Récemment, par je ne sais plus quel moyen, j’étais tombé sur un site, je ne sais plus lequel, dont l’auteur semblait réellement exécrer la notion même de weblog. Le phénomène semblait tellement lui taper sur les nerfs qu’il avait même fait une classification des types de bloggueurs en fonctions des différentes tares et psychoses dont ils peuvent souffrir : exhibitionnisme, monsieur je sais tout, j’en passe et des meilleurs (d’ailleurs, le personnage devait tout de même s’intéresser un minimum aux carnets web pour passer autant de temps à rédiger un long article).

Pourtant, au fur et à mesure que je découvre de nouveaux carnets et que je me familiarise avec les auteurs d’autres, je sens quelque chose de nouveau, de bon. Ces sites personnels, ces carnets de bord, fournissent une vision différente d’un pays, sur un sujet quelconque ou simplement sur la vie.

Ce constat m’a sauté aux yeux à l’occassion de la journée mondiale contre le Sida. Que dire d’autre si ce n’est que je n’ai jamais eu à faire face personnellement au sida. Aussi horrible que puisse sembler cette maladie, se l’imaginer est encore loin de la vérité à la lecture de témoignages poignants de vérité.

Mon entourage, notamment en France, est habituellement très straight-hetero (faut dire que quand on fait une école d’ingé catho…), puis un jour, je me suis rendu compte que les 3/4 des auteurs de ma liste de blog sont gays. Non seulement ils sont gays, mais ils en parlent et certains militent pour leurs droits. Et là encore la différence est de taille entre se dire “oui, ça semblerait logique d’accorder aux homos des droits (notamment de mariage) équivalents aux hétéros” ou de dire “ah bah oui, c’est pas bien les homophobes” et lire régulièrement des témoignages sur le sujet.

Et il en va de même pour tout : les blogs permettent d’avoir une vision de l’intérieur, un avis vrai, ça revient à se faire ouvrir les yeux en grand et ça, c’est infiniment appréciable !

Adresse courriel : ebb [at] mon-ile.net (changez le [at] par @)

Bon, alors il paraît qu’il faudrait que je me présente ici et maintenant. Auparavant, sur Le Voltigeur et l’Impératrice, j’avais fait le choix de laisser ma présentation en suspens. Il me semble qu’un carnet, c’est déjà une longue présentation quotidienne en soi. Ce qu’on aime, ce qu’on déteste, ce qu’on fait, ce qui nous irrite, ce qui nous arrive, nos rêves… Tout y est, même un petit retour sur le passé. Et puis, je suis bien incapable de me présenter. Mais je vais tout de même essayer un peu.

Je suis Ebb, comme dans Ebb Tide. J’aime la mer, mais je n’ai jamais tellement baigné dans la culture maritime, à part à Cape Cod et avec Hoëdic. Je suis Québécoise, j’ai vécu en Abitibi une moitié de vie et en banlieue montréalaise l’autre moitié. Tout au plus un fleuve, mais pas d’océan par là…

J’ai découvert l’Internet, avec récalcitrance, à l’âge de 14 ans. Cela m’a permis de développer un intérêt illimité pour la France, et de me lier à de nombreux amis “virtuels” (dont Hoëdic). D’où un voyage dans ce pays, seule avec mon sac à dos, un été, à 16 ans. Et la naissance d’un amour immense avec Hoëdic, qui dure encore aujourd’hui. C’était une folie de voyage, imprévue, incontrôlable. J’ai sombré dans un gouffre de tristesse à mon retour, sur fond de musique de Mano Solo. Mais l’amour ne se contrôle pas. Alors nous nous sommes aimés à distance, pendant un an, et c’était dur. Et puis, toujours follement, j’ai décidé de ne pas faire mon cégep à Brébeuf ; plutôt aller étudier dans la ville d’Hoëdic à ce moment-là, Nantes. Pour ce faire, je me suis au passage bien débattue avec le Consulat français pour obtenir un visa de “mineur scolarisé” nécessitant un parrainnage adéquat. (Ayant toujours voulu étudier en médecine, je me doutais qu’un choix aussi risqué et un parcours aussi chaotique m’empêcheraient d’être admise dans ce programme contingenté au Québec. Qu’à cela ne tienne, j’aurais les reins assez solides pour m’attaquer au fameux concours P1 français.)

Je suis arrivée en 1ère à Clemenceau. J’étais plus vieille que la classe (ce que j’ai mal vécu), par le fait que je venais du Québec (notre cursus pré-universitaire dure un an de plus que celui de la France). En plus, dans ce bon lycée scientifique, presque tout le monde avait un ou deux ans d’avance (pratique inusitée ici). Mon année à Nantes n’est pas toujours facile, il pleut beaucoup, j’ai très froid (cette humidité qui transperce les os, du matin au soir, dehors, dedans, partout). Je suis encore mineure, ma famille me manque et il faut m’habituer à vivre chez la maman d’Hoëdic. Les amitiés sont aussi difficiles à tisser ; les Nantais me semblent être des gens assez froids, fermés et difficiles à rejoindre. Je me fais opérer de la main droite en janvier - voilà une bien mauvaise idée pour une droitière.

