Bonne chance

par Dre Papillon

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Mercredi soir, nous avons assisté à notre premier “ciné-débat” de l’Institut du Nouveau Monde (INM). Le documentaire présenté s’intitule “Bonne chance” et a été réalisé par Marie-Ève Chabot.

Il s’agit d’un très beau film, très émouvant. Un film qui montre des jeunes pleins de bonne volonté, idéalistes, et tout à fait honnêtes intellectuellement. Mais certainement très naïfs.

Les cinq jeunes partent avec leur vieille camionnette remplie à ras bord, de France jusqu’en Afrique de l’Ouest. Le but est d’aller présenter du cirque (même s’ils ne sont pas spécialement artistes de cirque) sous forme de spectacles et d’ateliers aux Africains, tout en leur faisant passer “subtilement” un message de prévention du VIH par le port de la capote.

Un peu comme Patch Adams et ses clowns, qui a d’ailleurs fait des émules dans les pays pauvres. Offrir un peu de temps, de rire et de rêve.

Pas une once de méchanceté dans les intentions. Bien que de façon avouée, le voyage était fait davantage pour lui-même que pour aider qui que ce soit.

Mais. Ce qu’on observe en hochant tranquillement la tête, ce sont des jeunes qui n’ont pas tellement préparé leur voyage. Qui se mettent régulièrement en danger, au mépris le plus élémentaire de leur santé. Qui n’ont pas la moindre idée de la réalité locale, des besoins réels, de la façon de faire passer les choses au-delà l’épaisse barrière transculturelle.

Je le répète, le film est magnifique. Superbement fait, un son et un montage parfaits. C’est beau de voir tous ces Africains, petits et grands, pleins de vie, réjouis par les activités. Il faut dire, les enfants africains ne sont pas difficiles à amuser. D’habitude, personne ne s’occupe vraiment d’eux, et l’aspect ludique n’est absolument pas prépondérant dans leur vie. L’humour demeure cependant une composante majeure de la façon qu’ont ces peuples de transcender leur condition parfois difficile. Ils y ont recours facilement, au moindre prétexte.

On ne peut pas dire que les Africains que j’ai côtoyés soient malheureux. Ils n’ont certes pas l’impression de “vivre dans un trou” ou je ne sais quoi. Même s’il est vrai que le projet d’immigrer en Occident est de plus en plus prépondérant dans l’imaginaire collectif (et qu’il cause visiblement de plus en plus de problèmes à l’Europe, et à Sarkozy en particulier). C’est un rêve qui est loin de la réalité, une promesse de vie meilleure. L’espoir fait vivre…

Le film me ramène à tous ces questionnements qui me taraudent depuis mon voyage au Sénégal. Pourquoi se mêler de la vie des autres ? Pourquoi risquer de faire du tort à des gens qui ont une autre façon de vivre, de voir les choses ? Dont le mode de vie est certainement en phase avec les valeurs, peut-être plus encore que les nôtres. Et nous viendrions déstabiliser tout ça ?

Même en y réfléchissant très fort, très longuement, en en discutant, en en débatant, en lisant sur le sujet, la ligne est suivre n’est pas claire. Ce qu’on pense faire pour le bien, pour aider, que ce soit de la façon spontanée et idéaliste de ces jeunes du Capoté Circus, ou dans le cadre d’une action préparée et inscrite dans la durée avec des partenaires locaux sensés connaître leurs propres besoins précis. Il est pratiquement impossible de savoir ce qui est bon, et encore plus de savoir comment y parvenir. Le battement d’ailes d’un papillon en Polynésie peut provoquer le sourire de l’enfant qui l’observe, et aussi un ouragan dans les Caraïbes…

Est-ce à dire qu’il faudrait se retirer, s’en laver les mains ? Je me refuse toujours à le croire. N’y a-t-il pas tout de même des valeurs que nous défendons, que nous voulons partager sans les imposer, et que nous pouvons juger d’un intérêt suffisamment universel pour les porter ? Comme la santé, ou l’éducation ? La démocratie ? Il n’y a certes rien de parfait, et nos sociétés sont possiblement encore plus tordues que les leurs. Mais la déstabilisation a déjà commencé et est bien avancée. Ils ne vivent pas en autarcie. On ne peut les ignorer.

L’argent en développement international est souvent mal investi, mal utilisé. Un cadeau empoisonné ou qui revient au donataire de façon détournée. Même le fait de recevoir des dons, du matériel, de la main-d’oeuvre étrangère temporaire, directement, ne sont pas sans influence sur un apprentissage de “mendiant” qui en dépend pour survivre. On peut facilement se sentir désabusé par les effets pervers de nos interventions.

Il y a un parallèle que l’on puisse faire avec l’intervention auprès des enfants victimes de violence, d’abus ou de négligence. La Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ)(Des exemples récents éloquents…) a certes ses défauts et plusieurs erreurs à son actifs. Des placements malheureux qui perdent de vue en cours de route leur objectif principal : le bien de l’enfant. Des liens d’attachement constamment coupés et recoupés au fil des placements et des “chances redonnées” aux parents biologiques, qui récidivent ensuite. Finalement, on pourrait croire qu’à certains points de vue, il vaudrait mieux ne pas s’en mêler. Un mauvais parent, au moins, c’est un parent, alors que dans les placements successifs voire dans les centres jeunesse, il n’y a plus de parent du tout. Et à 18 ans, on les met à la rue avec un coup de pied dans le cul. Et ils se retrouvent itinérants, ou retournent dans leur milieu chaotique et néfaste. Et ils se droguent. Et ils commettent un méfait qui les mène en prison, où ils font des apprentissages très utiles pour la suite, mais pas forcément en phase avec ce qui est souhaitable dans la société… Quelle belle école de la vie que la prison où ils n’auraient jamais dû mettre les pieds !

Non, la conclusion de tout ça est certes qu’il y a beaucoup place à amélioration, mais sûrement pas qu’il faille baisser les bras et tout abandonner ! Chose certaine, l’enfer est pavé de bonnes intentions… Qui elles, ne sont garantes de rien.

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