Après avoir passé les derniers billets à épiloguer sur les difficultés d’être nouveaux parents, nous devons bien donné quelques nouvelles de Monsieur.

Difficile à croire, mais il a déjà 1 mois ! Vu de l’extérieur, ça semble long mais pour nous ce fut une seule et longue journée entre-coupée de siestes… pour lui aussi d’ailleurs. Ou alors près de 300 journées d’environ 2 heures chacune.

Parti d’un petit 2.8kg, descendu à 2.6kg, Monsieur faisait 3.4kg aux dernières nouvelles et devrait être autour de 3.7kg aujourd’hui avec une croissance quotidienne entre 50 et 70 grammes par jour -ça peut sembler peu mais pour lui c’est énorme. À son âge, on parle de 20 à 30 grammes par jour comme référence. Du coup il présente maintenant des petits cuissauds plissés et un visage rond qui lui vaut le surnom de Bouddha (En référence au Maitreya Bouddha et non au Śākyamuni Buddha dans sa phase ascétique)

Il nous gratifie de plusieurs heures d’éveil par jour (outre les tétés) dont nous ne savons que faire. Nous avons cependant trouvé une nouvelle occupation pour Jean-Saul: C’est le seul endroit où Monsieur accepte de rester plus de 5 minutes sans s’énerver.

Nous posons Jean-Saul en U sur le futon et callons Monsieur dedans. De là, il peut tourner facilement sa tête à l’horizontale et observer les alentours. Bien moins frustrant que regarder le plafond ou les parois unicolores de son berceau. Nous ignorons ce qu’il trouve à regarder mais il fixe pendant plusieurs minutes des… “choses” de ses yeux de plus en plus éveillés. Hormis son cou, son contrôle moteur demeure assez approximatif, au point de régulièrement s’enfoncer des doigts dans les yeux, le nez, la bouche ce qui a pour effet l’agacer.

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Monsieur dans Jean-Saul

Quand il finit par s’énerver faute d’avoir de pouvoir gambader de lui-même nous atteignons nos limites de parents. Nous le promenons à bout de bras dans l’appartement, on le berce, etc. souvent en vain. Parfois aussi, il accepte de s’endormir sur notre torse dans la chaise berceuse. Dans ce cas, le meilleur moyen pour qu’il dorme un certain temps est de le garder sur nous pendant tout ce temps (faute de quoi il risque de se réveiller et de demander à manger… même s’il a déjà mangé 30 minutes plus tôt). Ceci fait que ce premier mois a été une période très faste pour la lecture. Ainsi dans la dernière semaine et demie j’ai engouffré tous les livres de Dune. Paul-Usul-Mouad’dib sera donc à tout jamais lié aux premières semaines de Monsieur.

Le reste du temps, il dort et remplit bien sa couche; le dernier point étant un critère important permettant de juger de la santé du bébé. Ainsi notre lectorat apprendra que nous sommes ravis de changer notre bébé 10 fois par jour, il est en santé.

De plus en plus, il pleure aussi. Sont-ce les premiers signes des coliques ? Coliques qui n’ont pas forcément beaucoup à voir avec la digestion; c’est juste une phase du bébé pendant lequel il pleure, sans que personne ne s’explique pourquoi. Il pleure. Ceci lui a valu l’autre surnom de Verdun en référence à un des livres de la série Malaussène de Pennac.

Ceci me permet donc de vous laisser sur un long extrait présentant Verdun -et un peu notre Bouddha-Verdun :