Scolairement, ça ne va pas très bien non plus (faut voir que ce moment pour changer de système n’était pas très heureux). J’essaie d’apprendre l’espagnol à la vitesse grand V (ce que les autres font depuis la 4e), je m’ennuie mortellement en sciences physiques, car j’ai beaucoup d’avance (mais mes “techniques” nord-américaines ne sont pas appréciées et les notes ne suivent pas) ; c’est la catastrophe en maths. Cette matière me fait m’arracher beaucoup de cheveux : l’apprentissage qu’on en fait ici et là-bas n’a rien à voir. J’ai beaucoup de retard, je n’utilise pas les “bonnes” méthodes, etc. Pas de bol, je tombe sur la prof la plus nulle que je n’ai jamais eu de toute ma vie, toutes matières confondues ; avec elle, impossible de rattraper un quelconque retard (pas de structure, pas de méthode, pas d’exercices, rien). Heureusement, je m’initie à l’histoire et à la géographie européennes avec grand intérêt et curiosité ; je n’ai rien à envier aux Français en français et encore moins en anglais.

Je reviens chez moi à l’été pour le renouvellement de mon visa et pour occuper un petit emploi. Hoëdic vient de diplômer de son école d’ingénieurs et d’être embauché dans une boîte de consulting à Paris. On a bien galéré, mais on a fini par pouvoir louer une chambre de bonne de 25 m2 dans le 8e, place de la Madeleine. De mon côté, j’ai déniché un petit lycée dans le 11e, place de la République, qui voulait bien de moi. Alors l’année qui m’attendait allait être… décidément parisienne, et elle l’a été.

La vie à Paris se caractérise entre autres par un affreux manque de temps. Les horaires du lycée sont chargés (tous les jours de 8h30 à 17h-18h), avec un examen de 4h tous les mercredis après-midi (quelle coutume désagréable et nuisible à un apprentissage et un travail réguliers !). Hoëdic et moi devons apprendre à vivre seuls (courses, cuisine, ménage, lessives dans une laverie du 9e, permettant de nombreuses et longues balades à Montmartre), ce qui demande aussi du temps ; mais nous sommes heureux d’avoir enfin notre chez-nous. Les horaires de boulot dans les boîtes de consulting parisiennes sont, pour ceux qui ne le savent pas, plutôt lourds (Hoëdic jamais rentré avant 21h-22h). D’un point de vue personnel, je vais mieux, j’ai ramené du Québec ma chatte Safran, on a une connexion Internet ADSL (ce qui me permet de communiquer longuement avec ma maman sans devoir compter avec angoisse chaque minute de communications téléphoniques à payer), il pleut moins, je me sens plus libre (vive le métro !). Les Parisiens, contrairement à ce que laisse croire leur réputation, sont excessivement sympathiques et je me lie facilement d’amitié avec eux.

Côté scolaire, je suis finalement exemptée de l’espagnol au bac. N’ayant pas pu m’adapter en maths en 1ère, je suis toujours très en retard. La nouvelle prof est une maniaque comme je n’en ai jamais vu (z’avez pas ça vous, des profs de maths normaux ?) et me saque complètement. Elle donne en prime une “interro” tous les lundis matin (ahh ! la déprime mathématicienne des dimanches soirs…). J’angoisse concernant mon orientation. Ayant découvert Remède.org et sa vision réaliste des études de médecine en France (témoignages, description), je n’ai plus très envie de m’attaquer au concours P1. Je souhaite être admise au Québec, mais on me fait comprendre que c’est impossible, que je ne décrocherai jamais la mention “très bien”… Alors je travaille fort, et je ne profite sûrement pas suffisamment de la beauté de Paris et de ses mille attraits.

Tout compte fait, je suis admise en médecine au Québec, et mieux encore, à Montréal (Sherbrooke et Québec me tentaient moins). C’est ce qui explique notre présence ici. Voilà un an et demi que j’ai entamé ce programme et j’adore toujours autant ce que j’y apprends. Hoëdic pensait qu’une expérience au Québec serait également intéressante, enrichissante et favorable pour lui ; il s’est laissé tenter. Avoir su que ce serait aussi difficile (pour ne pas dire impossible), peut-être que les choses se seraient passées autrement. Pour le moment, je me demande donc si je ne dois pas regretter ce choix de pays que nous avons fait…

-8°C en pleine journée, un vent à écorner les boeufs et une température ressentie de -17°C, affreux.

Surtout dans le coin où je bosse : un ancien site d’enfouissement en cours de reconversion en parc de loisirs (hum), 2km2 de platitude totale où le vent peut s’en donner à coeur joie. En arrivant près de mon bureau, ce matin, j’ai bien cru que mes yeux allaient geler sur place (évocation très enviable).

Enfin bref, la température vient de baisser de 10°C en une nuit et ça fait un choc !

Je vais vous dire, moi, si c’est comme ça, je ne sors plus de chez moi, et surtout pas pour aller à la cabane demain soir (parce que c’est loin de tout et qu’il faut marcher longtemps en sortant du bus et que pour le coup, j’y perdrais très sûrement mes yeux !)

