Disclaimer - Ce fut énoncé voilà quelques mois mais voici une piqure de rappel: ce blog est désormais un “blog bébé”. Il est fort probable qu’à peu près 99,9% des billets concernent d’une manière ou d’une autre Monsieur, sa vie, ses couches ou toute autre tâche connexe. Si vous venez ici pour entendre parler des anciens sujets, notamment des chats, passez votre chemin, ils n’auront plus qu’une importance marginale.

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Voici le temps de revenir brièvement sur notre expérience hospitalière post-partum. Les éléments qui suivent ne doivent pas être vus comme une critique des personnes qui se sont occupées de nous mais plus du système dans lequel ça se place.

En effet, bien que Dre Papillon soit plus qu’habituée à l’environnement hospitalier, être un patient ou presque reste toujours une expérience différente. Pour replacer le contexte, nous étions dans un hôpital universitaire “mère-enfant” visant à devenir ami des bébés (favorisant le peau-à-peau, l’allaitement maternel, etc.)

Les suites directes de l’accouchement se passent bien. Bien entendu le personnel ne peut s’empêcher de prendre le bébé quelques instants pour le peser mais c’est tout. Pour faire quelques vérification auprès de la maman on donne au papa le bébé en peau-à-peau.

Ensuite nous sommes conduits vers notre chambre, certes ancienne mais complète: un petit lit pour Monsieur, un grand lit pour Dre Papillon et un lit pliant pour moi qui me permettra de demeurer présent tout le long de l’hospitalisation. Rien à dire là-dessus.

Après quelques minutes d’atterrissage la machine démarre pour ne plus jamais s’arrêter. D’abord Monsieur est emmené dans la pouponnière pour une première prise de sang, une injection de vitamine K et pour mettre un onguent pour les yeux. Nous sommes bien d’accord avec ces gestes médicaux, sauf qu’ils auraient pu être effectués dans la chambre (en présence de la Maman qui en l’occurrence était auscultée par une infirmière mais qui reconnaissait déjà assez nettement les pleurs de Monsieur subissant sa prise de sang(Le protocole pour la prise sang semble particulièrement douloureux: on pique le talon avec une aiguille comme les diabétiques le font. Puis il faut presser vigoureusement sur le pied pour faire sortir quelques rares gouttes de sang. Cette étape, qui peut durer quelques minutes est littéralement terrifiante pour le parent assistant à la scène)).

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Pansement sur le talon

Pour ma part j’ai accompagné Monsieur et il devient de plus en plus clair que le personnel souhaite garder Monsieur en observation à la poup’ pour la nuit car il est prématuré… prématuré mais en pleine forme. Autour de moi je regarde: les bébés en observation sont cordés les uns à coté des autres dans leur lit avec un sommeil régulièrement interrompu par les moniteurs qui bippent, les autres bébés qui braillent et les infirmières qui viennent faire des prélèvements à tour de rôle. Le tout avec deux infirmières qui gèrent d’autres chambres en plus et qui donnent le biberon sur un coin de bureau en discutant de leur dernière fin de semaine.

Bref, nous commençons à protester que nous voulons garder Monsieur avec nous pour la nuit, comme il est en bonne santé. Les argumentations n’y peuvent rien et nous demandons donc de pouvoir au moins le garder en peau à peau quelques temps et que nous appellerons les infirmières lorsque nous serons prêt à le déposer. Il est alors près de 1h du matin, Dre Papillon sort encore à peine du traumatisme de son accouchement mais est prête à se battre pour garder Monsieur avec nous, non sans raison.

Nous nous relayons alors à prendre Monsieur dans nos bras. Il semble aux anges, nous aussi. Finalement vers 3h du matin, une de nos infirmières passe et nous fait comprendre qu’on pourrait garder notre petit cadeau avec nous puisqu’il va bien. Même conclusion que pour l’accouchement: quasiment tout semble négociable, il faut juste prendre les devants.