«Mais gaffe : quand ça roupille, paupières et poings serrés, on sent que c'est dans le seul but de se réveiller, et de le faire savoir. Et, quand ça se réveille : c'est Verdun ! Toutes les batteries soudain en action, le hurlement des shrapnels, l'air n'est plus qu'un son, le monde tremble sur ses fondations, l'homme vacille dans l'homme, prêt à tous les héroïsmes comme à toutes les lâchetés pour que ça cesse, pour que ça retrouve le sommeil, même un quart d'heure, pour que ça redevienne cette énorme paupiette, menaçante comme une grenade, certes, mais silencieuse au moins. Ce n'est pas qu'on dorme soi-même si elle se rendort, on est bien trop occupé à la surveiller, à prévoir ses réveils, mais au moins les nerfs se détendent un peu. L'accalmie, le cessez-le-feu... la respiration de la guerre. On ne dort que d'un oeil et sur une oreille. Dans notre tranchée intime, le guetteur veille. Et, dès le premier sifflement de la première fusée éclairante, à l'assaut, bordel ! tous à vos biberons ! repoussez-moi cette offensive ! Des couches, les infirmières, des couches, nom de Dieu ! Ce qui est englouti d'un côté déborde presque aussitôt de l'autre, et les hurlements de la propreté bafouée sont encore plus terrifiants que ceux de la famine. Des biberons ! Des couches ! Ça y est, Verdun s'est rendormie. Elle nous laisse debout, hébétés, chancelants, l'oeil vide fixé sur l'ample sourire de sa digestion. C'est le sablier de son visage ce sourire. Il va se rétrécir peu à peu, imperceptiblement, les commissures vont se rapprocher, et, quand la bouche toute rose ne sera plus qu'un poing noué, le clairon sonnera le réveil des troupes fraîches. De nouveau, le long hurlement vorace jaillira des tranchées pour investir les cieux. Et les cieux répondront par le pilonnage de toutes les artilleries : voisins cognant au plafond, martelant à la porte, jurons explosant dans la cour de l'immeuble...»

Le sujet a été effleuré dans d’autres articles autour de la naissance de Monsieur, mais nous souhaitions l’aborder plus en profondeur autant pour nous rappeler de ces événements en des temps reculés que pour partager une expérience difficile mais dans laquelle d’autres se retrouveront peut-être.

Acte Ier - À l’hôpital

Monsieur vient de naître depuis quelques instants, Dre Papillon repose sur le dos après cette épreuve. Nous somme seuls dans la salle d’accouchement, Monsieur est pleinement éveillé, en plein “arousal”. En effet, durant les deux heures suivant la naissance, le nouveau-né cherche à obtenir sa première tétée, notamment pour déclencher le processus de lactation. Il rampe jusqu’au sein, le prend en bouche mais s’arrête là. C’est toutefois un début intéressant.

Nous passons notre première nuit avec notre nouveau compagnon, mais il aura fallu se battre pour obtenir ce “privilège” (qui favorise grandement l’allaitement). Au matin, vient le temps de commencer à nourrir Monsieur pour de vrai ; normalement, le colostrum (premier “lait”, en très petite quantité mais très riche) devrait suffire à le sustenter. L’hôpital est bien organisé et possède des conseillères en allaitement qui nous montrent les positions de base (madone inversée, ballon de football, etc.). Cependant les premières tentatives de mise au sein ne sont pas aussi faciles que souhaité: le bébé se cambre, tourne la tête dans la mauvaise direction, bref, il n’aide pas la situation. Par ailleurs, Dre Papillon se sent tendue dans les différentes positions. Est-ce la méthode classique ou était-ce à cause des gestes désordonnés de Monsieur, toujours est-il que le bébé est littéralement plaqué contre le sein dès qu’il ouvre la bouche. Il finit par prendre quelques gorgées à plusieurs reprises : une fois accroché, il a une excellente succion, considérant sa prématurité.

Mais étant donné l’hystérie massive autour des hypoglycémies du nourrisson et la somnolence de Monsieur à son deuxième jour de vie, il devient nécessaire de faire appel à un complément de lait maternisé (à la tasse), ce qui nous ennuie profondément car cela fait partie des nombreux facteurs qui peuvent nuire à la ô combien délicate initiation d’un allaitement. Par la suite, Dre Papillon fait la rencontre de son ami pour la vie: le tire-lait. En effet, il semble nécessaire d’activer la lactation le plus vite possible en sollicitant les seins encore plus. L’ajout de cette technicité aussi précoce est vécue comme un grand désagrément… qui permet cependant de récupérer un peu de colostrum dans une pipette que nous insérons dans la bouche du bébé ou que nous lui barbouillons sur les lèvres.

Des mises au sein subséquentes se traduisent par de petites tétées réussies. Régulièrement des infirmières viennent vérifier lesdites tétées mais un doute subsiste dans notre esprit: les mises au sein sont toujours difficiles. Le bébé continue à se cambrer et à faire toutes sortes de simagrées avant de finalement accepter le sein. À plusieurs reprises nous demandons à voir une conseillère en lactation pour montrer ce point mais à chaque fois elle arrive trop tard. Nous obtenons finalement congé avec une légère crainte.

