Source: Jacques Pharand.
Comme chacun, je m’interroge sur mon rôle dans le grand Tout qui m’entoure. Il n’y a pas si longtemps, la Terre et les humains étaient le centre de l’univers. Cette belle vision qui nous rendait si sûrs de notre raison d’être au monde a été joyeusement piétinée par Copernic, Galilée, Newton et tous leurs descendants. Un beau feu dans la nuit. Je regarde avec intérêt l’évolution des théories physiques qui chaque fois semblent relayer l’homme un peu plus dans la périphérie universelle.
Même en ayant intégré notre insignifiance totale, quelque part entre d’hypothétiques super-cordes et un univers dont l’expansion s’accélère, avons-nous encore quelque innocence à perdre?
Dans The race against the machine, Brynjolfsson et McAfee développent l’idée d’une économie rendue cul par-dessus tête par une accélération des technologies numériques qui n’a rien à envier à l’expansion de l’univers. Un monde dans lequel la maîtrise des outils numériques semble l’unique voie pour avoir sa place au soleil, ou en tous cas pour ne pas l’avoir trop à l’ombre. Difficile de ne pas avoir déjà concédé la victoire à la puce de silicium pour ce qui est de la puissance de calcul “bête et méchante”.
Mais si cette puce grappillait aussi l’intuition, le jugement, l’analyse dont nous sommes si fiers? Des analyses psychologiques montrent que le palais de glace que nous appelons raison nous prend en traitre. Les biais cognitifs se multiplient, notre cerveau se piège lui-même. Comme le montre Kahneman, nos choix ne sont que la somme de préconceptions que nous ne maitrisons pas, aveuglés par le peu que nous voyons, nous ignorons… que nous ignorons, au point que de simples algorithmes semblent de meilleur conseil que les expert les plus renommés. La machine n’est pas juste meilleure en calcul: correctement calibrée, elle est capable de tirer parti d’informations qu’un cerveau normalement constitué se refuse simplement à prendre en compte.
Comment vivre le fait de n’être que l’exécutant d’un algorithme programmatique? Certains le vivent déjà et l’expérience ne semble pas vraiment enrichissante. Pouvons nous vivre avec l’idée que les mathématiques et l’informatique décident de qui embaucher, des placements à faire, des jugements rendus, des guerres à mener, des personnes à aimer?
Ça peut sembler extrême, pourtant l’intermédiation des algorithmes est déjà là. Sommes-nous sur le point de vivre une n-ième blessure narcissique?