Comme chacun sait, un congé de maternité, ça vous déconnecte quelqu’un de son travail.

Me voici donc à mon retour, devant des patients qui soliloquent en marchant de long en large dans les couloirs, qui me draguent sans aucun retenue comme si j’étais un bout de jambon, qui se pointent au poste en hurlant toutes sortes de choses…

Je disais, me voici donc à me surprendre de penser : “Mais qu’est-ce que c’est que cet hôpital de fous ?!”.

Hahaha, j’avais oublié ce que c’était !

Mon petit homme,

Voilà déjà 1 an que tu as débarqué dans nos vies telle une petite tornade pressée, bouleversant tout sur ton passage dans une mesure qu’il nous était impossible d’imaginer. J’ai du mal à croire qu’à cette époque, nous ne te connaissions pas encore, tellement il me semble maintenant que tu as toujours été là, petit membre à part entière de notre famille.

Nous sommes tellement heureux de te côtoyer, petit garçon taquin, coquin, charmant, amusant. Le moindre de tes rires est la plus belle musique qu’il nous ait été donné d’entendre. Chacun de tes sourires nous fait craquer et fondre sur place. Ton beau regard, vif et pétillant, nous donne envie de devenir meilleurs, juste pour toi. Tu as l’air tellement heureux de découvrir, d’être, tout simplement. C’est magique.

Tout n’a pas toujours été facile dans l’année qui vient de s’écouler. Tu as semblé brusqué, inconfortable par ton arrivée prématurée dans notre monde. Il m’a fallu beaucoup de temps pour savoir te réconforter et bien répondre à tes besoins. C’est que j’étais une nouvelle maman bien gauche et inexpérimentée. Nous en avons traversé des montagnes russes ensemble ! Souvent j’ai cru que je n’y arriverais pas. Mais tu m’as montré le chemin. Tu as fait de moi ta maman.

J’ai tellement appris à tes côtés, sur moi-même, sur le sens que je veux donner à ma vie, sur ce qui est vraiment important et ce qui l’est moins. Une véritable thérapie de croissance personnelle ! Tu m’as appris à lâcher prise, à accepter. À choisir mes combats. À me dépasser. À aller au bout de moi-même. Tu m’as appris à profiter des moments qui nous sont accordés, car ils ne reviendront jamais.

Merci d’être là. Merci d’être toi, petit être tout en couleurs qui illumine nos vies. Toi qui aime les livres et la musique. Toi qui aime bouger et sortir. Toi qui explores et découvres avec prudence et curiosité à la fois. Toi qui exprimes aussi vivement ta joie que ton mécontentement.

Je te souhaite une belle vie, et j’espère t’accompagner longuement sur ce chemin pas toujours facile mais tellement fascinant qui s’ouvre devant toi.

Je t’aime et je serai toujours ta maman.

Ce n’est pas un canular : nous avons obtenu une place dans la pouponnière d’un Centre de la Petite Enfance (garderie subventionnée à 7$ par jour) qui nous semble de grande qualité, tout près de chez nous !

C’est situé dans une ancienne école avec des grands locaux, une cour extérieure avec des jeux, un genre de gymnase intérieur pour les jours de pluie et de froid. L’approvisionnement en aliments frais vient de paniers bio locaux. L’organisation est souple et chaleureuse et les éducatrices ont l’air très gentilles.

Non non, je ne peux pas vous raconter comment nous avons fait, car nous ne le savons pas nous-mêmes (ou si peu). Toujours est-il que nous sommes très contents.

Car la théorie, c’est bien beau (l’attachement du bébé à une personne stable, blablabla), mais dans les faits nous avons un petit garçon qui aime bouger beaucoup, qui aime l’action, qui aime la présence des autres enfants, qui aime sortir de chez lui. Je l’imaginais mal passer toute une année (surtout l’hiver…) en tête à tête avec une nounou, aussi motivée soit-elle, dans notre appartement !

Et les garderies en milieu familial, c’est bien beau, mais nous avons besoin de savoir que le service est réellement offert du matin au soir, tous les jours de la semaine, toute l’année !!

Nous allons prendre quelques vacances pendant l’été et commencer l’adaptation vers la mi-août, en espérant que Monsieur ne trouve pas ce changement trop difficile. Nous sommes confiants du plaisir qu’il y trouvera !

Me voici donc de retour au travail, bon gré, mal gré.

Nous avons pour l’instant une organisation en or avec une nounou qui vient à domicile et une belle-maman qui arrive bientôt. Des petites vacances de prévues. Des activités hospitalières au ralenti pour la période estivale qui placent la marche moins haute pour moi.