Vraisemblablement, quelque chose avait déjà brusqué Monsieur. Était-ce une douleur au cou suite au retournement de position, lors de la naissance ? La succion dans la bouche, juste après sa sortie ? L’association “piqûre de glycémie - mise au sein immédiatement après” ? Le fait que personne ne le laisse boire à la demande, mais que tout le monde l’oblige à boire aux 3h comme un robot ? Ou alors la technique brutale de mise au sein enseignée aux nouvelles mamans ? On ne le saura jamais…

Acte II - De retour à la maison

Le retour à la maison est un peu mouvementé: il fait une chaleur torride dans l’appartement, les chats sont relativement excités et surtout nous nous demandons bien ce que nous allons faire avec notre bébé.

Monsieur est un peu somnolent (ce que nous comprendrons par la suite être des symptômes de sa jaunisse récalcitrante) et nous le laissons dormir un peu. Finalement en début de soirée nous le stimulons pour l’encourager à manger sachant que malgré tout il n’était pas trop porté sur la bouffe encore.

Les premières tentatives de mise au sein sont infructueuses. Rapidement la situation s’envenime pour devenir hors de notre contrôle. Le bébé montre des signes de faim évidents, mais est trop désorganisé pour prendre le sein. Les difficultés éprouvées à l’hôpital se trouvent décuplées, il donne coups de pied et coups de poing vers sa source de nourriture, il hurle. Jusqu’au milieu de la nuit, nous essayons différentes méthodes comme la tasse et même le biberon que nous voulions absolument éviter mais tout est rejeté, rien ne peut entrer dans cette petite bouche sonore.

Par ailleurs la montée de lait commence à se faire sentir. Dre Papillon se sent inconfortable et les seins semblent beaucoup plus difficiles à prendre pour le bébé (merci la stimulation excessive du tire-lait !). Nous envisagions de louer un tire-lait en quittant l’hôpital pour parer à cette éventualité, mais nous n’avons pas eu le temps de le faire - ou était-ce l’envie qui manquait ? Un saut rapide chez des amis nous permet d’avoir un tire-lait manuel, douloureux et insuffisant. Chose certaine, ce genre de crises se déclenche toujours la nuit alors qu’il n’y a plus aucune ressource d’aide disponible…

Nous étions anxieux pour le retour à la maison : nous sommes servis. Ne pas pouvoir nourrir ni hydrater son nouveau-né de deux jours affamé, alors qu’on nous a dit qu’il est si fragile, à cause de sa prématurité, est un très grand stress pour de nouveaux parents. Rendus vers 3 heures du matin, le bébé alterne les crises de pleurs avec un état somnolent que nous attribuons à un manque de nutriments et d’eau. Nous décidons donc de prendre la route de l’hôpital quelques heures à peine après en être sorti.

Dans le même temps, nous savons pertinemment que ce déplacement est vain: ce n’est pas vraiment un cas médical, à l’urgence la seule solution serait le gavage ou la mise sous soluté qui calmerait notre angoisse de sous-nutrition mais ne résoudrait pas vraiment la question de l’allaitement. Mais ces solutions sont extrêmes et le bébé n’est pas si mal en point, cela ne fait que quelques heures qu’il n’a rien ingéré. Nous arrivons un peu calmés et sommes mis à attendre dans une salle séparée, calme et fraîche, du fait que nous avons un nouveau-né. Durant ce temps, Dre Papillon arrive bien évidemment à mettre le bébé au sein, qui se calme ensuite, repu.

Une infirmière vient nous voir, nous confirmant que les urgences ne peuvent pas grand-chose pour nous. Aimablement, elle se débrouille pour nous permettre de voir quelqu’un à l’étage des naissances (d’où nous sortons). Il s’agit surtout de nous rassurer et de nous donner accès à un tire-lait électrique pour désengorger le tout. Nous repartons une heure après avec un bébé qui a pris le sein et du lait fraîchement tiré, ainsi qu’une pipette et des gobelets pour éventuellement pouvoir le nourrir s’il refuse de nouveau le sein, ce qui nous rassure.

Par ailleurs, nous retournons à l’hôpital au matin, dans un état d’épuisement assez complet, pour rencontrer la conseillère en allaitement plus longuement. Nous sommes bien accueillis et comme aucune chambre n’est disponible (et qu’il n’est pas possible de nous admettre officiellement), une salle de classe - en fait un bout d’aile isolée du reste par des paravents - est réquisitionnée pour nous installer. Une consultante vient nous rendre visite et regarde un peu la mise au sein. Elle nous montre aussi la méthode pour nourrir le petit au gobelet comme méthode alternative, avec du lait maternel tiré. Le but étant encore et toujours d’éviter à tout prix de lui mettre dans la bouche un biberon qui, après une seule fois, pourrait le rendre confus dans sa technique de succion au sein. Nous passons aussi louer un tire-lait électrique. Nous voilà un peu plus en contrôle de la situation !

