Histoire de soumission

par Hoedic

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Les djihadistes sont des salafistes dévoyés, qui recourent à la violence au lieu de faire confiance à la prédication, mais ils restent de salafistes, et pour eux la France est terre d’impiété, dar al koufr; pour la Fraternité musulmane, au contraire, la France fait partie du dar al islam. Mais surtout pour les salafistes toute autorité vient de Dieu, le principe même de la représentation populaire est impie, jamais ils ne songeraient à fonder un parti politique.

Michel Houellebecq, Soumission.

Lors de sa sortie, j’avais du me résigner à ne pas lire Soumission, le dernier roman de Houellecq. Publié la veille des attentats contre Charlie Hebdo, très largement commenté et analysé dans le contexte des attentats (et comme un pamphlet anti-islam, ce qu’il n’est pas), il paraissait impossible de le lire sans préconception.

Par un effet d’association, les récents attentats à Paris ont rappelé à mon esprit ce livre dont les commentaires étaient désormais assez loins pour une lecture sans a priori. Par ailleurs, mon état actuel de père au foyer m’offre un peu de temps pour lire ce qui s’est avéré une galette traversée en deux jours.

Toujours est-il que si vous avez l’intention de lire ce romain prochainement, je vous invite à ne pas poursuivre votre chemin…


Les commentaires lors de sa sortie soulignaient à quel point certains lecteurs ne comprennent pas ce genre de littérature. Non, cette histoire d’un président français issue du parti la Fraternité musulmane en 2022 ne vise pas à refléter une possibilité; pas plus que la Possibilité d’une île où, une secte transforme le genre humain, enlevant la nécessité de se nourrir (et donc de chier) et de se reproduire (et donc de baiser), ouvrant ainsi un futur fait de clones. Non, ces romans d’anticipation ne visent pas être justes dans 20 ans.

Les romans de Houellebecq suivent quasiment tous le même schéma: un homme blanc dans la quarantaine, ordinaire, misanthrope, esseulé, maussade, méditant sur sa déliquescence dont les rares intérêts dans la vie sont sexuels, de préférence avec des prostituées ou plus rarement des jeunes filles, se retrouve pris au centre des déchirures de notre société. Dans chaque roman la déchirure est différente mais offre une critique en général assez claire et directe de nos sociétés capitalistes postmodernes.

Le synopsis du roman pourrait facilement laisser penser que la déchirure traitée dans le roman est celle de la montée de l’islamisme ou d’une guerre des religions, mais c’est faire fausse route. La montée des extrêmes complémentaires (Islam et extrême droite) avec leur pendant violent (djihadistes et identitaires) n’est que la conséquence du vide de sens dans nos sociétés et notamment de l’échec désormais insurmontable de la classe politique. En bout de ligne, la meilleure lutte à l’extrêmisme violent s’avère être un “extrême modéré”, comme le sont les Frère musulmans qui finissent par prendre le pouvoir avec l’appui d’un front républicain étendu (gauche et droite en cours d’implosion). Moins spectaculaire, l’histoire aurait aussi bien pu suivre une voie similaire avec une victoire du Front National et une rechristianisation de la France.

De manière général, le personnage central suit, avec plus d’un siècle d’écart, la trajection de Joris-Karl Huysmans, son principal sujet d’étude, en se convertissant, pas au catholiscisme toutefois mais à l’islam. Sans réel épiphanie, plutôt d’un mariage de raison. En bout de ligne le terme soumission sonne plus dur qu’il n’est réellement pour le personnage: se trouvant du bon bord dans les changements imposés par ce nouveau régime, il accepte l’Islam avec une position sociale très enviable, incluant au niveau financier et la possibilité d’avoir 3 femmes de son choix, probablement jeunes, belles et vraiment soumises pour le coup. Bref, la possibilité d’une nouvelle vie, supérieure à toutes ses espérance jusque là. Tant pis pour ceux et surtout celles qui se retrouvent du mauvais coté.


Le lecteur régulier de Houellebecq ne peut qu’être saisi par la tournure des choses. En effet, en plus du personnage central, ses romans ont généralement une trajectoire assez commune où, malgré sa misanthropie et ses imprécations sur le thème du pourrissement humain, le personnage central apparait toujours comme pouvant ressentir du bonheur, à tout le moins profiter d’une progression de son état d’esprit, pour généralement finir dans une chute brutale. Ici à l’opposé on sent le personnage glisser inexorablement, perdant notamment la seule personne qu’il aimait, envisager le suicide, pour être finalement sauver par la religion, de la même manière que la religion sauve la France. Drole de trajectoire pour ce roman qui semble finalement faire l’apologie d’une inféodation désirée à une religion représentant tout sauf les principes fondateurs de la République. À moins que ce ne soit justement pour montrer la facilité avec laquelle on peut en venir à souhaiter cette soumission (quoique difficile à avaler étant donné les récurrentes litanies anti-humanistes…) Quoiqu’il en soit, le plus politique des romans de Houellebecq.


Nietzsche avait vu juste, avec son flair de vieille pétasse, le christianisme était au fond une religion féminine.

Michel Houellebecq, Soumission.

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