Et pourtant, il y a cette culpabilité infinie qui colle à la peau à laisser son petit pendant d’aussi longues heures, d’aussi longues semaines de temps. Que je tente de soigner mais sans grand succès pour le moment.

Il y a aussi cette espèce de rouille au cerveau qui fait que je ne me souviens plus de rien et que je me sens d’une incompétence crasse à faire un travail qui comporte son lot de responsabilités non négligeable.

Il faut dire que je ne retourne pas dans un “travail” normal. D’abord, être résidente, ce n’est pas normal. C’est être considérée comme médecin tout en étant en fait une étudiante. Avec de l’étude, des cours, des présentations et des examens à faire. Des patrons aux styles variés à qui s’adapter.

Et que dire de la psychiatrie, qui est tout sauf un domaine “normal” ? Qui nous force à contempler nos propres bibittes intérieures, à réfléchir à notre valeur comme être humain.

Au sortir d’un congé de maternité, je viens déjà de vivre toute une thérapie de croissance personnelle (surtout avec un bébé aux besoins intenses, qui est venu mobiliser en moi tout ce qu’il y avait de ressources pour faire face et donner, donner sans compter). Je n’ai nulle envie de me lancer dans une psychanalyse en ce moment !

Alors voilà, je vais avoir besoin de temps, peut-être de beaucoup de temps, pour me sentir en paix avec cette espèce de vie de fous qui est maintenant la nôtre.

Je regarde Monsieur découvrir son corps et je retrouve des impressions que je vis constamment ces temps-ci.

Monsieur, 11 mois et quelques, a passé des semaines à chercher le moyen de faire du quatre pattes, puis il a essayé de se lever. Maintenant il essaie de se lâcher, bientôt ce sera la marche. Nous y sommes tous passé, un apprentissage banal et pourtant tellement passionnant.

Image

Au parc

Le jeune enfant possède un corps qu’il ne possède pas. Il sait, il sent qu’il peut se l’approprier, lui faire faire quelque chose. Il le voit chez les autres, mais peine parfois bien longtemps. Ça ne s’explique pas, ça ne se montre pas, ça se guide à peine. Un jour, un geste et soudain le corps sent et l’enfant sait. Pas toujours adroitement mais du moment que le corps a senti ce qu’il fallait obtenir, l’esprit peut l’appréhender et le perfectionner.


Il en va de même en Aïkido. J’y ai parfois l’impression de redécouvrir mon corps, d’être de nouveau un enfant qui ne sait comment se mouvoir. Comment ça mettre mon bassin droit ? Quoi ça fléchir les genoux dans cette position ? Mais ça ne marche pas cette technique, on est faible et en déséquilibre !!!

Puis à un moment le corps sent. Le système proprioceptif fait percevoir au cerveau la force d’un équilibre possible. Ça se joue à peu, quelques détails, l’emplacement des pieds, la répartition du poids, le rapport des membres. Et soudain l’insurmontable résistance de notre partenaire devient un autre corps, malléable comme le notre qu’il devient possible de renverser l’espace d’un instant.

Image

Aikido

Au début des pratiques, je répétais le mouvement de manière répétitive sans sentir de progression. Maintenant je sens plus. Je sens aussi que je suis loin du compte, mais au moins j’ai compris ce que je dois sentir, comme l’enfant qui a compris qu’il doit chercher l’équilibre, sans que ce soit facile à obtenir pour autant.


Depuis que je fais de l’aïkido, je me dis qu’il doit être possible d’en appliquer la philosophie aux rapports humains.

Quelle philosophie ? Celle de simplement retourner l’assaillant à sa propre agressivité. Garder sa propre intégrité en contenant le risque présenté par l’autre.

La transposition logique est la maîtrise et le calme, l’impassibilité fasse à l’agression psychologique. Sauf que le calme forcé ne fait rien. C’est juste une façade devant un tréfonds bouillonnant si c’est le calme pour le calme, sans rien pour l’appuyer.

Peu à peu je comprends qu’en aïkido, partir avec une technique pré-déterminée court à l’échec. Oui lors d’une pratique dirigée c’est ce que l’on fait. Mais en condition plus réaliste ou en pratique libre, c’est participer à un mouvement commun avec l’autre.

Ainsi je comprends que je ne peux pas appréhender toute situation avec une même stratégie, prédéfinie à l’avance. Je ne peux pas assumer un état d’esprit pour lui-même, tout comme je ne peux pas pratiquer une technique sans ressentir l’équilibre et le lien avec mon partenaire.