On passe un certain temps à discuter avec la conseillère du refus du sein, à ventiler sur le sujet (difficile à vivre, pour une maman, sans se sentir complètement rejetée par son bébé…) et à observer les comportements de Monsieur lors des mises au sein. Effectivement Monsieur se désorganise et se désengage très vite… Il n’aime pas être poussé vers le sein. Dre Papillon décide donc qu’elle sera infiniment patiente et calme avec ce bébé là, qu’elle va respecter ses préférences (déjà !) pour tenter de l’apprivoiser. Petit à petit, cette technique semble fonctionner et le bébé accepte parfois de reprendre le sein, sinon il y a toujours la tasse pour remplacer ou compléter, avant que la bataille tourne au vinaigre. Après tout, il faut que l’alimentation demeure une expérience agréable pour Monsieur. Nous sommes intensément soulagés de maintenant posséder une technique pour l’alimenter dans tous les cas, avec du lait fraîchement tiré et malgré le désavantage non négligeable de devoir tirer ce lait jour et nuit. Se nourrir est en partie la responsabilité du bébé, qui, quand il éprouve des difficultés à le faire, doit être aidé par ses parents, peu importe la technique. Il faut aussi aider la maman à rester dans sa bulle, un état d’esprit ultra zen et calme dans cette épreuve psychologique que représente chaque tentative de mise au sein. La situation demeure d’une fragilité extrême, mais il y a de l’espoir avec un lent retour au sein du bébé.

Le lendemain, nous nous remettons en route vers l’hôpital en matinée alors que notre rendez-vous pour le contrôle de la jaunisse est en après-midi. Nous voulons rencontrer à nouveau la consultante en allaitement avant car l’allaitement demeure très difficile, une lutte de chaque instant, en fait. Mais au moins, nous avons l’impression de maîtriser enfin certains outils et d’atterrir un peu… ce ne sera pas pour longtemps.

Acte III - La réhospitalisation

Une prise de sang (ainsi qu’un simple examen visuel) confirme que la jaunisse s’est aggravée depuis notre venue la veille. Bien que toujours présentée comme bénigne, cette jaunisse nécessite la réhospitalisation de Monsieur. Il va devoir passer 24h sous une lampe UV dans la pouponnière. Cette fois-ci, seul le bébé est hospitalisé, donc pas de cohabitation avec lui. L’hôpital propose des chambres de convenance mais assez éloignées de là (à 10 minutes de marche). Pour venir l’allaiter, nous nous faisons donc réveiller en sursaut, sur l’adrénaline, au son strident d’un téléphone antique et nous accourons à la pouponnière. Dre Papillon se retrouve avec dans les mains un bébé hurlant qui a faim depuis parfois assez longtemps… ou alors qui s’est rendormi le temps que nous arrivions. Un bébé que l’on cherche à alimenter aux trois heures tapantes, comme un robot, en fait, en suivant scrupuleusement le protocole infirmier.

Il faut alors tenter de donner le sein tant bien que mal dans la pouponnière sur une chaise en bois inconfortable, entre les lits pour bébés, les infirmières qui viennent stresser tout le monde pendant chaque tentative de mise au sein pour ajouter une “bili-blanket” sous le bébé (qui n’est pas mou et docile mais au contraire, ultra tonique et en pleine lutte !), les moniteurs qui sonnent de manière intempestive, etc. Après avoir accepté le sein une fois, il devient impossible de procéder ainsi et nous devons repasser au gobelet… une régression que nous souhaitions éviter. La nuit est tout bonnement abominable entre montée de lait et engorgement faramineux dont on ne sort toujours pas (et qui complique affreusement la tâche au bébé dans ses tentatives…), tire-lait et course minutée vers la poup’.

En milieu de matinée, nous obtenons notre congé et n’attendons pas plus de dix minutes pour rassembler nos affaires et déguerpir comme des voleurs de bébé avec Monsieur. La situation était d’une telle délicatesse avant l’hospitalisation, personne ne s’étonnera que ce bébé ne prenne plus du tout le sein au moment de son congé. Merci l’hôpital.

