Je regarde Monsieur découvrir son corps et je retrouve des impressions que je vis constamment ces temps-ci.
Monsieur, 11 mois et quelques, a passé des semaines à chercher le moyen de faire du quatre pattes, puis il a essayé de se lever. Maintenant il essaie de se lâcher, bientôt ce sera la marche. Nous y sommes tous passé, un apprentissage banal et pourtant tellement passionnant.
Le jeune enfant possède un corps qu’il ne possède pas. Il sait, il sent qu’il peut se l’approprier, lui faire faire quelque chose. Il le voit chez les autres, mais peine parfois bien longtemps. Ça ne s’explique pas, ça ne se montre pas, ça se guide à peine. Un jour, un geste et soudain le corps sent et l’enfant sait. Pas toujours adroitement mais du moment que le corps a senti ce qu’il fallait obtenir, l’esprit peut l’appréhender et le perfectionner.
Il en va de même en Aïkido. J’y ai parfois l’impression de redécouvrir mon corps, d’être de nouveau un enfant qui ne sait comment se mouvoir. Comment ça mettre mon bassin droit ? Quoi ça fléchir les genoux dans cette position ? Mais ça ne marche pas cette technique, on est faible et en déséquilibre !!!
Puis à un moment le corps sent. Le système proprioceptif fait percevoir au cerveau la force d’un équilibre possible. Ça se joue à peu, quelques détails, l’emplacement des pieds, la répartition du poids, le rapport des membres. Et soudain l’insurmontable résistance de notre partenaire devient un autre corps, malléable comme le notre qu’il devient possible de renverser l’espace d’un instant.
Au début des pratiques, je répétais le mouvement de manière répétitive sans sentir de progression. Maintenant je sens plus. Je sens aussi que je suis loin du compte, mais au moins j’ai compris ce que je dois sentir, comme l’enfant qui a compris qu’il doit chercher l’équilibre, sans que ce soit facile à obtenir pour autant.
Depuis que je fais de l’aïkido, je me dis qu’il doit être possible d’en appliquer la philosophie aux rapports humains.
Quelle philosophie ? Celle de simplement retourner l’assaillant à sa propre agressivité. Garder sa propre intégrité en contenant le risque présenté par l’autre.
La transposition logique est la maîtrise et le calme, l’impassibilité fasse à l’agression psychologique. Sauf que le calme forcé ne fait rien. C’est juste une façade devant un tréfonds bouillonnant si c’est le calme pour le calme, sans rien pour l’appuyer.
Peu à peu je comprends qu’en aïkido, partir avec une technique pré-déterminée court à l’échec. Oui lors d’une pratique dirigée c’est ce que l’on fait. Mais en condition plus réaliste ou en pratique libre, c’est participer à un mouvement commun avec l’autre.
Ainsi je comprends que je ne peux pas appréhender toute situation avec une même stratégie, prédéfinie à l’avance. Je ne peux pas assumer un état d’esprit pour lui-même, tout comme je ne peux pas pratiquer une technique sans ressentir l’équilibre et le lien avec mon partenaire.