Récemment je voyais une amie demander sur Facebook des conseils pour faire lire ses enfants. Avec des enfants en âge scolaire, l’intérêt pour la lecture devient rapidement en enjeu, surtout lorsque l’attrait vers la chose ne semble pas naturel.
Avec des résultats académiques laissant à désirer, cette question de lecture se posait également chez nous. Au milieu du primaire, la capacité à lire et à comprendre des textes et des instructions écrites deviennent rapidement un enjeu significatif. Nous avons pris l’habitude de faire la lecture à #1 depuis son plus jeune âge et il a un intérêt marqué pour les histoires. Il a un profil “langagier” et un sens naturel de la narration et de la compréhension d’histoires parfois complexes. En revanche, des tentatives passées pour l’amener à lire seul plutôt que de se faire lire n’avaient pas marché. Comment faire la transition?
Deux éléments ont permis de franchir le pas -bien qu’il reste encore du chemin à faire. Premièrement le mettre sur des mangas, deuxièmement continuer à lui faire la lecture par intervalle.
Les bandes dessinées et mangas ont l’avantage d’être nettement plus accessibles que les romans. Tout le monde l’a vécu. Je me rappelle d’un poster de Daniel Pennac, figurant dans la bibliothèque Père-Ambroise, mentionnant que l’important était de lire: peu importe quoi, comment, en sautant des pages, en commençant par la fin. À mes yeux, c’était clairement un appel à faire confiance au jeune lecteur pour d’abord développer le goût de la lecture et ensuite varier les lectures (ou non!).
J’ai donc lancé #1 sur la lecture de Naruto, manga type shōnen (pour garçons) très connu et que j’ai moi-même lu avec intérêt. Après avoir fait la lecture des premiers chapitres à fiston le temps de l’accrocher, de lui apprendre à lire le texte correctement (de droite à gauche et comprendre certaines règles implicites propres aux mangas) j’ai pu le laisser continuer seul. Bilan: il est passé au travers des 700 chapitres, soit près de 15 000 pages, en 3-4 mois (un peu affligeant considérant que ça m’a pris prêt de 8 ans pour atteindre la fin, au gré des publications hebdomadaires… mais bon). Certes, ce n’est pas 15 000 pages de texte, mais je pense qu’au total ça représente un volume de texte non négligeable. Connaissant l’histoire, je pouvais aussi l’accompagner dans la manière dont l’histoire se déployait et les personnages évoluaient. D’ailleurs, il m’a (encore) impressionné dans son sens de l’intrigue, anticipant des dénouements plus tôt que je l’avais fait quand j’avais lu l’histoire de mon coté.
Nous avons réédité l’expérience avec un vrai roman: La Nuit-la-plus-claire, 5ème opus de la saga Les royaumes de feu dont nous lui avions déjà lu 4 tomes et pour lequel nous n’avions pas réussi à le faire embarquer seul avant la tentative Naruto, malgré son intérêt pour cette histoire de dragons. Cette fois-ci nous avons commencé en lui faisant la lecture. Là encore, une fois l’histoire enclenchée il a pu continuer seul. Considérant la difficulté du vocabulaire et de l’histoire, nous avons alterné les moments où il lisait seul et où nous lui faisions la lecture (selon notre disponibilités au moment de la lecture, pendant la routines avec #2 et #3). Ça permettait de résoudre les incompréhensions et évitait le découragement sur les morceaux plus difficiles.
Au moment d’écrire ces lignes, il vient de passer prêt de deux heures dans notre chambre à essayer de finir le 4ème tome de Harry Potter. Là aussi nous y allons en alternance. On parle tout de même d’un pavé de 770 pages. A plusieurs reprises, nous avions essayé de lancer fiston sur cette histoire, qu’il adore, mais la taille le décourageait. Par ailleurs, il s’agit d’un livre de poche écrit plus petit et avec un plus petit interligne que ce qu’il est habitué à lire, ce qui semblait lui poser problème. Parfois, il est nécessaire de reprendre un chapitre qu’il a lu car clairement il n’a pas compris des points importants, mais dans l’ensemble c’est très positif.
Surement va-t-on devoir encore lire en alternance avec lui pour quelques temps, mais je pense qu’il faut se concentrer sur les morceaux qu’il lit seul et la confiance qu’il acquiert à pouvoir lire seul. Bien franchement, il y a 4-5 mois, je ne l’imaginais pas être capable de lire de son plein gré des morceaux de Harry Potter et la coupe de feu qui est significativement plus complexe que les tomes précédents.
Le fait de lire en alternance avec fiston m’a aussi fait prendre conscience de certains aspects importants. Premièrement on met beaucoup l’accent sur la lecture, à savoir l’aspect technique de décrypter des caractères, des mots, des phrases, ce qui a souvent tendance à écarter l’aspect littéraire: le style, la dimension narrative, etc. Quand j’étais jeune, l’aspect littéraire était généralement analysé d’un point de vue très détaillé (l’usage du vocabulaire, les figures de style, etc.), ne regardant que très peu les oeuvres dans leur ensemble.
Ce dont j’ai pris conscience plus tard c’est de se demander ce que l’auteur essaie de nous transmettre. Enfant, je ne prenais pas le temps de me demander pourquoi un auteur avait pris la peine d’écrire quelque chose. Je voyais la lecture et l’analyse de texte comme une contrainte et les auteurs faisaient implicitement partie de ce complot visant à me mettre devant un livre. Pourtant, en discutant avec fiston de la motivation de l’auteur, des messages sous-jacents à des histoires comme Naruto ou les royaumes de feu, des romans d’apprentissage dont les messages sont assez clairs, aide aussi à trouver un intérêt dans la lecture au-delà des caractères, mots et phrases.
Être capable de remonter à l’histoire, aux choix de l’auteur et de ses personnages, permet aussi de mieux soutenir l’attention de la lecture, ce qui, je pense, me manquait beaucoup quand j’étais jeune. En lisant en alternance, ça permet à l’adulte de comprendre l’histoire et de demander à l’enfant de faire un résumé des morceaux qu’il a lu seul. Ça permet de valider la compréhension et de discuter de l’histoire hors du contexte de la lecture, chose surement aussi importante que la lecture en elle-même.
À noter que nous avions aussi essayer de lui faire lire des petits livres simples à fiston: bibliothèque verte et autres livres de 30-40 pages avec des caractères plus gros. Clairement, les histoires semblaient trop simplistes. En lui lisant des romans comme Harry Potter et Les royaumes de feu, et plus généralement avec le genre d’histoire auxquels il a accès dans les films et les séries, il percevait ces histoires comme un peu bébé. Le mieux était donc d’aller directement dans la lignée d’histoires qui lui parlaient, quitte à ce que ça paraisse un peu intimidant au début.
Enfin, tout ceci me confirme l’hypothèse générale d’un accompagnement progressif des enfants dans les apprentissages. On aime bien voir les apprentissages comme des sauts, comme le fait de faire du vélo sans roulette: un jour c’est fait, et hop, c’est gagné pour toujours. Dans les faits, ça se fait par petites améliorations, avec même des retours en arrière parfois. Aider les enfants, ce que certains verraient comme faire le travail pour eux, les aides à progresser graduellement.