Acte IV - Finger feeding

De retour à la maison, nous craignons de revivre une autre nuit atroce. En effet, le gobelet qui nous rassurait lorsque les besoins alimentaires de Monsieur étaient minimes commence à nous inquiéter devant ses besoins grandissants et son comportement de refus qui s’est transposé à la tasse. Mais nous essayons de garder espoir pour le sein et voulons encore et toujours éviter à tout prix le fameux biberon. Nous appelons donc différents contacts (marraine d’allaitement, accompagnante en haptonomie) pour éventuellement avoir du support hors de l’hôpital, même si, avouons-le, les conseils en allaitement commencent sérieusement à nous sortir par les oreilles. Nous sommes finalement mis en contact avec une consultante en allaitement qui nous donne plusieurs conseils par téléphone et que nous planifions de rencontrer le lendemain. Le principal conseil consiste à laisser le bébé dormir son dû en peau-à-peau et à le laisser chercher le sein seul à son réveil.

Le réveil est une catastrophe : après avoir dormi plus de 4 heures, Monsieur se réveille affamé et incapable de prendre le sein car trop désorganisé. Il est tellement furieux que même au gobelet il met la moitié du contenu à côté et rien ne se rend à son estomac. Nous sommes en fin d’après-midi et nous voyons poindre à l’horizon une nouvelle nuit d’horreur comme parents incapables de nourrir leur enfant. Il est de notre responsabilité de trouver une solution.

La seule chose qui calme notre bambin est de téter un doigt dans sa bouche. Ceci nous fait penser à la technique “au doigt” qui consiste à proposer au bébé un doigt auquel est ficelé un minuscule tube de gavage relié à une seringue pleine de lait. Le grand spécialiste Jack Newman, dans sa Bible déjà citée ici, semble ne jurer que par cette technique pour faire revenir un bébé à l’allaitement après un refus du sein. Nous sommes convaincus que cela passera et toujours remplis d’un espoir parfois vacillant pour la suite des choses… sauf que nous n’avons pas le matériel nécessaire. Nous nous activons avant que la nuit tombe cette fois-ci, pour prendre les devants de la situation. Nous contactons un couple d’amis que le passé a transformé en salle d’urgence pédiatrique ambulante… par chance pour eux (et malchance pour nous), ils ont tout vendu. Les pharmacies n’ont rien, car c’est trop spécialisé (je n’en reviens toujours pas d’ailleurs). Finalement, nous recontactons l’hôpital pour parler à la consultante en lactation de garde ce soir-là pour lui demander si elle pourrait nous fournir le matériel et nous enseigner la technique.

Elle accepte et nous voici de retour à l’hôpital avec un objectif précis en tête, quelques heures après l’avoir quitté. Une fois arrivés, nous préparons le matériel avec du lait tiré quelques heures plus tôt et miracle ! Monsieur boit immédiatement et très facilement… ce qui n’est pas sans nous tirer une larme de joie considérant que depuis les cinq derniers jours, nous ne l’avions jamais vu boire aussi goulument.

Nous retournons de là rassérénés et passons une bonne nuit… une bonne nuit à ce moment-là consistait à mettre une minuterie toutes les trois heures pour réveiller notre monstre et le nourrir, pour ensuite faire la séance de tire-lait. La routine se fait lourde et fastidieuse.

Acte V: Puis le biberon

Cependant les besoins de Monsieur ont continué d’augmenter. En une semaine, nous passons de deux seringues de 10 mL à trois seringues de 20 mL (plus difficiles à manier) pour combler ses besoins. La routine nous semble de plus en plus pénible et nous ne voyons pas la lumière au bout du tunnel. Il faut à chaque fois se harnacher le doigt puis pratiquer des changements de seringue à la volée pendant lesquels Monsieur s’endort. Enfin ceci semble impossible à tenir sur la durée.

Par ailleurs, la technique du doigt sert normalement à calmer le nourrisson avant de le remettre au sein. Mais de sein, il n’y a point. Que ce soit après 2 mL au doigt ou 20 mL, juste avant ou juste après une séance de tire-lait, ou autre les deux, le résultat est toujours le même, il boude les mamelles sacrées. Dans ces conditions, après une petite semaine au doigt, il semble plus raisonnable de déboucher sur la solution tant redoutée, celle qui en deux temps trois mouvements peut faire oublier à Monsieur comme fonctionne un vrai téton : le biberon.

Aux premières tentatives, Monsieur ne semble pas trop savoir quoi faire avec ce truc dans la bouche. Son premier réflexe est même de le repousser de la langue. Finalement il comprend assez vite et commence à se descendre des 50 mL puis des 70 mL de lait en des temps records comparé à la seringue. Nouvel instant de soulagement pour les parents (et intense satisfaction de nourrir son enfant). Début du deuil progressif de l’allaitement pour la maman.

