L'arrêt Chaouilli et le privé en santé

par Dre Papillon

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L’arrêt Chaouilli, c’est cette décision de la Cour Suprême du Canada statuant que le Québec ne peut interdire à un citoyen de prendre une assurance privée pour obtenir des soins médicaux. En effet, il a été jugé que l’attente dans le système public est parfois inacceptable et met en danger la vie et la santé des patients. Cet arrêt va même à l’encontre de la ‘‘Loi canadienne sur la santé’’, dont les cinq principes fondamentaux sont : gestion publique, intégralité, universalité, transférabilité, accessibilité.

Québec, dans sa loi 33 du printemps dernier, cherche donc à garantir des délais raisonnables au public, recourant sinon à des cliniques privées aux frais de l’État. De plus, il est maintenant permis de contracter une assurance privée pour la chirurgie de la hanche, du genou et de la cataracte.

Pourquoi est-ce que le privé est une si mauvaise solution ?

On sait que le Québec consacre 9,6% de son PIB brut à la santé (comparativement à 10,9% au Canada, 10,2% en France et 14,7 % aux Etats-Unis), répartis actuellement en 30% de privé et 70% de public (une répartition comparable à la France). On peut donc constater que le privé est déjà bien impliqué au Québec (pensons aux dentistes, optométristes, physiothérapeutes, médicaments…). On peut aussi se surprendre des coûts aussi élevés aux Etats-Unis malgré une mauvaise couverture de la population. Quant à nous, si on se compare, on pourrait croire à voir ces chiffres que le financement de notre système de santé est adéquat et que le gros du problème réside dans l’organisation et l’efficacité du réseau, en particulier la première ligne.

Notre système de santé s’est toujours voulu juste, équitable et universel, et le consensus dans la société est toujours pour qu’il le demeure. Donner une plus grande part au privé à but lucratif a souvent été avancé comme une solution pour améliorer l’accessibilité des soins et contrôler les coûts. Pourtant, les exemples ailleurs ne semblent pas prouver que le privé améliore la situation…

La première étude (Devereaux et al., CMAJ 2002) est une revue systématique et une méta-analyse comparant les taux de mortalité entre les hôpitaux publics et privés aux Etats-Unis. Les résultats sont éloquents : les taux de mortalité pour les mêmes types de diagnostics/patients sont significativement plus élevés de 2% dans les hôpitaux à but lucratif. Les explications avancées en seraient : une proportion moins élevée de personnel hautement qualifié, l’obligation de dégager des profits de 10-15% et de payer des taxes. Le seconde étude de la même équipe (CMAJ 2004) compare les coûts absolus pour des services similaires dans des hôpitaux publics et d’autres à but lucratif. C’est aussi une revue systématique et méta-analyse, faisant état de coûts significativement supérieurs d’environ 19% dans les hôpitaux privés. Il est donc faux de croire que le privé permet de faire diminuer les coûts ou d’augmenter la qualité des soins…

La troisième étude vient de Woolhandler et al. (NEJM 2003) et compare les coûts de l’administration de la santé entre le Canada et les Etats-Unis. Ces coûts sont beaucoup plus élevés aux Etats-Unis, représentant 31% des dépenses de santé (1059 $ per capita), comparativement à 16% au Canada (307 $ per capita). À croire que la gestion publique du réseau n’est pas si désavantageuse !

Les conséquences du privé en santé sont potentiellement nuisibles, il devrait donc être réglementé et contrôlé de façon stricte. Quant à l’accessibilité, de façon conceptuelle, on voit mal comment le fait de répartir différemment l’offre limitée de médecins et de personnel en contexte de pénurie (certains en privé et d’autres en public) pourrait faire autrement que de simplement déplacer le problème. Ceux qui payent auront peut-être un meilleur accès, mais au détriment du système public, où les listes d’attente s’allongeront. Ceci est d’ailleurs bien démontré par l’expérience au Manitoba, en Alberta, au Royaume-Uni et en Australie (dans À bas les mythes sur le système privé parallèle et les temps d’attente, 2005).

Pour terminer sur le privé, on a plusieurs fois démontré que de lui ouvrir la porte augmente les coûts totaux de la santé (et ce sont toujours les citoyens qui payent au fond), augmente les listes d’attente dans le public et augmente aussi les coûts de gestion du système de santé. Pourtant, l’arrêt Chaoulli va quand même dans ce sens… C’est que d’un point de vue purement individuel plutôt que populationnel, la personne qui a les moyens de se payer un service privé est effectivement objectivement avantagée. Elle réclame donc ce « droit » à grand cri, même au détriment des autres.

Au fond, si le système de soins était satisfaisant, il ne serait pas nécessaire d’avoir recours au privé et la solution réside dans le fait de le rendre satisfaisant. Et si nous sommes prêts à nous payer en double une assurance privée tellement cela nous importe, c’est que nous serions aussi prêts à en payer un peu plus par nos impôts, le cas échéant. Personnellement, j’aurais honte que notre système en devienne un comme celui des Etats-Unis où tellement de malades sont des laissés pour compte du système de soins…

Or il existe bien d’autres formes de privés que celui des États-Unis, comme par exemple les fameux PPP (partenariats public-privé), où une entreprise privée offre un service public selon des normes de services strictes fixées par l’État. À la limite, un cabinet de médecins est déjà un PPP. En France, cette forme de privé existe effectivement beaucoup, de nombreux hôpitaux privés offrent par exemple des chirurgies (40% des hôpitaux en France sont privés à but lucratif, plus 33% à but non lucratif et seulement 25% sont publics). Mais les médecins y sont toujours rémunérés par la Sécurité sociale et les patients y sont également remboursés par la Sécu. Pas d’inégalité !

L’OMS place le système de santé français au premier rang mondial quant à son efficacité globale (état de santé de la population par rapport aux sommes investies). Le Canada arrive 30e et les États-Unis 37e. À noter que les États-Unis tombent au rang 72 d’après les effets sur le niveau de santé. Il faut aussi mentionner que la France compte un grand nombre de médecins actifs par rapport à sa population (329 par 100 000 habitants, comparativement à 209 par 100 000 habitants au Canada), mais qu’ils sont bien moins bien rémunérés qu’en Amérique du Nord…

En gros, c’est vraiment un système où le privé est omniprésent, pour le bien-être du plus grand nombre. Et le filet social ne laisse personne à découvert. (Seul bémol au tableau, le déficit monstrueux de la Sécurité sociale française, qui est prévu à 8 milliards d’euros en 2007, ce qui représente pourtant une légère baisse du déficit !)

Les PPP, une partie de la solution ? Peut-être, mais il ne faudrait pas oublier de combler la pénurie de personnels, et d’améliorer l’efficacité du réseau actuel. (La grande question est : jusqu’où va la volonté politique ? Après tout, une pénurie et un mauvais accès, c’est aussi une façon de contrôler les coûts…!)

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