Pourquoi vous parler d’un sujet si évident, si ennuyeux, si connu de tous et dont on a déjà fait mille fois le tour ?
Parce qu’on a oublié des recoins, pardi, et que c’est loin d’être terminé ! À preuve ce texte désolant qui nous dépeint la situation qui prévaut toujours en France.
C’est ce que j’ai appris dans mon stage de santé publique. Je vais donc vous en parler, d’un point de vue populationnel. Je ne cherche à culpabiliser personne, qu’on se comprenne bien !
L’allaitement maternel a toujours été, partout et jusqu’à très récemment dans nos contrées “modernes”, le mode d’alimentation privilégié et normal des bébés. Et puis tout d’un coup, au nom d’un discours médicalisant tous les actes de la vie, d’un féminisme peut-être mal vécu, au nom surtout de campagnes de publicité de puissants groupes commercialisant les substituts de lait, il a été relégué aux oubliettes. De sorte qu’on ne sait plus comment allaiter et que tout, dans notre environnement, s’y oppose. De nos mères et grands-mères qui nous conseillent de ne pas le faire, puisqu’elles ne l’ont pas fait pour nous et que nous n’en sommes pas morts, au milieu social qui nous dit qu’il faut tout partager également avec l’homme ; en passant par les hôpitaux où les mères donnent naissance et qui nuisent activement à l’initiation de l’allaitement.
Le lait maternel est, nous ne le dirons jamais assez, le seul aliment parfait pour un bébé. Il s’adapte à chaque instant de la tétée et à chaque âge de la vie. Il contient de nombreux anticorps protecteurs contre des maladies “bénignes” qui peuvent être graves voire mortelles. Il diminue donc les hospitalisations, les décès, mais aussi les infections (respiratoires, diarrhée, otite…), pas seulement pendant la durée de l’allaitement mais pour toute l’enfance. Il protège aussi contre des maladies immunitaires et allergiques diverses et variées. Il est toujours disponible, toujours à la bonne température, pratique. Il est gratuit. Les vitamines y sont bien dosées et faciles à absorber, et sa composition en graisses est parfaite pour le développement du cerveau humain. Il est inimitable.
Même la croissance d’un bébé allaité au sein versus celui nourri de substituts est différente, et les courbes qui la représentent sont différentes aussi. Il va sans dire que la “normale” est celle de l’allaitement, contrairement aux courbes que l’on retrouve dans tous les bureaux de médecins !
Les avantages de l’allaitement sont proportionnels à la durée et à l’exclusivité de l’allaitement. On recommande 6 mois d’exclusivité, puis de continuer jusqu’à 1 an, 2 ans, tant que la mère et l’enfant s’y sentent bien et le plus longtemps possible. Une alimentation mixte (avec des substituts, ou même une introduction trop précoce d’aliments) avant 6 mois anéantit presque au complet les bienfaits du lait maternel. Ne reste alors qu’un avantage très minime.
Il y a aussi des avantages pour la mère, qui fait moins d’hémorragie après l’accouchement, reprend plus vite son poids d’avant, souffre moins de cancers de la sphère gynéco, serait moins stressée.
Sans parler des bénéfices relationnels pour faire connaissance avec l’enfant et développer un lien d’attachement privilégié avec lui.
Ce qui est dommage, c’est que les bébés ne peuvent pas nous dire ce qu’ils préféreraient. Et personne ne paie de grosses campagnes de pubs en faveur de l’allaitement maternel, qui est une chose entièrement gratuite.
C’est pour ça que la santé publique s’en mêle. Pour recréer un environnement favorable à l’allaitement maternel, en refaire la norme qu’il aurait toujours dû être.
Ça n’enlève rien aux mérites des substituts. Ils ont sauvé bien des vies, car environ 3% des femmes ne seraient pas en mesure d’allaiter leur bébé. Et il est bien évident qu’il vaut mieux qu’une femme qui ne s’en sent pas capable (pour des raisons physiques ou psychologiques) s’épanouisse en donnant le biberon que dépérisse en allaitant de façon plus ou moins “forcée”. Heureusement que les substituts existent, pour les cas où ils sont nécessaires ! Là n’est pas la question.
Il s’agit plutôt de remettre en place des conditions qui fassent que l’allaitement n’est pas une lutte de chaque instant, que les femmes soient en mesure de faire un véritable choix libre et éclairé, devant toute la masse d’influences qui circulent, dont certaines sont lourdement subventionnées et d’autres sont issues d’une époque où l’on se trompait lourdement.
C’est sûr que l’allaitement maternel inclut son lot de difficultés et d’obstacles, dans 80 % des cas. C’est pour ça que les professionnels aussi doivent être capables d’y réagir et d’y faire face adéquatement, sans décourager tout le monde au passage ! Les professionnels aussi sont issus de cette même mentalité néfaste à l’allaitement, et il y a beaucoup de boulot à faire de leur côté aussi.
En passant : ce n’est pas un objectif impossible ! En Suède/Norvège, les mères allaitent à 98% leur bébé à leur congé de l’hôpital et à 70% à 6 mois. Au Québec, nous en sommes à 75% d’initiation et 30 % à 6 mois (10% d’exclusif), ce n’est pas très reluisant. Et je ne compare pas avec des pays sous-développés, à ce que je sache ! D’ailleurs, les taux de mortalité infantile sont deux fois moindres en Scandinavie qu’au Canada ou en France…
Quant au féminisme, car c’est un argument auquel je suis sensible… Être moderne et féministe, ce n’est pas synonyme de jeter à la poubelle tout ce qui relève des spécificités féminines, au contraire. C’est le revendiquer et le vivre librement, y compris dans sa potentialité biologique, dans sa totalité. Il y a mille et une autres manières de permettre au papa de développer un lien privilégié avec son bébé.
C’est drôle, parce qu’en Afrique, c’est le contraire. La norme, c’est l’allaitement maternel. Mais en cas de VIH de la mère, il y a un risque non négligeable de transmission du virus au bébé. C’est pour ça que certaines mères se demandent si elles ne devraient pas donner un substitut à leur bébé, au risque de se faire stigmatiser dans leur communauté. En réalité, l’usage de substituts en Afrique comporte de tels risques, en plus de ceux déjà évoqués (contamination de l’eau potable, mauvaise conservation, mauvaise dilution…), que l’OMS recommande tout de même l’allaitement au sein là-bas, même aux mères avec le VIH, c’est dire !
Pour terminer, un beau texte très positif et très recherché sur l’expérience d’une maman en allaitement.