Bien que je puisse aider en donnant le biberon, la routine est malgré tout fastidieuse: tirer le lait, donner le biberon, faire toute la vaisselle du biberon et du tire-lait et ce, 8 à 12 fois par jour. Ce dernier, attirail des plus sexy, est aussi passablement douloureux pour Dre Papillon. De plus, quand le papa s’occupe du bébé, il ne lui reste plus à elle que la sensation d’être une vache à lait, sans celle de se sentir maman… Le moral oscille entre la volonté de tenir ainsi quelques mois pour laisser la chance au bébé de revenir au sein (il y a des histoires réussies à 2-3 mois !), et un sentiment de lassitude extrême avec lequel il semble difficile de terminer la semaine.

Nous voulons croire que Monsieur reprendra le sein, beaucoup de personnes autour de nous nous disent avoir vu des enfants reprendre le sein après le biberon, mais on ne sait jamais chez quel bébé cet accessoire aura tout gâché.

Acte VI: Finalement le sein

En bout de ligne, après seulement deux jours de biberon à temps plein, Monsieur finit par reprendre un sein en bouche… et à en tirer quelque chose. Certes l’acte n’est pas simple: il continue à se tortiller dans tous les sens, à chercher le sein partout où il n’est pas, à mettre ses bras dans le chemin, à donner des coups de pied et à se cambrer par en arrière. Mais au moins le biberon n’a pas étouffé sa capacité de succion, même s’il semble lui avoir rendu les choses plus compliquées. Il semble même se payer des snacks assez consistants !

Depuis ce jour-là, la situation s’améliore très lentement. D’un système sein + biberon de complément, Monsieur est passé à un régime exclusif au sein. Ceci a également permis à Dre Papillon de limiter grandement l’usage du tire-lait après un sevrage progressif, un vrai plus dans la vie.

De même, après ne s’être contenté que du sein droit, Monsieur a finalement accepté de reprendre aussi le gauche, en alternant à chaque tétée. Et depuis quelques jours, il lui arrive même de prendre les deux à chaque tétée.

La mise au sein demeure toujours difficile au point qu’il n’est pas envisageable pour l’heure d’exporter son alimentation hors de la maison ni même de le faire devant qui que ce soit, ce qui est assez limitant socialement. Mais c’est en bonne voie et sûrement Monsieur est-il encore en mesure de faire des progrès en se développant. Après tout, c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Par ailleurs, il n’a jamais pris autant de poids par jour que depuis qu’il est au sein… preuve qu’il a compris comment ça marche !

Épilogue

Plusieurs personnes nous ont dit que nous avions bien fait d’insister. Pourtant, est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle ? Au fond, on ne parle jamais que d’une question de lait… Par moments, nous avions vraiment l’impression d’insister comme des extrémistes, ce que nous ne croyons pas être… Car derrière le résultat, chaque tentative ratée était (et est encore) un échec difficile à vivre, notre moral joue au yo-yo et l’objectif n’a rien de garanti (bien des enfants n’arrivent jamais à revenir au sein).

Quoiqu’il en soit, nous avons eu beaucoup d’embûches, mais aussi des aides, sur notre chemin. Au rang des embûches :

  • L’hystérie massive des hôpitaux pour l’hypoglycémie du nouveau-né, qui a rendu les premiers jours à l’hôpital stressants et jouant d’autant plus sur les premières tentatives de mise au sein,
  • La réhospitalisation où seul le bébé est hospitalisé et les parents à l’autre bout,
  • Le trop-plein de conseils, l’introduction trop hâtive, probablement inutile et désagréable du tire-lait. Toutes les infirmières y vont de leur conseil. Y a les granos, les pures et dures, les médicalisantes, etc.

Au rang des aides:

  • Des personnes plus à l’écoute que d’autres qui cherchent à comprendre plus qu’à sortir des conseils préenregistrés que nous connaissons trop bien,
  • Les amis compréhensifs, la famille,
  • Jack Newman et “L’allaitement, comprendre et réussir”
  • L’instinct maternel, car même si parfois elle en doute, c’est Dre Papillon qui a remis ce petit au sein.