Lendemain matin, c’est l’épisode “le cirque”. Alors que Dre Papillon fait connaissance pour de vrai avec Monsieur en essayant de lui donner le sein, une foule impensable pénètre à tour de rôle ou simultanément dans la chambre: infirmière et son auxiliaire de nuit, puis de jour, conseillère en allaitement avec son infirmière en orientation, infirmier du centre de prélèvement qui vient faire hurler le petit alors qu’on essaie de le mettre au sein, infirmière de l’étage qui vient faire un autre prélèvement sanguin, préposé à l’entretien, préposé au service des repas et possiblement encore d’autres. Quand le nouveau-né prend le sein tout seul comme un grand, c’est cool. Quand il comprend un peu moins que ce qu’on veut (c’est souvent le cas d’un prématuré comme Monsieur), c’est nettement plus difficile et stressant.

Ensuite commence la routine du désagrément: comme Monsieur est prématuré, il faut s’assurer qu’il ne fait pas d’hypoglycémie. Le protocole pour cela ? Lui piquer le talon toutes les trois heures pour une glycémie. Sauf que Monsieur ne doit pas avoir manger dans les trois heures qui précèdent. Donc on fait le prélèvement qui fait huuuuurler le bébé puis on essaie de le mettre au sein sous le regard directeur et sévère d’une infirmière qui corrige le moindre geste de travers. Forcément, ce qui doit arriver arrive: Monsieur n’est pas intéressé à manger après une prise de sang, donc met à coté la moitié du précieux colostrum et fait une hypoglycémie. Qui dit hypoglycémie dit complément de lait maternisé (on voulait l’éviter) et prolongement du protocole pour 12 heures de plus. Bref, le protocole provoque ce qu’il cherche à démontrer en frustrant le nouveau-né et en fixant les intervalles de prise de mesure (Oui, on sait parfaitement que pour avoir des données convaincantes il faut un protocole un peu rigide mais là c’est ridicule. À moins d’avoir un bébé robot qui boit exactement à toutes les 3 heures sans se laisser déranger par les prises de sang…)

Après deux jours et demis de cette routine, incluant l’infirmière de garde qui veut voir une mise au sein fructueuse en pleine nuit, vient le congé. Sauf que…

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Arthur - 2 days and a half

Monsieur, le jour de son congé… avec une vague teinte jaune

Sauf qu’il reste encore à venir (au 3ème et 4ème jour): le pic de jaunisse du nouveau-né, la montée de lait de la maman quand elle allaite et le point maximum de perte de poids du bébé. Plusieurs choses peuvent ne pas aller là-dedans. Dans notre cas, la montée de lait a rendu la mise au sein difficile et même impossible et rapidement Monsieur a atteint un niveau de jauneur inacceptable.

Ceci s’est soldé par une réhospitalisation 24 heures après le congé pour faire baisser le taux de bilirubine, ce déchet d’hémoglobine qui rend la peau jaune et l’enfant somnolent sans être vraiment dangereux par ailleurs à ce niveau-là.

Sauf que là, les conditions ne sont pas les mêmes : seul bébé est hospitalisé, nous n’avons plus de chambre en cohabitation. Heureusement l’hôpital est bien organisé et propose une chambre pour les parents, mais dans une autre aile, à un autre étage. Moralité Monsieur passe son temps sous une lampe UV (c’est le traitement de la jaunisse). Dès qu’il montre des signes de faim (ou plus simplement toutes les 3 heures, en bon bébé-robot), nous nous faisons appeler dans la chambre pour accourir à la pouponnière pour essayer de le nourrir (dans la pouponnière, au milieu des infirmières parfois plus ou moins au pause, des moniteurs et des autres bébés qui hurlent). Inutile d’espérer une mise au sein réussie… il faut donc opter pour donner le lait à la tasse, désagrément suprême(Ceci implique aussi que la Maman tire son lait, expérience ô combien agréable et gratifiante et qui présente l’avantage certain de réduire encore plus la durée des nuits).

Au bout de 24 heures, Monsieur a déjaunit mais ne prend plus du tout le sein et a aggravé son comportement de petit sauvageon en pleine crise histrionique quand on lui présente une glande mammaire gorgée de lait.

