Deux livres

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Traces dans la neige

Mise en contexte: Me voici quelques jours après Noël avec une pile impressionnante de livres, plusieurs que j’ai demandé et une surprise, La carte et le territoire de Michel Houellebecq.

Sans spécialement chercher à ordonner les différents livres entre eux, j’entame donc Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles (Rhsrv25ép par la suite) de Nicolas Langelier dont la lecture m’inspire tout en me laissant un goût de pas assez que je décide de combler, sans trop savoir pourquoi, par le Houellebecq.

Petite digression autour de Houellecq: j’ai lu tous ses romans depuis Les particules élémentaires, en incluant Extension du domaine de la lutte (publié avant Les particules). Par le plus grand des hasards, j’avais également lu H.P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie à l’époque où j’essayais de comprendre cet auteur morbide.

Les livres de Houellebecq ne me transcendent pas mais leur lecture provoque un plaisir coupable, un peu comme celui de s’éclater un bouton au milieu du visage tout en se regardant dans le miroir. Ce coté un peu masochiste à travers lequel on se rend bien compte que le vide sidéral de ses romans est aussi celui qui nous entoure. Fin de la digression.

J’ai avalé le roman en quelques jours pour en ressortir avec une impression de déjà vu. Rapidement je fais le parallèle avec Rhrrv25ép, impression qui m’est confirmée notamment par ce billet de David Desjardins.

Le père

Première symétrie évidente, on trouve le rôle du père, ce père distant, incompréhensible à de nombreux égards et qui finit par mourir. Même si dans le deux cas cette mort arrive dans la seconde partie, elle est présente dès le début. Mais pire que la mort, on a le silence, ce mur que le fils n’arrive pas à vaincre, ce sentiment indéfinissable que ce mur cache quelque chose mais que l’on décore plus qu’on ne le brise. À ce jeu Jed, le personnage de Houellebecq, s’en sort mieux arrivant à obtenir une vraie discussion, une révélation même, alors que l’auto-personnage de Langelier n’obtient rien hormis quelques échanges anodins.

Relations amoureuses

Le parallèle se poursuit dans le traitement des relations amoureuses: des femmes oui, des belles, des séduisantes mais pas au point de courir après. Ainsi chaque personnage se voie nouer La relation d’une vie, ce que le personnage de Langelier appelle la FDVV (la femme de votre vie). Pourtant aucun n’arrive à retenir cette moitié tant souhaitée. Que dis-je, ils n’essaient même pas, ils la regardent partir, sans broncher. Ils voient ce qu’ils savent être surement le seul espoir d’une vie en couple possible, une vie surement heureuse et ils la laissent partir à la première occasion.

Le reste

Et que dire de ce traitement de la mythique “maison d’enfance”, de préférence à la campagne. Le personnage Houellebecq (car oui Michel Houellebecq est un personnage de son propre roman), torturé à l’extrême trouve un certain repos en rachetant sa maison d’enfance alors que Jed suit cet exemple quelques années plus tard dans une recherche infinie de protection et de repos. Quant au personnage de Langelier, dans un acte qui n’a de manqué que le nom, il va s’enliser devant cette maison chérie pour ensuite y entrer par effraction et y ravager un mur dans l’unique but de retrouver des traits de crayons représentant sa taille enfant.

La similitude va même jusqu’au fait que les deux auteurs sont des personnes de leur propre histoire. Langelier le fait de manière indirecte sans se nommer mais en se plaçant au centre du récit alors que Houellebecq se projette comme un second rôle envahissant, et mettant en scène sa folie, sa culture et sa sensibilité. Encore ? Les deux personnages principaux grouillent à leur manière dans un milieu culturel superficiel dictés par les impératifs financiers et faussement hédonistes. Même la toile de fond est la semblable: la désillusion moderniste, celle des promesses vécues puis perdues par ces pères décédés laissant à leurs fils l’amer goût d’une postmodernité (ou hypermodernité) mal assumée.

Une réalité commune

Que dire si ce n’est que les coïncidences sont trop fortes pour que ceux deux ouvrages ne soient pas le reflet d’une même réalité qui semble incontournable. Il est intéressant de constater combien les personnages, en tant que types personnalités sont en tout points opposés : un hipster hyper-social hanté par une FOMO tenaillante et qui passe en temps normal ses soirées à picoler et un mollusque renfermé limitant ses contacts humains au strict minimum (la caissière du supermarché et son galeriste) et qui vomit après quelques verres d’alcool. Pourtant ces deux êtres opposés se rejoignent en bout de ligne.

Évidemment je suis sensibles à ces critères parce qu’ils me parlent: inutile d’évoquer la relation en forme de point d’interrogation avec mon père à qui je n’ai pas parlé depuis 15 ans, ni la maison d’enfance que j’essaie (sans succès) de retourner voir à chaque fois que je vais en France et enfin cette relation à la modernité, idéal rêvé mais qui qui n’est définitivement plus au goût du jour. Bref, ce n’est que par une relation amoureuse à laquelle je me suis accroché de toutes mes forces que je diverge de ces trajectoires romanesques.

Le tout est mis en forme par un autoréflexion digne des blogues, Facebook et autres media sociaux, façons de se mettre en scène dans une vision rêvée et souvent schizophrène du moi. On regarde Houellebecq se raconter tour à tour en ermite créatif, misanthrope alcoolique et imbu de lui-même, puis en homme libéré de son propre poids. On lit cette mise en scène et on se demande ce qu’il cherche à nous montrer de lui-même ou simplement s’il ne se fout pas de notre gueule. Puis on lit un billet de blogue, un post facebook ou un “check-in” 4square et on se demande aussi ce qu’essaie de nous dire notre “ami” qu’on ne reconnaitrait peut-être pas dans la rue.

En cherchant d’autres articles qui feraient un parallèle entre ces deux livres, j’ai échoué sur une chronique se moquant de Nicolas Langelier, façon de lui dire qu’on n’avait pas attendu les hipsters pour parler de la crise existentiel de l’homme “dont la jeunesse se termine avec le décès de son père”. Si je ne peux pas vraiment nier cette banalité, il n’en reste pas moins que ces deux ouvrages, surtout mis cote à cote, vont chercher plus loin que cela. Ils vont chercher dans un mal-être qui se regarde le nombril, désolé des espoirs de modernité non réalisés et incapable de se trouver sa propre voie. Il montre aussi, au loin et de manière diffuse, la possibilité d’une forme de sérénité ou un appel à l’action salvateur.

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