Qu’est-ce qui aura ramené Monsieur au sein finalement ? Le fait de répondre aux premiers signes de faim selon la demande ? Le peau à peau à outrance ? L’écharpe dans lequel il a été porté ? Les bains maman-bébé où il a fini par prendre le sein, tout émoustillé dans une sorte de rebirth ésotérique ? L’ostéopathe que nous avons vu la veille de la reprise du sein ? Le fait qu’il soit en train de mûrir, de se comprendre un peu plus lui-même ?

On ne le saura probablement jamais. En attendant, la partie est encore loin d’être gagnée, nous prenons les choses une tétée à la fois et advienne que pourra… Les prochains jours seront cruciaux en fait car si l’activité tarde à devenir plus facile (et surtout : agréable pour tout le monde), l’expérience tirera probablement à sa fin. Un allaitement désagréable, ce n’est pas un allaitement souhaitable. Chose certaine, on ne pourra pas dire que nous n’avons pas essayé.

J’ai rangé mes vêtements de maternité dans une boîte car ma garde-robe d’avant me fait déjà très bien. Ça m’a fait un drôle d’effet, un pincement au coeur, que cette étape soit déjà chose du passé, car en même temps, bébé devrait encore être dans mon ventre… Non pas que la bedaine et les inconforts me manquent, mais j’ai l’impression tenace de quelque chose d’inachevé, comme un bout de grossesse volée. C’est difficile à expliquer.

De la même manière, je continue à penser que Monsieur a non pas “3 semaines et demie”, mais “moins une semaine”. Je pense que cette étape sera bouclée lorsque j’aurai enfin atteint et dépassé ma “date prévue d’accouchement”…

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Ça me fait aussi bizarre de penser que mon corps est transformé à jamais par l’expérience de la grossesse et de l’accouchement. Pas tant au niveau de l’épiderme (je me suis sauvée des vergetures et autres joyeusetés), mais inscrit de manière indélébile à même mon ossature, reconnaissable par n’importe quel archéologue même dans un millier d’années !

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Si comme Monsieur, vous étiez en train de chercher à doubler votre poids en 6 mois avec seulement du lait, il vous faudrait de manière proportionnelle à lui ingurgiter 1,5 à 2 L de lait aux 3h, jour et nuit. Pas étonnant qu’il y ait des petits débordements…

Si certains d’entre vous ne lisent pas régulièrement Laurent, je vous invite à lire un de ses billets récents sur les ampoules (sujet a priori con s’il en est).

Dans les derniers jours, deux de nos quelques ampoules fluocompactes ont rendu l’âme avec moins d’un an de durée de vie, soit nettement moins de 1000 heures d’utilisation et avec une pollution chimique en plus -pour faire les choses bien, il faudrait j’apporte ces ampoules à l’éco-quartier du coin car c’est un déchet dangereux.

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Rendu à ce point, je ne sais plus quoi acheter, franchement…

En ce moment je profite d’un peu de mon temps pour regarder des vidéos sur TED. Tant d’ingéniosité, de créativité sur des sujets variés: la technologie, la biologie, les affaires, l’art… et pas moyen de s’éclairer correctement, on se tape encore des ampoules de merde !

Comme vous commencez à le savoir, notre petit Monsieur est arrivé un peu en avance. Une naissance prématurée (même quand ce n’est pas extrême), ça brusque toujours un peu tout le monde : le bébé lui-même, mais aussi ses parents, même si globalement, on avait l’essentiel de ce qu’il fallait pour l’accueillir, et puis avec toutes mes contractions et mon arrêt de travail depuis le mois de mars, on se doutait bien que ça pouvait arriver…

Je ne sais pas dans quelle mesure certains facteurs psychologiques peuvent jouer, mais Monsieur a quand même attendu certains événements-clés et le seuil que l’on s’était fixés longtemps d’avance. Il a su attendre que son papa obtienne sa promotion, et il a su attendre l’arrivée de l’été.

Comme je m’ennuyais depuis des mois au repos à la maison, Stéphane et moi avions trouvé une grande occupation pour nos soirées. Je l’avoue un peu gênée : il m’a rendue complètement accroc à la télésérie japonaise Naruto, soit près de 300 épisodes d’environ 20 minutes chacun, en date d’aujourd’hui (et ça continue !). Il s’agit d’un manga mettant en vedette Naruto, un jeune ninja en devenir qui découvre un peu la vie en même temps que ses techniques de combat. Ce n’est certes pas de la trempe de Evangelion, mais ça se laisse regarder et plusieurs des thématiques sont touchantes et bien traitées.

