Caroline et moi sommes toujours suspicieux: quand les choses vont trop bien, un mauvais coup du destin attend au tournant. Non pas que nous soyons superstitieux (même si je parle de destin), c’est plus une question d’habitude. La fin de la résidence, les enfants qui allaient bien, quelques succès au travail, beaucoup de choses à fêter durant cet été où pour la première fois depuis longtemps nous avions un peu de temps pour souffler.
Le cours des choses a effectivement voulu qu’à ce moment précis nous soyons précipité dans le gouffre du néant avec la mort tragique et brutale du frère de Caroline, Martin, agé de 29 ans. Depuis ce moment, vendredi dernier, j’ai l’impression que nous avons tous été jeté dans le vide. Un peu comme lorsque l’on saute d’un très haut plongeoir, la vitesse de chute augmente à un rythme vertigineux, de plus en plus aspiré vers le bas. On sait qu’à cette vitesse l’impact avec l’eau fera mal. L’impact ce sera demain, avec l’enterrement. Nous allons tous nous retrouver sous l’eau et il faudra remonter, vite, tous. Même sa mère. Même nos enfants. Ressortir de l’eau pour ne pas en mourir mais surtout se sortir de l’ombre de la mort qui trop souvent marque et colle à la peau.
Je n’ose pas trop imaginer l’effet que cela aura sur Arthur, lui qui est naturellement sensible au thème de la mort. Lorsque l’annonce de la disparition de son unique oncle lui a été faite, il n’a pas été besoin de lui expliquer ou même de lui redire. Avec une acuité remarquable pour un enfant de 6 ans mais bien cruelle en l’état, il a immédiatement compris qu’il ne reverrai plus cet oncle qu’il commençait à apprivoiser, que sa grand-mère avait perdu son fils, que sa mère avait perdu son frère. Et que ceci est irrémédiable.
Ce tragique événement réactive aussi toutes nos craintes de perte encore plus proche. Vendredi dernier, lorsque la mère de Caroline a appelé pour annoncer la triste nouvelle, Caroline et les enfants étaient sortis. Lorsque, entrecoupée de sanglots, la phrase “quelques chose de terrible est arrivé” s’est faite entendre mais que le “quoi” refusait de sortir dans la douleur du moment, j’ai immédiatement imaginé la disparition de Caroline avec les enfants. Outre la perte d’un être cher, cet événement se traduit aussi par une hausse de l’angoisse quotidienne, celle de conduire une voiture, de rouler à vélo, de laisser les enfants vaquer à leurs activités, etc. Loin de nous la paix d’esprit, pour un certain temps.