La vie heureuse des gens secrets

par Dre Papillon

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Les styles relationnels d’attachement s’observent aisément chez le chat et se transposent bien à l’homme par la suite.

Nous avons deux chattes.

La première, un peu grassette, est une gentille chatte qui devient parfois hystérique pour un oui, pour un non. Mais il faut dire ce qui est, elle s’est beaucoup normalisée depuis que nous vivons dans 70 mètres carrés plutôt que 25. Donc nous tolérons bien ses petits travers. Cette chatte-là nous aime surtout quand elle a faim, plaçant alors stratégiquement son corps dodu entre nous et l’écran d’ordinateur, ou se positionnant d’une autre façon également chiante dans nos jambes en plein déplacement. Parfois, son comportement nous irrite à un point tel que nous reportons le moment de la nourrir tout en l’engueulant. Même quand on la caresse et qu’elle est contente, elle a une façon de se tendre, de sursauter ou de se lécher frénétiquement qui ne sont pas toujours du meilleur effet…

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Safran nage dans le vice

L’autre chatte est menue et aime bien utiliser toute la gamme de miaulements et ronrons que lui confère sa petite voix fluette. Même quand nous sommes très occupés ou de mauvais poil, elle a une façon de réclamer à manger (ou des caresses) d’une façon qui nous fait craquer en toutes circonstances. Elle est, tout simplement, “mignonne”. D’ailleurs, parfois, on doit trop la tripoter à son goût et elle finit par nous mordre, car ses signaux de mécontentement sont eux invisibles.

La première a raté quelque chose dans l’acquisition de ses comportements de charme. La preuve, même quand elle essaie de “charmer” pour obtenir quelque chose, elle provoque facilement la réaction inverse. La seconde est mignonne et sait comment nous mettre dans sa poche. Elle en use et en abuse, parfois elle en a peut-être même marre (après tout, un chat est censé être indépendant !).

Je ne sais pas trop ce qui peut différer dans l’éducation d’un chat (!) pour donner des résultats aussi disparates.

Chose certaine, on peut généraliser à l’homme. L’acquisition de comportements de charme est une chose qui se fait dans la petite enfance et qui est reliée à de nombreux facteurs, entre autres au style d’attachement à la mère et la base de sécurité interne qui est intégrée.

Un comportement de charme bien acquis permet ensuite à un enfant de “séduire” n’importe quel adulte, au cas où il viendrait à perdre sa mère. À induire chez cet adulte les comportements parentaux appropriés envers lui nécessaires à sa survie et à son développement.

Mes comportements de charme ne sont pas des plus développés. Pas les pires non plus, ceci dit. Mais je n’ai jamais été chouchou de classe. Jamais idole de personne. Il n’y a rien de linéaire, mais possiblement que le fait d’avoir eu une mère profondément dépressive n’a pas aidé.

En fait, il faut dire ce qui est, je passe plutôt inaperçu. Parfois, c’est dommage, quand vient le temps d’impressionner pour qu’on se souvienne de soi, de se vendre en entrevue, ou d’attirer les amis comme des mouches… Les choses sont souvent plus difficiles quand on a moins de comportements de charme innés. Il faut travailler plus fort que les autres pour obtenir un résultat équivalent.

Mais ce n’est pas parce qu’on se confond avec le mur, qu’on fait peu de bruit et peu de vagues, que l’on ne peut pas être très, très heureux, au contraire. Le bonheur est une chose qui peut se vivre en silence, qui se savoure et se partage plutôt bien en petit comité.

D’ailleurs, bien des gens séduisants et turbulents sont plutôt instables et malheureux dans leur vie. C’est vraiment contre-intuitif.

Comme quoi, le style relationnel n’est aucunement prédictif du bien-être.

Ça me rappelle le bambin dont je m’étais occupée à Sainte-Justine comme bénévole, autrefois, il y a très longtemps. Un bébé abandonné par sa mère (un peu disjonctée) et très malade. De multiples opérations à répétition. Beaucoup de souffrance à l’aube de sa vie. Et aucune figure maternelle (réelle ou de remplacement) pour venir apaiser ses angoisses infinies.

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Jeunes pousses d'orchidée

Ce petit garçon, même pas un an, avait déjà appris la vie à la dure. Pour se préserver de souffrir et éviter de s’attacher à quelqu’un qui l’abandonnerait de toute façon, il avait déjà appris à être “vilain” le premier. À cambrer le dos dans les bras, à pincer douloureusement. À se faire rejeter, finalement.

Quel triste apprentissage de la vie, que de commencer par comprendre que le monde n’est que douleur et peur, et qu’il n’y a personne pour toi.

Je me demande quel enfant, quel adolescent, quelle personne cela va donner.

Je lui souhaite un tuteur de résilience bien placé pour faire fléchir le cours de sa destinée.

P.S. J’ai un peu forcé le trait pour les besoins de la démonstration. Rassurez-vous, notre Safran est une chatte tout à fait charmante que nous adorons, et Bagheera sait aussi comment nous irriter massivement !

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