Croyez-le ou non, nous avons bouclé la boucle de la série la veille de l’accouchement, alors que je ressentais mes habituelles nombreuses contractions de fin de journée. Quel timing serré ! J’avais souvent dit au cours de la grossesse que bébé ne devait pas naître avant que l’on ait fini le dernier épisode, à la rigolade. C’est quand même un drôle de hasard.

Je dis aussi que cette grossesse est nipponisante car j’en ai profité pour lire plusieurs romans de Haruki Murakami, découverte venant de Karl, qui se laisse dévorer également. Je n’aurai pas eu le temps de me rendre à La course au mouton sauvage, mais je suis passée au travers de La ballade de l’impossible (un superbe roman d’apprentissage !), Kafka sur le rivage et Le passage de la nuit. Dans son coin, Stéphane lisait Génération Otaku de Hiroki Azuma.

Je commençais à me demander si le bébé aurait les yeux bridés ! Heureusement, ce n’est pas le cas, il ressemble plutôt à son papa ;)

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J’ai aussi eu plusieurs occasions de tromper mon mari au cours des derniers mois, et je ne m’en suis pas privée. Heureusement, nous sommes un couple très libre !

Je vous présente mon premier amant. Il s’appelle Jean-Saul Partre. Il s’agit d’un oreiller de corps très confortable qui s’est subrepticement glissé dans le lit conjugal pour alléger un peu le poids du ventre… Ceci dit, nous avons rompu dernièrement.

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Jean-Saul, avachi au lit

Car j’ai trouvé un nouvel amant depuis, avec qui j’entretiens une relation d’amour-haine assez ambivalente - et assez malsaine finalement. Il s’appelle Siboir de Meaunome. C’est le tire-lait avec qui je fais de multiples séances intimes en tête à tête, jour et nuit, depuis la fin juin. Remarquez que je suis là aussi en train de prendre mes distances…

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Siboir au salon

Je me suis également découvert un gourou et je suis entrée dans une secte, depuis la fin juin. Le gourou en question s’appelle Jack Newman et c’est le plus grand chantre de l’allaitement maternel que la terre ait porté. Ce gars-là vous ferait allaiter votre grand frère ou votre petit chat avec un élégant coup de baguette magique… Je pense que c’est lui qui a inventé l’allaitement maternel, sérieusement !

Il se trouve qu’avant l’accouchement, j’avais emprunté une série de livres sur le sujet, en sachant que ce n’est pas une chose facile à initier et qu’il vaut mieux être informée pour avoir confiance en soi. Au congé de la maternité, j’ai confié la pile de livres à ma mère pour qu’elle les rende à la bibliothèque, mais j’ai gardé cette Bible que je n’avais pas encore ouverte, qui dicte maintenant ma nouvelle religion, et grand bien m’en fut, car mes difficultés d’allaitement ne sont pas légères, c’est le moins qu’on puisse dire (et ce n’est pas encore gagné) !

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Juste après l’accouchement, on m’a montée à ma chambre et on m’a volé Monsieur pour aller lui faire subir ses premières souffrances médicales. Je reconnais entre mille sa petite voix caractéristique et ses hurlements vrillent mon coeur de maman toute neuve. Je demande à l’infirmière ce qu’ils sont en train de faire à mon bébé (et me demande pourquoi ce n’est pas fait en peau à peau…), et elle me répond sèchement :

“Bof, ce n’est pas ton bébé, il y a plein de bébés qui pleurent sur l’étage et tu ne peux pas le reconnaître…”

Pfff, on voit qu’il y en a qui sont franchement connes, ou alors qui n’ont jamais eu d’enfant, je ne sais pas… Je ne pensais jamais me changer en tigresse enragée toutes griffes sorties, mais c’est vraiment l’effet que ça fait, d’avoir un enfant : ça vient juste de naître, et déjà tu voudrais le protéger contre les misères de la vie, et ça fait mal de ne pouvoir le faire…

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Première sortie avec bébé porté en écharpe, en double croisé enveloppé devant (pour les connaisseurs), la semaine dernière. On marche sur l’avenue Laurier, mes pas se font doux pour ne brusquer personne, Monsieur fait un drôle de petit bruit à chaque respiration… On croise des jeunes filles sur le trottoir et je les entends se retourner sur notre passage :

“C’est un animal ou quoi ?”

Image

Arthur, 11 days, testing his new transportation medium

En quelque sorte, un nouveau-né, c’est encore un peu un petit animal, une sorte de mammifère-primate avec toutes sortes de réflexes, mais bon. C’est aussi un robot pour les protocoles hospitaliers, alors ça reste à voir.