J’ai entamé cette semaine mon stage de gynéco-obstétrique. Évidemment, il faut d’abord faire le deuil de mon stage précédent, de ma compétence chèrement acquise, de notre petit groupe d’externes bien soudé… Le deuil de vacances d’été étudiantes en juin-juillet aussi.

Il faut encore recommencer à zéro. De nouvelles exigences, de nouvelles personnalités, de nouvelles façons de faire. Encore un domaine où l’on est novice et maladroit, où l’on connaît fort peu de choses. Mais pour une fois, j’ai l’impression que les capacités s’acquièrent très vite pour devenir à peu près autonome. Ça va être super, les patrons vont pouvoir se servir encore plus de nous comme d’une main-d’oeuvre très bon marché ! D’ailleurs, cette semaine, ça a déjà commencé, parce que j’étais toute seule à l’urgence avec peu ou pas d’encadrement. Pff.

Un soir de cette semaine, en fin de journée, alors que le repas du midi commençait à être rendu dans les talons et que la fatigue me gagnait, on m’a demandé d’aider pour un curettage. Il s’agissait d’une patiente d’une soixantaine d’années. On lui a donné deux comprimés d’anti-inflammatoires et hop! on a procédé à l’intervention (avec une simple anesthésie locale). La dame se tordait de douleur et en pleurait, c’était une expérience assez terrible. Mon rôle a simplement consisté à lui tenir la main et à lui parler, la rassurer, lui changer les idées.

Pourtant, quand il s’agit de jeunes patientes de 15-20 ans (par exemple, les avortements), on ne badine pas avec la douleur, et l’artillerie lourde est sortie. L’intervention a lieu en salle d’op sous anesthésie épidurale, etc. On ne veut surtout pas que l’expérience soit traumatisante ou le moindrement souffrante !

Alors non, je ne comprends. La douleur d’une personne plus âgée est-elle moins pire ou moins importante ? Ne peut-elle pas aussi être traumatisante ? Ne mériterait-elle pas le même égard, dans les conditions dont nous pouvons bénéficier en 2006 en Amérique du Nord ?

Pour moi, l’aventure s’est soldée par un choc vagal. Enfin, je l’ai senti venir à temps pour m’éclipser et aller m’allonger sans tomber dans les pommes complètement ! Pourtant, je n’ai pas vu tellement de sang. J’ai surtout vu la souffrance humaine. J’ai compris que c’est elle, et non la vue du sang, qui peut me faire flancher. En salle d’op, pour l’instant, je ne me suis jamais vraiment sentie mal, étant donné que tout se passe en milieu contrôlé, avec patient correctement anesthésié, etc. Cette fois-ci, par contre, c’était différent…

Inspiré de l’ouvrage “L’éducation, victime de cinq pièges”, de Riccardo Petrella.

Les modes de vie sont de plus en plus centrés sur la consommation de masse, et les activités humaines et sociales sont en train de se marchandiser. Ainsi, le travail humain devient-il une “ressource”. Il faut tirer de la ressource humaine la meilleure contribution possible et ce, à moindre coût. Le travail est devenu un objet se devant d’être disponible partout. Il n’y a pas de “droit au travail” ; cela dépend surtout de votre performance et de votre rentabilité. Car il faut constamment démontrer son employabilité. Et l’éducation professionnelle/supérieure sert maintenant beaucoup à remplir cette fonction.

L’éducation devient donc petit à petit une valeur marchande. De plus en plus “d’universités d’entreprise” voient le jour. À terme, le marché mondial pourra globalement décider des finalités et des modalités de l’éducation.

Dans nos milieux de plus en plus compétitifs, l’éducation est aussi devenue un lieu pour apprendre à “mieux réussir que les autres, à leur place”, et non plus à vivre ensemble dans l’intérêt général. Dans le monde du travail sont apparus des phénomènes tels que le fait de remplacer des employés “âgés” par des jeunes nouvellement qualifiés. Ou le fait d’utiliser le personnel qualifié dans d’autres pays, à moindre coût. Les entreprises abandonnent de plus en plus les contrats à longue durée au profit de contrats à court terme de durée variable. Il faut toujours lutter pour avoir accès à l’emploi. Et ceci s’apprend dès l’école secondaire, voire avant. On classe même les établissements d’enseignement, qui deviennent un lieu de sélection des meilleurs, et non le lieu de valorisation des capacités de chacun qu’ils devraient être.