Paul Tibbets est le colonel qui a largué la première bombe atomique sur Hiroshima, à partir de son avion, l’Enola Gay (du nom de sa propre mère). Il est interviewé dans un Paris Match datant d’août 1995.

[Juste après avoir largué la bombe] : “J’ai amorcé immédiatement le tournant à 149° que m’avait recommandé le physicien Oppenheimer. Au moment où j’achevais mon virage, un immense flash a rempli la cabine : l’intensité de dix mille soleils dont les scientifiques nous avaient parlé. La bombe avait explosé. J’ai senti son goût amer dans ma bouche : l’explosion avait créé un phénomène d’électrolyse sur mes plombages.”

“Comme la question de la contamination me préoccupait, j’en avais parlé au Dr. Oppenheimer, qui m’a répondu : “Ne t’inquiète pas. En rentrant, fais simplement passer l’avion à travers de gros nuages de pluie, cela le lavera.””

Sa réaction concernant l’ampleur des pertes humaines occasionnées : “Depuis plusieurs mois, je m’y préparais psychologiquement. Cela me tourmentait, mais je savais que ce genre d’états d’âme ne menait à rien en temps de guerre.”

“J’ai reçu énormément de courrier, dont des dizaines de demandes en mariage.”

“Je continue de penser que la mission sur Hiroshima a permis de mettre un terme à la guerre.”

“Nous savions qu’en décidant d’employer la bombe atomique, le président des États-Unis avait choisi la seule option possible. Il en était arrivé à la conclusion que les pertes en vies humaines qu’engendreraient une invasion seraient telles que l’opinion ne lui pardonnerait jamais de ne pas avoir utilisé la bombe.”

“En août 1945, nous étions des garçons ordinaires à qui on avait confié un “job”. Nous avons accompli notre tâche avec succès et cela nous a donné la satisfaction d’avoir sauvé de nombreuses vies humaines.”

Ce témoignagne me rappelle l’expérience que Milgram a menée en 1961-1962, à Yale. Elle portait sur l’obéissance à l’autorité, la pression des pairs et la disparition de la responsabilité personnelle.

On a demandé à des volontaires, supervisés par des médecins en blouse blanche, de tester la mémoire d’un sujet. Ledit sujet était ligoté à une chaise, et pour chaque mauvaise réponse, le volontaire devait lui administrer une décharge électrique de puissance croissante. Le volontaire pouvait entendre les cris et voir les convulsions du sujet. Il était bien écrit, sur l’appareil, que des décharges supérieures à 375 volts étaient dangereuses. 65 % des sujets atteignirent les 450 volts (le maximum offert par l’appareil). Aucun des autres 35 % ne mis fin à son obéissance soumise avant d’atteindre les 300 volts.

Bon, en réalité, les décharges n’étaient pas vraiment envoyées et le sujet n’était qu’un comédien. L’expérience portait sur l’autorité, non sur la mémoire, ce qui fait qu’elle ne s’est pas déroulée sur des bases très éthiques : on a menti aux volontaires dès le début.

Malgré tout, cette expérience est très révélatrice de la nature humaine. Ainsi, certaines personnes sont prêtes à faire n’importe quoi, ou presque, dès lors qu’elles sont sous l’autorité d’une autre personne. Le phénomène du “premier pas” est aussi mis de l’avant ici : une fois qu’on l’a fait, on peut continuer et amplifier, ne serait-ce que pour se justifier.

“La disparition du sens de la responsabilité est la conséquence la plus lointaine de la soumission à l’autorité.” (Milgram)

Cette expérience n’est pas sans faire penser aussi à celle menée par Zimbardo en 1971, à Stanford. Cette dernière porte sur ce qui se passe lorsque l’on met des gens ordinaires dans un contexte carcéral et violent. C’est ainsi que des volontaires se sont aléatoirement fait attribuer un rôle de prisonnier ou de gardien de prison. Et il s’est avéré qu’en quelques jours seulement, les gardiens sont devenus de plus en plus cruels et sadiques (alors qu’aucune instruction particulière ne leur avait été fournie pour jouer leur rôle), et les prisonniers se sont transformés en dépressifs soumis, humiliés, abusés et maltraités.

Cette expérience ne serait pas très éthique non plus dans le contexte actuel, car elle a laissé de nombreuses séquelles à long terme aux volontaires impliqués.

Comment un individu lambda peut-il perdre son humanité aussi facilement, en fonction du seul contexte et du renforcement du groupe, tout en sachant qu’il ne s’agit là que d’une expérience, d’un jeu ? Il semble bien facile d’être déshumanisé, de perdre son individualité et ses valeurs.

La nature humaine n’est décidément pas toujours très belle…

*C’est la mer,
cet effort dans le vent…

[…]
ce qu’on serre dans nos yeux, ce qui bouge en moi.

[…]
on aura ses perles, ses racines, sa grandeur,
[…]
les entrées de mon corps, on ira,
un morceau de fruit, une lenteur,

et ce sera la mer,
ce goût resté à des endroits.*

Tributaires du vent (Régine Foloppe Ganne)