La France des demi-baguettes 2

par Dre Papillon

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Article rédigé en écho à cette suggestion de Winckler, et faisant suite à celui-ci.

Après une éprouvante et caricaturale recherche d’appartement à Paris, où je me suis souvent fait jeter de par ma nationalité étrangère, par mon sexe (les cheveux de filles, ça bouche les douches, c’est bien connu) et par toutes sortes de critères assez farfelus, nous finissons par dénicher un studio de 25 mètres carrés place de la Madeleine. C’est une ancienne chambre de bonne sous les toits, c’est petit mais meublé, les murs sont rouges et il y a plein de miroirs partout pour faire croire à de l’espace ; il n’y a ni four, ni congélateur, ni bain (juste une douche). Le canapé-lit est le meuble principal de l’appart. C’est cher, mais c’est bien situé, ce qui est utile dans une vie aussi occupée que celle que l’on va connaître. Nous sommes dans un carrefour stratégique entre la place de la Concorde, la gare Saint-Lazare et l’Opéra, tout près des grands magasins (et leurs si jolies vitrines du temps des fêtes).

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Madeleine

Je suis partie passer l’été au Québec pour renouveler mon visa (je suis maintenant majeure) et travailler pour mettre des sous de côté, avec un bref passage à Chicago et Milwaukee pour rejoindre mon amoureux le temps d’un week-end. Je débarque enfin à Paris début septembre, à la veille de ma rentrée en Terminale dans un lycée parisien situé avenue de la République.

Le jour de mon arrivée dans notre quartier, avec Safran dans sa cage verte et tous mes bagages à la main, je me fais tripoter les seins en plein jour au coin d’une rue ; je n’ai pas de main libre pour réagir assez rapidement. Ça promet, la vie à Paris.

Je me rends illico presto, sans dormir malgré le décalage, à l’Administration Française pour obtenir ma carte de séjour. Après une longue file d’attente, je me fais répondre que je dois d’abord obtenir mon assurance maladie à la Sécu. Zut, je ne voulais pas manquer d’école pour ces démarches, mais je n’ai pas le choix…

Je me rends donc à la Sécu, où je me fais répondre qu’il me faut d’abord la carte de séjour pour obtenir l’assurance maladie. Le chien se mord la queue. Bienvenue dans la bureaucratie style “la maison qui rend fou” des 12 travaux d’Astérix…

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Notre-Dame rive gauche

Une des premières choses que nous avons eu la chance de faire est une croisière sur la Seine affrétée spécialement pour les employés de la boîte de Stéphane. Rigolo, elle nous a fait découvrir des berges moins connues.

Le 11 septembre arrive. Je rentre du lycée comme d’habitude. Notre quartier (qui comprend l’Ambassade des États-Unis…) est quadrillé de flics, je me demande bien ce qui se passe. Stéphane me suggère d’ouvrir la télé et c’est là que je découvre ces images d’horreur auxquelles il est bien difficile de croire. Horreur qui nous hante toujours, des années plus tard, et qui a marqué un tournant assez important pour changer durablement la face du monde.

Ma vie à Paris en sera donc une de “plan vigipirate renforcé”, avec les militaires en treillis, mitraillette en bandoulière et chien méchant au pas dans le métro, l’aéroport, les gares, les rues, etc.

J’avais déjà trouvé que la France était une société trop “policière” à mon goût (avec ses contrôleurs dans le bus, le métro, le train), ça ne s’améliore pas. Même quand on est dans son bon droit, ces représentants des forces de l’ordre vous font sentir coupables de quelque crime en plus de vous effrayer avec leurs airs et leurs manières de brutes.

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La Concorde de nuit

Paris est une belle ville et je sais que beaucoup rêvent d’y habiter. Mon plus grand regret à ce jour est d’en avoir si mal profité. Il faut dire que nous avions alors un quotidien des plus prenant. Au lycée de 8h à 18h en ce qui me concerne (plus les dissertations incessantes, les contrôles dans toutes les matières et les “devoirs surveillés” d’une durée de 4h en prévision du bac tous les mercredis). Stéphane rentrait beaucoup plus tard le soir, mais je ne manquais pas d’occupation en l’attendant. La conclusion en est sûrement que la Ville Lumière est plus agréable en vacances que pour y vivre.

J’ai aussi fait du bénévolat en soutien scolaire auprès de deux enfants de Belleville. La jeune fille est originaire de Tunisie, le garçon est dyslexique. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est gratifiant de se sentir ainsi utile.

Avec le temps, Paris devient tout de même une ville oppressante avec ses immeubles de six étages qui ne laissent pas souvent passer la lumière du soleil jusqu’aux humains qui fourmillent au sol. C’est qu’on ne passe pas sa vie dans les jardins ni sur les grandes places ! Le manque de verdure est un peu asphyxiant.

Nous avons pourtant fait de très belles balades. Souvent vers le Louvre ou les Tuileries, ou alors en longeant la Seine jusqu’à Notre-Dame. Le grand prétexte était la lessive, que nous allions faire dans le 9e. Nous en profitions toujours pour nous régaler de ces rues vivantes (sans rien acheter, allez savoir pourquoi) et pour aller gravir Montmartre pendant que les tambours faisaient tout le travail.

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Montmartre de nuit

Je reçois à l’automne une invitation à séjourner à Lourdes en récompense de ma participation au Concours général de français. Je découvre cette belle ville sise au flanc des Pyrénées, merveilleuse région de France, en même temps que j’assiste à de multiples lectures, pièces de théâtre, de musique et autres, sans parler des rencontres marquantes. Une expérience hors du temps.

Au lycée, j’apprends à danser le rock dans le gymnase du dernier étage de ce petit établissement. J’observe la tour Eiffel dans le soleil couchant chaque semaine. Conscience aiguë de se trouver là et pas ailleurs, à chaque fois.