Quelle est la moralité de tout ceci ? Possiblement qu’en maintenant une hospitalisation initiale plus longue (pour un prématuré, avec un poids et un taux de bilirubine vraiment limite), nous aurions évité du stress et cela aurait pu permettre de maintenir l’allaitement. Par ailleurs, malgré le souhait d’être “Ami des bébés”, l’organisation est trop fordienne pour permettre de vivre pleinement cette rencontre avec un nouveau membre de la famille.

Plusieurs des personnes que nous avons rencontrées là étaient charmantes et faisaient bien leur travail, mais le cadre et l’organisation rendaient cela vraiment difficile. Après nous sommes peut-être une bande de chieurs et que la majorité s’en satisfait très bien.

Inattendu et en avance, Juin a été très riche en événements pour moi: L’arrivée de Monsieur à la maison et une nomination à un poste de chef d’équipe au boulot.

Dans les deux cas, il s’agissait d’espoirs longtemps couvés enfin réalisés. Pour le fait d’avoir un enfant, nous en discutions depuis plusieurs années mais les études de Dre Papillon ainsi que ma situation initialement précaire au Québec rendait cela difficile voilà quelques années. Quant au fait d’être chef de quoique ce soit, ce n’est pas forcément un poste en particulier que je visais, mais l’impression de ne pas avoir foutu en l’air ma vie professionnelle en venant que Québec. Par ailleurs, et malgré ce dont j’ai voulu me convaincre voilà quelques années, j’ai un esprit de compétition et il me faut donc des stimulations et une progression au niveau professionnel. Nier cette réalité ancrée en moi m’a nuit plus qu’autre chose.

Mais je sais aussi qu’il est facile de surévaluer ce qu’on espère de tels événements. Une des vidéos de TED que j’ai vu (j’ai oublié laquelle) m’a appris combien le cerveau peut-être un simulateur défaillant. En d’autres termes combien un événement comme une promotion peut être anticipée comme ayant des répercutions très positives pour un effet bien plus faible ou inverse.

Ainsi au fur et à mesure que je m’approchais de chacun de ces deux buts, je me demandais (en me demande encore) si c’est une chance ou une malédiction. J’ai pleinement conscience que l’un comme l’autre peuvent me (nous) jeter au fond du trou pour une raison ou une autre. Je sais que les deux peuvent apporter une quantité de stress, d’anxiété et d’angoisses nouveaux. Et pour avoir déjà touché le fond du baril, justement peu de temps après être arrivé au Québec, je ne suis pas trop tenté d’y retourner (Et comme le dit la chanson, “Y a toujours plus profond que le fond”).

Le risque est grand aussi de voir ces deux événements comme une fin et de s’en satisfaire. Toutefois ce n’est qu’un début. C’est le doigts dans une longue suite donc on ne sait où elle va mener. Je souhaite du plus profond de mon cœur faire de ces événements quelque chose de “beau”. Mais s’il est “facile” d’avoir un enfant, c’est autre chose de faire de son développement et de sa vie avec lui quelque chose de beau. Idem pour la gestion d’une équipe, pas toujours facile de voir quoi en faire, surtout qu’on est jamais pleinement libre.

C’est aussi là qu’avoir vu de près la dépression une fois m’aide. Je sais intimement que certaines choses nous entrainent de force vers le bas alors que ça n’en vaut pas la peine. Et de la même manière qu’on surévalue les aspects positifs d’en événement, on surévalue les impacts d’un événement qu’on juge négatif.

Pour moi, une page s’est tournée. Ce n’est pas une rupture profonde, mais ça va changer ma vie, pour le mieux j’espère, pour mon mieux être à moi et pour ceux qui m’entourent et en faisant mon possible pour ne pas subir de déconvenue.

P-S: Tant qu’à faire, j’en profite pour m’excuser auprès des amis et connaissances, de même que les projets dans lesquels je m’étais investi, que j’ai un peu abandonné au cours de la dernière année. Je suis un peu ours de nature et les sollicitations dans mon quotidien m’ont fait oublier/négliger certaines choses. Mais ça se rattrape toujours :)

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Arthur and Stéphane

Nombre de mes confrères hommes-avec-enfant m’ont prodigué des conseils en vue du jour J. À mon tour, je veux permettre à l’homme naïf de savoir ce qui l’attend si un jour sa femme/concubine/blonde/conjointe vient à enfanter; car clairement, l’accouchement, c’est pas pour les fillettes (attention, peut contenir des propos sérieux).