Par ailleurs, l’éducation se met de plus en plus au service de la technologie. On n’entend guère dire que c’est la technologie qui devrait s’adapter aux exigences de l’humanité, aux besoins des milliards de personnes qui demeurent exclus de l’accès aux denrées vitales et aux services de base tels que l’eau, la nourriture, le logement, la santé ou l’éducation. Cela pourrait entraîner une baisse des gains ou une diminution de la productivité. Ce qui serait, bien sûr, intolérable. L’offre technologique prime sur la demande sociale ; l’outil détermine le besoin, et définit le rôle et l’utilité de l’éducation.

Le savoir devient donc une source majeure de création de richesse et le système éducatif légitime de nouvelles formes de division sociale. Les inégalités se creusent dans le concept même de citoyenneté, l’accès à l’alphabétisation demeurant précaire à travers le monde. Il s’agit pourtant de la possibilité même de penser, d’appréhender et de comprendre le monde ; la capacité d’obtenir une certaine maîtrise sur son avenir personnel et collectif.

Mais la société de marché est-elle plus juste ou équitable, tel qu’elle le prétend ? Chacun peut en effet entrer en concurrence avec les autres librement. L’État doit simplement assurer un accès à des opportunités égales pour tous. Les inégalités qui demeurent seraient donc naturelles et légitimes, et il ne faudrait pas lutter contre elles : après tout, elles résultent du mérite et de l’effort individuel ! N’est-ce pas ?

Le niveau de développement technologique n’est pourtant pas synonyme de niveau d’instruction de la population. Aux États-Unis, pourtant le pays le plus développé en la matière, le taux de décrochage d’un diplôme secondaire est en chute libre depuis 20 ans. Et ce, malgré le fait que le budget dépensé par élève dans ce pays reste l’un des plus élevés au monde.

Le système scolaire devrait se donner comme fonction première de promouvoir et de garantir le “vivre ensemble” : “savoir dire bonjour à l’autre”, reconnaître son existence. L’école, c’est apprendre la démocratie. En effet, tous les membres d’une communauté devraient participer aux activités d’information, de débat, de concertation, de décision… L’école, c’est aussi apprendre la solidarité, reconnaître la valeur de toute contribution, aussi petite soit-elle. C’est apprendre à vivre, tout simplement.

Pour toutes ces raisons, l’éducation devrait demeurée centrée sur le partage de la connaissance et du savoir, et contribuer à un développement mondial solidaire et démocratique. En aucun cas, elle ne devrait être une arme au service de la conquête des marchés et de l’élimination des concurrents. Elle devrait servir à créer une richesse commune, à préserver le droit à la vie pour tous, via la coopération entre les communautés et peuples du monde.

Christian Rioux, correspondant à Paris pour Le Devoir, signe un bel article sur la gratuité scolaire dans L’annuaire du Québec 2006, une publication de l’INM.

L’auteur n’en revient de tous les savants calculs qui sont faits sur le sujet (compte pour les parents, remboursement de dettes à longue échéance…?). Tout ça sans jamais s’interroger sur le sens de la gratuité. Il s’agit pourtant d’un choix de société important, qui véhicule un message social.

L’air est gratuit, malgré la valeur que l’on pourrait lui attribuer. Le sang des transfusés l’est aussi. Parce que la vie ne se monnaye pas. Les espaces verts et les places publiques constituent aussi des endroits où les gens peuvent se rencontrer et contribuent à la salubrité des villes. Les bibliothèques aussi sont gratuites, parce que les livres et le savoir sont jugés importants.

Pourtant, l’eau est payante en Europe. Peut-être que notre rapport avec la nature est différent de là-bas. Nous avons “découvert” ce continent presque vierge, avec des ressources pouvant sembler inépuisables. Cette idée a davantage disparu d’Europe, avec le temps.

De même, notre rapport avec le territoire et la liberté rend quasi impossible l’imposition de péages d’autoroute ici. Même si les routes couvrent des distances immenses et coûtent une fortune à entretenir, à cause du climat.

L’amour des enfants est peut-être le geste gratuit par excellence, qui échappe encore à la logique du marché car ne pouvant être échangé.

Bref, la gratuité n’est pas forcément une question de coût. C’est surtout une question de valeurs et de choix.

La vraie question qui se pose est : qu’est-ce qui doit être gratuit ? Chaque société doit répondre à cette question selon ses idéaux. Et ce n’est peut-être pas aux comptables de décider de nos valeurs. Discuter du dégel des frais de scolarité quand les routes sont gratuites, c’est aussi signifier que la voiture est peut-être plus importante que le savoir et l’éducation.

Pourtant, l’université n’est pas qu’utilitaire. Elle exprime aussi l’importance qu’on donne aux jeunes de notre société, elle concerne notre patrimoine culturel. C’est d’ailleurs pourquoi l’école primaire a été rendue gratuite, puis le secondaire et le collégial. Le savoir et la culture sont des données vitales pour notre société et c’est pourquoi nous avions choisi de les sortir du circuit marchand par un idéal de gratuité (pas toujours parfait, certes, mais la tendance était là).