Quelques petits week-ends à Nantes, ici et là.

Un autre Noël passé dans les Alpes, à Méribel cette fois, avec famille et amis. Grand moment de chaleur humaine et de beauté sublime des sommets enneigés.

J’en suis revenue avec une toux intense qui a duré plusieurs semaines et qui m’a fait manquer le passage du nouvel An sur les Champs, trop amochée que j’étais. L’année 2002 marque aussi le passage à l’euro dans plusieurs pays d’Europe, amusement généralisé au guichet automatique et multiples hésitations à la caisse pour quelques semaines.

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Arc de triomphe

Nous sommes allés plusieurs fois au théâtre (Théâtre de la Ville, de L’Atelier, Bouffes du Nord, de l’Opprimé, Artistic-Athévains, Vieux-Coulombier, La Colline, des Abbesses, Odéon). La meilleure pièce fut sûrement La Ménagerie de verre. On a même vu Stéphane Rousseau au Bataclan. Par contre, nos retours en fin de soirée ont parfois été l’occasion d’intenses peurs de ma part quand on se faisait suivre aux abords des gares par d’inquiétants personnages…

(Sans parler des rencontres avec des pick-pockets dans le métro. Une fois, ils m’ont eu, mais le gonflement de ma poche ne représentait malheureusement -pour eux- qu’un vulgaire paquet de mouchoirs.)

On a aussi fait stériliser notre chatte Safran parce qu’une siamoise en chaleurs, c’est insupportable. Les vétos en France enlèvent seulement les ovaires mais laissent l’utérus en place. Ce fut du plus terrible effet car les carrés ainsi rasés sur les côtés ont repoussé plus foncés que le reste de sa robe. Heureusement que l’effet s’est estompé avec le temps !

Suite à un problème de dents, je consulte un dentiste parisien pourtant recommandé par une amie pour m’informer du prix d’un traitement (en l’occurrence, un “pont”). Cet original me terrorise en me faisant savoir qu’il pratiquera de multiples traitements de canal sur les dents du voisinage, ce qui coûte par ailleurs une fortune. Je choisis donc de me faire traiter au Québec où les traitements de canal ne s’avèrent aucunement nécessaires ! Quels charlatans potentiels que ces dentistes français, c’est inquiétant quand même !

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Vue du toit du BHV

Au printemps, j’ai aussi fait une petite escapade à Charleroi (Belgique). L’occasion d’une de mes plus grandes frousses de l’année, à la Gare du Nord (ou était-ce celle de l’Est ?) aux petites heures du matin…

Ce printemps-là a aussi été marqué par mes multiples questionnements existentiels. Médecine ou pas ? Dans quel pays ? Je suis revenue au Québec aux vacances de février puis à Pâques, pour passer l’examen d’admission en médecine et rencontrer les gens de l’Université de Montréal. On me fait comprendre que mes chances d’être admise sont presque nulles. Je ferai donc toutes les démarches, sur Minitel, en vue de faire ma médecine à Paris. Il était même prévu que je fasse ma P1 à Broussais-Hôtel-Dieu.

On célèbre l’anniversaire de mon amoureux (et concubin officiel d’ailleurs ;) cette année-là au Bouddha Bar, établissement qui laisse une empreinte indélébile tant l’ambiance y est spéciale.

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Louvre

C’est aussi une année d’élections présidentielles. À la surprise générale, Le Pen passe au deuxième tour, créant un émoi sans précédent en France. Le pays se déchaîne. Par contre, le jour de la grand manif, je me dégonfle (et j’ai trop de travail).

Le point culminant de mon année est évidemment le passage du fameux bac français, qui ne stresse sûrement personne plus que moi. Depuis cet examen, plus grand-chose ne me stresse, ce qui est finalement un apprentissage fort utile dans la vie.

D’abord, les révisions intenses où le bruit est un facteur aggravant du stress à la puissance 1000. C’est que la sirène d’alarme du voisin se mettait inopinément à sonner dans un vacarme assourdissant (de jour comme de nuit), déclenchant chez moi à chaque fois un épisode récalcitrant de palpitations sous l’effet de la décharge adrénergique.

C’est aussi une période de Coupe du Monde ; des cris s’élèvent régulièrement des chaumières pendant les heures chaudes de l’après-midi.

Le moment des épreuves venues, la canicule fait rage. Le sommeil me fuit pendant toute la semaine, mais ce n’est pas l’effet seul de la chaleur.

Les épreuves terminées, les jours ensoleillés de ce début d’été laissent place à un soulagement intense. Je me souviens m’être promenée beaucoup plus dans les rues en quelques jours que pendant tout le reste de l’année.

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Opéra de Paris vu du toit des Grands Magasins

Les nuits, par contre, l’inconscient revient au galop et me rattrape. Je suis hantée par des rêves dans lesquels le bac que je viens de passer n’était qu’un “bac blanc” et tout est encore à recommencer. D’autres fois, j’obtiens le résultat des épreuves où les 3/20 côtoient gaiement les 5/20. Je n’ai jamais fait de cauchemars intégrant ainsi clairement des éléments réels ma vie (ni avant, ni après d’ailleurs).

La suite, vous la connaissez. Début juillet, résultats du bac avec la mention espérée m’ouvrant la porte des facultés de médecine québécoise. Retour au pays avec entrevues à Québec et Montréal. La première m’accepte tandis que la seconde se laisse désirer. Je finis par obtenir la réponse positive tant désirée le 8 août, lendemain du départ de mon amoureux qui rentrait à Paris. Le même jour, il reçoit son visa de résident permanent.

Et en ture pour de nouvelles avenroutes !

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