Alors toi, l’homme dont la femme de ta vie présente une protubérance abdominale enflant de jour en jour, sache d’abord que ce n’est pas une maladie. Sache aussi que malgré les déformations extrêmes et la durée de la chose, il y aura une fin, un jour, et il faut s’y préparer. Et qu’enfin, plus on approche de la fin et plus on se rend compte qu’il y a des choses à faire.

La première chose est donc d’ouvrir un livre d’anatomie (disponible dans toute bonne bibliothèque) et de potasser la géographie féminine faute de quoi la moindre conversation sera incompréhensible: périnée, col, bloc honteux et autres déchirures du 4ème degré ne doivent plus avoir de secret pour toi. Étonnamment les femmes semblent avoir une connaissance innée de leur anatomie car oui, nous aussi avons un périnée mais on s’en fout.

Grâce à ceci, tu pourras participer aux cours prénataux en ayant l’air au courant. Rien de pire que de ne rien comprendre à ces cours-là, de ne pas oser poser de question et de se retrouver lors de l’accouchement à demander par où sort le bébé.

La deuxième étape consiste à soutenir votre femme dans ses choix. Dites-vous bien que de toutes manières, pour une étape aussi importante, il y a de bonnes chances pour qu’elle n’en fasse qu’à sa tête. Épidurale ou non, accouchement dans la baignoire à la maison ou en salle d’opération, c’est elle qui décide. Au mieux documentez-vous sur les avantages et inconvénients de ses choix pour ne pas être surpris. Par exemple, cela me semblait de la folie furieuse d’accoucher sans épidurale… puis finalement on finit par se convaincre des avantages et à faire face aux conséquences: une douleur abominable et des encouragements vaguement inutiles.

Étant magnanime, voici un site qui explique les différentes alternatives durant l’accouchement. Inutile de trop compter sur les cours prénataux, ils sont biaisés. Par exemple certains diront que l’épidurale est incontournable et que c’est ridicule de souffrir alors qu’on peut l’éviter, d’autres que c’est inutile et que ça rallonge le travail. C’est à vous (à deux) de faire un choix et en priorité à madame.

Dernière étape : l’accouchement en tant que tel. La seule et unique chose à faire est d’avoir mis quelques cierges à bruler à Notre-Dame-des-bons-accouchements et espérer que cela va aller vite. Ceci excepté, vous ne pouvez rien faire. Rien hormis quelques encouragements bien placés, et des massages sans réel effet. Remarquez que dans les faits, votre conjointe non plus n’y peut rien. Ça viendra quand ça viendra.

Parmi les nombreux conseils que j’ai entendu, il y avait que j’étais mieux de rester vers la tête de ma femme faute de quoi je serais traumatisé à vie. Certains m’ont même conseillés de fuir dès que possible (si elle s’évanouit ou ferme les yeux). Sachez cependant qu’il n’y a rien de bien traumatisant là-dedans. Pas besoin d’être devin pour imaginer ce que ça donne d’avoir une tête de plus de 30cm de circonférence passer par là. Faites-vous une idée et demandez à l’amour de votre vie ce qu’elle veut: certaines préféreront vous préserver auquel il n’est pas utile de jouer les héros si vous ne le sentez pas. D’autres voudrons que vous voyez toutes la sortie, film à l’appui, en plus d’attraper le bébé et de couper le cordon avec les dents. Je suis certain que c’est faisable. Généralement d’adrénaline aide à survivre. Généralement.

En tout état de cause, si vous ne vous sentez pas capable, reculez d’un pas et asseyez-vous ; le personne médical en a suffisamment à gérer avec votre femme pour ne pas avoir à vous recoudre le crâne. Et enfin, que l’on parle de la grossesse ou de l’accouchement, dites-vous qu’à moment ou à un autre, ça finit par sortir !

Dernier point que vous pouvez aborder avec votre femme: le don de sang de cordon. Tous les hopitaux ne le font pas, mais si le votre le propose, c’est utile (et moins douloureux qu’une prise de sang).

