Quarante cycles solaires

par Hoedic

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Il venait d’avoir quarante ans : était-il victime de la crise de la quarantaine ? Compte tenu de l’amélioration des conditions de vie les gens de quarante ans sont aujourd’hui en pleine forme, leur condition physique est excellente ; les premiers signes indiquant – tant par l’apparence physique que par la réaction des organes à l’effort – qu’un palier vient d’être franchi, que la longue descente vers la mort vient d’être amorcée, ne se produisent le plus souvent que vers quarante-cinq, voire cinquante ans.

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires

Le roman Les particules élémentaires de Houellebecq a vingt ans (précisément aura vingt ans le 24 août). Je l’ai lu alors que j’avais moi-même vingt ans. Jeune homme, au demeurant assez naïf, entrant en école d’ingénieur, j’avais été profondément marqué par ce livre violent narrant par le menu la décrépitude humaine dans notre société capitaliste individualisée et scientiste.

Dans ma mémoire, le personnage, Michel, ressentait déjà les effets du pourrissement intérieur à quarante ans. Finalement dans ce paragraphe, on parle plus de quarante-cinq voire cinquante. Ceci dit, dans le reste du livre, il est régulièrement question, pour des personnes de quarante ans de “traits de son visage fin […] flétris, légèrement couperosés”, ou encore de “vulve […] amaigrie, un peu pendante”. Rappellons que Les particules élémentaires est une critique une bonne et due forme de quadra post-soixant-huitards selon différents modes de déchéance. Houellebecq avait lui-même quarante ans au moment de la rédaction du livre.

Enfin bref, vu de mes vingts ans, après ce livre, doubler mon âge semblait à la fois très distant et franchement pas attirant.


Que dire maintenant que j’y suis? Rien. Ou vraiment pas grand-chose. Cela m’évoque tout au plus une Lapalissade: mes vingt ans me semblent à la fois être un autre monde, un autre moi, tout en étant en même temps hier. La preuve: je me rappelle fort bien de la lecture du roman, où et quand je l’ai acheté et lu.

En tant que personne généralement assez angoissée par le temps qui passe et en moyenne peu intéressée aux dates symboliques, le passage du cap ne semble pas spécialement remarquable. Je suppose qu’être rendu à un endroit plutôt satisfaisant dans la vie doit aider. Je peux imaginer que des personnes n’ayant pas spécialement abouti où elles le souhaitaient, qui vivent des frustrations, des regrets, bref qui ont des espoirs et ambitions mais ne sont pas au niveau de ces attentes, doivent se dire “diantre, le temps file” et que cela se traduise par une crise. D’autres me disent que la vraie crise est à cinquante ans.

Bref, oui, je suis assez satisafait d’où je suis. C’est assez rare que je l’admette cependant.

La question que je me pose est comment aider mes enfants à atteindre un jour le doux âge de quarante ans et avoir un certain degré de satisfaction. Pas besoin d’être délirant: simplement ne pas être dans l’état d’abandon affectif total des personnage de Houellebecq semble un bon début. Comment me suis-je rendu là? Quelles règles de vie en tirer? Bizarrement, le premier paramètre semble être une certaine chance. Quand je regarde mon cheminement, je ne peux que constater que la chance est un facteur déterminant. Nombre de bifurcations majeures sont le fait d’une chance totale, purement et simplement. Avoir voulu provoquer certains événements, je n’aurais surement fait que les supprimer.

Là où je m’attribue un peu du crédit, c’est d’avoir saisi les opportunités et m’y tenir fermement, parfois contre toute logique. Je pense, jusqu’à aujourd’hui, avoir été assez bon là-dedans. Pas vraiment du 100% mais quelques bons coups déterminants. À noter que plusieurs de ces bons coups n’avaient, en général, pas de visée à long terme. Plus souvent qu’autrement, c’était plus une inspiration du moment, un élan, qui s’est transformé en quelque chose de bien et de durable.

Donc, mes enfants, soyez chanceux et profitez-en. C’est con, ça peut sembler être une philosophie de vie de merde, passablement fataliste et pourtant. Considérant qu’en bout de ligne on a relativement peu d’influence sur les événements qui nous entourent, que même les meilleures décisions peuvent s’avérer des catastrophes quand les conditions n’y sont pas, l’opportunisme est surement une bonne posture pour avancer dans la vie, ou quelque chose comme ça.


L’ensemble du portrait me donne également un accès à une certaine sagesse. Non pas que je me sente comme un Sage, mais quelques éclairs de compréhension. En fait, pour le dire autrement, j’ai cessé d’en vouloir à la terre entière (ma vingtaine) ou contre un nombre élevé de personnes (trentaine). C’est un sentiment assez agréable d’être généralement en paix avec soi-même et les autres. Généralement car ce n’est pas un état permanent. En fait pas du tout. Mais par moments, j’arrive à être en paix, à ne pas être toujours angoissé par l’avenir, par les décisions à prendre, par les gens. Évidemment, cette sagesse naissante ne manquera pas d’être mise à rude épreuve, ne serait-ce que par le fait d’avoir des enfants qui ont encore un bout de chemin à faire.

Le concept de sagesse parait surement très chiant à beaucoup de personnes. En tous cas pas quelque chose de si enviable que ça par rapport à toutes les choses incroyables à faire dans dans une vie. Pourtant, ma relative expérience de la chose humaine me permet désormais de percevoir qu’un nombre important de personnes d’un certain âge sont passablement aigries et amères de la vie. Même chez des personnes ayant une “bonne situation”.

Viser à la sagesse, à ne pas être une personne aigrie et en colère semble une voie intéressante. Pour moi, du moins. Je me donne un autre quarante ans pour y arriver.


P.S. Je note, après avoir fait mon “push” sur le site que mon dernier billet concernait également Houellebecq…

Ça fait du temps, maintenant,
Inexorablement,
Passe le temps qui tue les enfants,
A 29 ans du soir,
J’ai perdu la mémoire…
Oh je t’abandonne ma mémoire.

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