Le grand malentendu de l'immigration au Québec

par Hoedic

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Terres inconnues

Terres inconnues, États-Unis d'Amérique, 26 mars 2013

L’actuel débat sur la charte des valeurs (de la laïcité?) démontre surtout qu’il y a un immense malentendu au Québec au sujet de l’immigration. À défaut de prendre position sur la charte, je souhaite partager mon expérience et ma vision sur l’immigration dans la Belle Province.

Une entreprise de séduction

J’ai entamé mes démarches d’immigration en 2000 pour arriver ici en 2002. À l’époque, le gouvernement du Québec (péquiste, notons-le) vendait littéralement le Québec aux futurs immigrants: une sorte d’Eldorado francophone, symbole d’ouverture, où les gens sont accueillants et la vie agréable, sécuritaire et peu coûteuse. C’était, dans l’ensemble, le message. En échange, la seule demande du Québec était de faire un effort pour parler français. Pour le reste, tout le monde était bienvenu, en l’état.

Personne ne pipait mot de la question du vote éthnique qui n’était pourtant pas si loin derrière. Personne non plus pour dire que les immigrants ont un taux de chômage significativement pour élevé que les québécois, preuve d’une certaine difficulté de la société d’accueil à recevoir les nouveaux venus.

D’ailleurs quelques temps après mon arrivée, les délégations du Québec ont été plus ou moins accusées de publicité mensongère à l’égard des futurs immigrants tant le message vendu était loin de la réalité. D’après ce que j’entends, le pitch de vente a été quelque peu revu, mais demeure un pitch de vente. Avez-vous déjà entendu en vendeur de voitures dire que ses berlines tombent en panne au bout de 2 ans?

Ainsi, bon an mal an, le Québec reçoit entre 40 000 et 55 000 immigrants annuellement dont une bonne partie pense de bonne foi s’installer dans un milieu multiculturel et ouvert. C’est le message qui a été vendu.

L’immigration, vue de l’immigrant

Pour la majorité des personnes concernées l’immigration résulte d’un choix difficile. Oublions ceux que j’appelle les expat’ professionnels, les touristes longue durée, qui à l’image de beaucoup de Français viennent s’installer pour quelques années, pour le trip, en sachant qu’ils vont repartir. Regardons plutôt ceux qui visent s’installer pour une durée indéterminée. Souvent c’est pour éviter des problèmes dans leur pays, pour donner un meilleur cadre de vie à leur enfant ou, comme moi, c’est le choix de savoir qui des deux, dans un couple, ira vivre chez l’autre.

Dans la majortié des cas, ce n’est pas fait de gaité de coeur. On laisse derrière nous de la famille. On se retrouve à renier intérieurement ce qui nous a construit jusque là avec ce que ça contient de mauvais mais aussi de bon. Quasiment en chaque immigrant se trouve une déchirure.

Je vais me prendre en exemple non représentatif: selon tous les critères objectifs, je représente le “bon immigrant”: francophone, une femme québécoise, une bonne proportion d’amis québécois, un travail, etc. Je ne retourne qu’assez peu “au pays”, et ayant assez peu de famille ou d’amis en France, je n’ai finalement qu’assez peu d’attaches outre-atlantique. Pourtant, comme je l’écrivais récemment je ne me sens ni québécois, ni français, ou les deux en même temps. Une ambiguité irrésolue, une appartenance floue.

Après 11 ans d’immigration, ma réflexion sur le sujet est que l’intégration au sens pur du terme -devenir Québécois, est une chimère. Seul des non-immigrants peuvent sérieusement s’attendre à ce que des immigrants s’intègrent, adoptent des valeurs communes, un mode de pensée et d’agissement complètement similaire à la société d’accueil. C’est regarder les nouveaux venus non comme des humains mais comme des robots qui pourraient se reprogrammer à loisir. Il n’en est évidemment rien.

Le malentendu

Le grand malentendu dont je parlais se résume donc ainsi: des dizaines de milliers de nouveaux immigrants foulent chaque année le sol québécois pour la première fois. Non seulement se sont-ils fait dire que c’était un exemple d’ouverture sur le monde mais dans les faits il leur serait impossible d’être différent de ce qu’ils sont au fond d’eux. Ces personnes, au fil d’un processus d’hybridation long et complexe, d’une reconnaissance loin d’être évidente, de remises en cause profondes et difficiles, ces gens finissent par en arriver à un certain degré d’adaptation à leur nouvelle société. Et en plein dans ce processus, ils se font dire par une charte, par un scandale d’accomodements raisonnables, que ce n’est pas encore assez, qu’ils doivent se reprogrammer complètement et rejeter en bloc tout ce qui les a bâti? D’abord c’est éthiquement inacceptable, c’est réifier les immigrants pour n’en fait qu’un tas de légo que la société d’accueil pourrait faire et défaire à volonté, reniant tout ce qui a été dit par le passé. Ensuite, ça marche simplement pas. Ce n’est pas possible. C’est la voie vers la frustration, la rancoeur, le rejet.

Si la moitié de l’actuelle population québécoise, c’est-à-dire une grande majorité des Québécois francophones, trouve qu’il y a un problème “d’intégration” des immigrants, ce n’est pas une charte qui va régler le problème. Et faut regarder le problème à sa source: les politiques d’immigration et ainsi dissiper ce malentendu qui dure depuis trop longtemps.


Sourire à chacun et se méfier de tous, n’avoir ni ennemi ouvert ni ami assuré, montrer toujours un visage riant quand le coeur est transi; ne pas pouvoir être joyeux, ni oser être triste!

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