Celui qui étudie n’est pas un investisseur dans l’avenir devant payer sa quote-part, et le savoir n’est pas non plus une marchandise. L’université ne devrait pas être un vaste fonds de gestion.

Tout comme l’université n’aurait peut-être jamais dû devenir une entreprise de marketing à la recherche de consommateurs, visant à livrer une expérience globale. Ce qui est beaucoup le cas aux États-Unis maintenant, et un peu moins ici.

L’éducation devrait rester un geste gratuit et désintéressé, un cadeau aux générations futures, le plus beau que l’on puisse faire d’ailleurs.

Les choses qui ont le plus de valeur sont souvent gratuites : la famille, l’amitié, l’amour, la connaissance, la culture… Rendre quelque chose gratuit, c’est en faire un bien commun essentiel. Un don.

Selon l’anthropologue Maurice Godelier, pour qu’un don soit créateur de liens sociaux, il faut qu’il semble indispensable à tous les membres de la société. Il doit circuler entre eux pour que tous puissent continuer d’exister. De plus, le don crée une dette. (Contrairement à l’échange sur le marché, qui laisse les individus totalement libres… Dixit Marx.)

Il est normal d’assumer cette dette envers la société, et c’est même un plaisir. Malheureusement, on a de moins en moins l’habitude de devoir…

Mais je suis certaine que les valeurs de notre société demeurent celles qu’elles étaient.

“Posés partout : des armoires orphelines, de hauts miroirs, un coffre-fort flotteur, mille tiroirs sans passés, d’énormes livres étouffés d’eau, bric-à-brac d’un panier caraïbe insensé, l’absolue mise à sac, au rapt, au vrac des poches du ciel, des coeurs et des greniers. Par-dessus, la consternation criarde des premiers arrivés découvrait ce que les vieux nègres appellent : an tÿou-manman, et Césaire : un désastre.”

[…]

“Il n’y a pas de mémoire, mais une ossature de l’esprit, sédimentée comme un corail, sans boussole ni compas.”

Quelle plume puissante ! Un grand merci à Akynou pour cette belle découverte d’un auteur Martiniquais, qui me permet de plonger un peu plus dans la réalité des Caraïbes.

D’où sort mon nouveau surnom ?

La première fois que je l’ai entendu, il s’agissait de quelqu’un d’autre, mais je ne le connaissais pas. Un grand médecin en plus : l’homme qui a créé le département des grands brûlés à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Un grand homme vraiment. Parce que ce n’est pas facile, les grands brûlés, et pas grand-monde ne veut s’en occuper. Chose certaine, j’ai tout de suite trouvé ça très classe, de s’appeler ainsi, et j’étais un peu jalouse ;)

Mais le papillon est aussi un drôle de symbole dans ma vie. Car le papillon est issu d’une transformation, ce que nous sommes tous. Nous ne naissons pas ce que nous sommes, nous le devenons, nous y travaillons petit à petit. Le résultat peut être beau mais demeure toujours fragile.

C’est aussi une façon de parler de la théorie du chaos, que j’affectionne beaucoup. “L’effet papillon” : le battement d’ailes d’un papillon peut occasionner une tornade ou un cyclone à l’autre bout de la terre. Petite cause, grands effets. Il faut toujours porter attention à l’air que nous déplaçons autour de nous, aux effets que nous créons, même nos plus petits gestes, parce qu’ils ne sont jamais exempts de conséquences…

C’était le nom de mon chien adoré, quand j’étais petite.

C’est la forme de l’île de la Guadeloupe.

Même mon nom de famille (enfin, celui que j’aurais dû avoir si mon géniteur avait été conséquent avec lui-même, sic) est inclus dans ce surnom !

~~

Malheureusement, un petit quelque chose de la magie s’est cassé avec les récents événements. Je n’ai plus envie d’écrire sur ce blog, je ne m’y sens plus chez moi, un malaise persiste. J’en suis à réfléchir à la meilleure chose à faire.

Pourtant, je sais bien que je ne dois pas laisser la méchanceté m’atteindre et triompher de moi. Elle aurait gagné justement ce qu’elle visait. Je devrais continuer comme avant, la laisser glisser sur moi avec insouciance.

On ne devrait jamais laisser la méchanceté nous gâcher ce qu’on a de beau et d’heureux. Elle n’a d’emprise sur nous que ce qu’on lui laisse prendre. Je vais aller méditer et travailler là-dessus, pour un bout…