Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c’est le présent tel qu’il a survécu dans la mémoire humaine.
Marguerite Yourcenar, Les Yeux Ouverts
La mémoire et sa construction m’ont toujours fasciné. Tant contenu dans si peu. Parfois il m’arrive, dans une situation anodine, d’avoir une vision parfois remontant à plus d’une dizaine d’années, d’un autre événement tout aussi anodin et dont je peinerais à me rappeler sans ce flash soudain.
Ce flash est souvent une porte d’entrée vers d’autres souvenirs corrélés par une même période temporelle ou simplement par un flot de pensée qui semble se rattacher sans lien évident. Faute de mieux, j’envisage ces apparitions mémorielles comme des associations libres du cerveau avec ce que je vivais à cet instant: sensation corporelle, bruit, odeur, que sais-je encore.
Je regarde à loisir la mémoire de notre petit colocataire se développer. D’un être qui visiblement ne se rappelait pas de la veille, il est devenu un être de mémoire. Il est capable de décrire ce qu’il a fait ou vu “l’autre passé”, parfois plusieurs mois en arrière.
Plus important, avec un âge au compteur approchant les 3 ans, il entre dans la zone du premier souvenir. Celui qui lui viendra à l’esprit en réponse à la question “quel est ton plus vieux souvenir”. Je ne peux m’empêche de penser que ce premier souvenir a quelque chose de constitutif.
Parmi toutes les nouveautés qui assaillent l’esprit jeune et ouvert à tout, qu’y a-t-il de particulier pour graver pour toujours une image particulière? Quelque part, un mécanisme doit entrer en action et ne conserver qu’un événement jugé significatif au milieu de tout ces signaux.
Parfois, au milieu ces réflexions, je perds mon sang-froid devant lui (parfois contre lui), et je me dis que ce moment très précis où je lui ai montré le pire de ma personne pourrait être son tout premier souvenir.