Journal de bord du capitaine, jour 0

Malgré un fort pressentiment je prends le chemin de travail comme à chaque fois en ce lundi matin veille de la St Jean, jour férié. La journée promet d’être tranquille… à moins que.

10h: Dre Papillon me fait savoir qu’elle ressent des contractions à intervalle régulier, aux 5 minutes. Inutile de s’exciter à ce point; les contractions, même fréquentes et régulières, sont notre pain quotidien depuis plusieurs mois. Ce n’est pas franchement douloureux, mais c’est un peu différent de l’habitude, dans le bas du ventre et le dos. Cependant si au bout de 2 heures cela continue, il faudra se pointer à l’hôpital, ne serait-ce que pour faire du monitoring et avoir un statut.

12h: Les contractions sont toujours présentes et régulières. Il faut envisager l’hôpital. Nous n’avons pas de voiture à portée de main mais une collègue et amie me propose la sienne. Sans être stressé outre mesure il est difficile de ne pas avoir les neurones en ébullition.

13h: Départ du travail. J’ai écrit mes dernières volontés professionnelles en cas d’absence prolongée. Si un cadeau sort du ventre de Dre Papillon, je ne remettrai pas les pieds ici avant 3 semaines minimum, merci au congé de paternité.

14h: Nous avons rassemblé de quoi aller à l’hôpital et sommes parés à tout, même à y rester quelques jours et à accueillir un petit bonhomme. Par chance, Dre Papillon est prévoyante de nature, deux valises sont prêtes depuis quelques temps déjà, une pour elle durant l’accouchement et après, une pour le bébé (et moi).

14h50: Arrivée à l’hôpital Sainte-Justine. À la description des symptômes, le personnel n’hésite pas une seconde : nous nous voyons attribuer une salle d’accouchement, la 7. Comme c’est un premier bébé et que personne n’est impressionné par l’absence de souffrance apparente de Dre Papillon, il faudra attendre longtemps avant de voir un médecin.

16h : Nous sommes installés dans ladite salle. Les signes vitaux sont pris par une infirmière (immédiatement remplacée par une autre, fort gentille qui nous accompagnera pendant les 8 heures à venir). L’infirmière de soir sort d’office le kit complet d’accouchement en nous disant qu’elle a plusieurs fois été prise de vitesse par des sorties précipitées dans la 7. Si elle pouvait avoir raison, nous ne serions pas contre, un travail-marathon ne nous inspire pas trop. Elle nous prédit un accouchement sur son quart de travail.

17h30: Le résident de garde en obstétrique vient finalement nous rendre visite. C’est le seul habilité à aller voir de plus près et à poser un diagnostic. Ce dernier est formel : dilatation à 5.5cm, le travail est en route. Si cela se déroule vite, le bébé peut naître aujourd’hui, sinon ce sera le même jour que la fête nationale québécoise. En tout état de cause, ce sera un petit prématuré de 1 mois, ce n’est pas rien. Toutefois, grâce à l’échographie passé un mois plus tôt, nous savons que le bébé devrait avoir un poids respectable. Dre Papillon doit recevoir des antibiotiques intraveineux mais réussit à ne pas se faire installer de soluté, seulement une voie veineuse. Elle préfère boire la quantité de liquides prescrite directement (et manger en cachette mais gardez ça pour vous).

18h: Nous essayons de passer le temps. Les contractions sont un peu plus rapprochées, toujours aussi peu douloureuses. Du fait que c’est un prématuré, Dre Papillon est théoriquement sous monitoring continu permettant de voir défiler sur papier le rythme cardiaque du bébé ainsi que les fréquences des contractions. Dans les faits, nous négocions un monitoring intermittent car nous voulons pouvoir bouger à notre guise, surtout que le tracé du coeur du bébé est toujours rassurant.

19h: Les contractions commencent à gagner en intensité. Nous obtenons cependant le droit de profiter du bain malgré le souhait du personnel soignant d’avoir un suivi continu. Le bain bouillonnant soulage un peu les douleurs des contractions. Notre infirmière préférée passe toutes les 15 minutes pour écouter le coeur du bébé avec un doptone submersible. Le bain est installé depuis 2 ou 3 semaines à peine et Dre Papillon est bien heureuse de pouvoir y passer une heure complète.

