’amour des enfants est peut-être le geste gratuit par excellence, qui échappe encore à la logique du marché car ne pouvant être échangé.

Bref, la gratuité n’est pas forcément une question de coût. C’est surtout une question de valeurs et de choix.

La vraie question qui se pose est : qu’est-ce qui doit être gratuit ? Chaque société doit répondre à cette question selon ses idéaux. Et ce n’est peut-être pas aux comptables de décider de nos valeurs. Discuter du dégel des frais de scolarité quand les routes sont gratuites, c’est aussi signifier que la voiture est peut-être plus importante que le savoir et l’éducation.

Pourtant, l’université n’est pas qu’utilitaire. Elle exprime aussi l’importance qu’on donne aux jeunes de notre société, elle concerne notre patrimoine culturel. C’est d’ailleurs pourquoi l’école primaire a été rendue gratuite, puis le secondaire et le collégial. Le savoir et la culture sont des données vitales pour notre société et c’est pourquoi nous avions choisi de les sortir du circuit marchand par un idéal de gratuité (pas toujours parfait, certes, mais la tendance était là).

Celui qui étudie n’est pas un investisseur dans l’avenir devant payer sa quote-part, et le savoir n’est pas non plus une marchandise. L’université ne devrait pas être un vaste fonds de gestion.

Tout comme l’université n’aurait peut-être jamais dû devenir une entreprise de marketing à la recherche de consommateurs, visant à livrer une expérience globale. Ce qui est beaucoup le cas aux États-Unis maintenant, et un peu moins ici.

L’éducation devrait rester un geste gratuit et désintéressé, un cadeau aux générations futures, le plus beau que l’on puisse faire d’ailleurs.

Les choses qui ont le plus de valeur sont souvent gratuites : la famille, l’amitié, l’amour, la connaissance, la culture… Rendre quelque chose gratuit, c’est en faire un bien commun essentiel. Un don.

Selon l’anthropologue Maurice Godelier, pour qu’un don soit créateur de liens sociaux, il faut qu’il semble indispensable à tous les membres de la société. Il doit circuler entre eux pour que tous puissent continuer d’exister. De plus, le don crée une dette. (Contrairement à l’échange sur le marché, qui laisse les individus totalement libres… Dixit Marx.)

Il est normal d’assumer cette dette envers la société, et c’est même un plaisir. Malheureusement, on a de moins en moins l’habitude de devoir…

Mais je suis certaine que les valeurs de notre société demeurent celles qu’elles étaient.

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