20h20: Le résident de garde repasse pour faire un suivi. La dilatation est de 6,5 cm. Déception, le travail est maintenant traînant et on évoque la possibilité de devoir médicaliser davantage l’accouchement. Nous aurions souhaité être plus avancés; d’après les courbes classiques, nous aurions pu compter sur une dilatation de 1,2 cm par heure depuis 17h30. Peut-être que notre infirmière qui pariait sur un accouchement le jour même s’est trompée. Comme le personnel médical est très a cheval sur les durées de chaque étape, le résident envisage de rompre la membrane des eaux dans quelque temps pour accélérer le travail si ça n’avance pas plus, et de donner de l’ocytocine intraveineuse. Dans ces conditions, les contractions vont mécaniquement devenir insupportables et il deviendra impossible de tenir très longtemps sans péridurale… Nous négocions que ce ne soit pas fait tout de suite mais réévalué au prochain examen.

20h50: Le ballon qui jusqu’à présent offrait un soulagement à Dre Papillon devient à son tour inconfortable. Nous essayons de regarder Le voyage de Chihiro mais les contractions sont trop intenses pour se concentrer dessus. Nous décidons de prendre une petite marche pour éventuellement faire débloquer le travail; tous les moyens sont bons, surtout dans la mesure où Dre Papillon a encore sa mobilité.

21h10: La marche coupe court, les douleurs sont trop fortes à présent. Dre Papillon se tord de douleur sous mes yeux. Nous entrons dans la phase tant redoutée de l’accouchement, cette douleur insupportable pour elle, cette incapacité à faire quoique ce soit qui la soulage pour moi. Malgré le peu de mots échangés, nous avons tous deux en tête la dernière dilatation, loin de l’objectif; il va sûrement falloir attendre encore un bout, rompre les membres, médicaliser l’accouchement.

21h20: Nous demandons une péridurale à notre infirmière qui revient en panique : les anesthésistes sont pris d’un côté par des jumeaux et de l’autre par un césarienne d’urgence; impossible d’avoir quoique ce soit pour l’heure. Seule alternative, le Nitronox, encore connu comme gaz hilarant. Après une panique pour installer l’affaire, Dre Papillon est loin d’être hilare. Malgré qu’elle soit plus détendue, elle se tortille encore de douleur à chaque contraction plus forte. De manière évidente, elle ne durera pas longtemps comme ça et la péridurale sera incontournable.

21h35: Dre Papillon gémit et devient plus blême à chaque contraction. Entre deux inspirations dans son masque à Nitronox, elle glisse qu’elle ressent une puissante envie de pousser. L’infirmière sent qu’il est temps de passer à l’action. Tout en soutenant Dre Papillon, elle sonne une autre infirmière et lui glisse de manière inaudible pour moi des instructions visiblement pressantes. Mon inquiétude augmente, je demande penaud si on aura le temps pour une péri, j’obtiens un non de la tête. Tout semble maintenant se dérouler très vite. Est-ce que l’infirmière serait de nouveau sur le point de se faire jouer un tour dans la salle 7 ?

21h45: Cette fois-ci, ce n’est pas le résident mais un patron qui débarque. Chose rassurante, nous le connaissons, c’est lui qui a fait la clarté nuquale à 12 semaines et Dre Papillon a travaillé avec lui, c’est un bon médecin. Au début il pense pouvoir retourner dans une autre salle où se déroule un accouchement mais finalement se ravise: la dilatation est complète mais la membranes des eaux sous pression l’empêche de sentir correctement la position de la tête.

Alors que les préparatifs pour réaliser l’accouchement proprement dit ne sont pas encore terminés, le Doc rompt les membranes provoquant rien de moins qu’un raz-de-marée. Désormais il sent clairement la tête qui n’est pas parfaitement dans le bon angle. Alors que Dre Papillon se tord de douleurs et qu’il est désormais clair qu’il n’y aura aucune anesthésie (il manque même de temps pour le bloc honteux), le Doc dit avoir repositionné la tête correctement.

21h55: Quelques instants après, les premiers cheveux du bébé apparaissent de l’Origine du monde. Entre deux respirations de gaz hilarant, Dre Papillon fait savoir qu’elle ressent une envie de poussée irrépressible. Après une première poussée peu convaincante guidée par l’infirmière, elle pousse à sa guise, de manière tout à faire réflexe.

En une poussée, la tête se dégage en partie.

22h00: Un seconde poussée et le Doc dégage le corps au complet, Monsieur est né et posé sur le ventre de sa maman. Entre temps il a eu le temps de pousser quelques cris stridents ce qui lui vaut un beau apgar de 9 9 9.

Le personnel nous laisse rapidement entre nous 3. Monsieur est étonnamment éveillé; les yeux grands ouverts il cherche un sein qu’il finit par accrocher sans pouvoir en obtenir quoique soit. La pesée un peu plus tard donnera un point de 2.8kg, très honorable pour un petit 35 semaines.

Nous contemplons ébahis ce petit si étonnamment formé qui est parti de rien et qui désormais rampe comme il peut. Finalement ce n’est pas si horrible un nouveau-né, c’est même pas mal mignon ! Entre deux silences de contemplation, Dre Papillon m’explique qu’elle voguait dans un autre univers au son d’une musique techno uniquement présente dans sa tête pendant l’accouchement (le fond musical que nous avions grace à notre iPod n’avait rien de techno). Le nitronox faisait plus d’effet qu’il n’en avait l’air !

Vers Minuit nous sommes transférés dans notre chambre pour débuter une nouvelle vie, à 3.

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Arthur - 9 hours old


Monsieur, âgé de 9 heures

Mon bébé,

J’ai du mal à imaginer que tu seras parmi nous le mois prochain. On a beau anticiper et préparer ton arrivée depuis un moment déjà, psychologiquement et physiquement, avec des lectures et des achats, rien ne pourra jamais nous préparer au grand chamboulement qui est maintenant à la porte de chez nous. Car nous nous apprêtons à devenir… tes parents.

Ramener un nouveau-né à la maison, quelle expérience intense ce doit être ! Après, plus rien ne sera jamais tout à fait comme avant. Au fur et à mesure que nous apprendrons à te connaître, toi, tu vas nous transformer.

Il y a toutes sortes de façons de vivre la grossesse. La mienne n’en aura, en tout cas, pas été une “fusionnelle”. Au contraire, j’ai déjà le sentiment que tu es une personne bien distincte. Ta volonté, tes goûts me sont inconnus. Quand tu réagis à quelque chose, je suis d’ailleurs bien incapable de dire si c’est parce que ça te plaît ou parce que ça te dérange !

La grossesse et l’accouchement sont de drôles d’expériences, plutôt extrêmes quand on y pense. Ça me fait encore drôle d’imaginer que tu es dans mon ventre avec tous tes morceaux et tes détails de finition (même ton 1,5 cm de cheveux vus à l’écho !), que c’est bien toi que je sens bouger. Toi, un petit être humain déjà complet et plein de potentiel qui va grandir, apprendre, devenir adulte un jour. C’est à la fois d’une banalité inouïe et tout à fait extraordinaire.

Non, je n’ai pas de “trip” particulier à être enceinte. Mais ce n’est pas trop désagréable non plus, heureusement, et malgré quelques petits soucis, nous avons la chance que tout se déroule plutôt bien jusqu’à maintenant. Le corps humain est une machine merveilleuse qui peut s’adapter à presque tout, et bien plus encore, c’en est impressionnant. Quand on pense qu’on ne peut aller au-delà, on y va quand même !

Chose certaine, nous avons très hâte de te rencontrer, de découvrir qui tu es et de t’accepter parmi nous. Et en même temps, il faut l’avouer, nous avons un peu peur. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de cet engagement que nous prenons envers toi dans la durée et peu importe les embûches…

Car nous sommes bien imparfaits, j’espère que tu seras indulgent. Et puis il faut dire que tu ne viens pas avec un manuel d’instructions très précis, alors nous devrons apprendre ensemble.

En attendant, nous serons patients, car tu dois encore te peaufiner pendant plusieurs semaines. Prends tout le temps dont tu auras besoin.

À bientôt !