Une grand-maman de 95 ans arrive à l’urgence en hémorragie digestive sur une cause inconnue. On m’appelle à son chevet, à la salle de choc. Sa fille, elle-même une respectable dame de plus de 70 ans, est à ses côtés.

J’évalue la situation. La dame n’est pas démente et a toute sa tête, même si elle se fait un peu dure de la feuille. Elle est hypothéquée point de vue santé, un peu sur tous les plans (fonction respiratoire, cardiaque, rénale, etc.), mais elle n’est en phase terminale d’aucune maladie.

Certes, elle est très âgée. Mais si sa fille nous l’a amenée, c’est bien qu’elle souhaite qu’on la soigne du mieux que l’on peut. En évitant évidemment la réanimation ou les interventions excessives, comme l’intubation. En fait elle ne souhaite avoir aucun examen ou traitement qui soit souffrant. Il n’y a donc pas de colonoscopie souhaitée pour connaître la source du saignement.

Heureusement d’ailleurs, car mon patron de gastro-entérologie, que j’ai réveillé pour lui faire connaître la présence de cette patiente à l’urgence, m’a ri au nez quand je lui ai dit son âge. J’ai presque dû m’excuser : “Je sais bien qu’elle a 95 ans, mais bon, elle est quand même là et on va l’aider…” J’ai bien senti à sa voix l’agacement du réveil nocturne, et il a omis de me guider dans les interventions à privilégier, aide dont j’aurais eu besoin d’abord parce que je suis débutante et incertaine, ensuite parce que dans un tel cas, on se demande toujours quoi faire. Rien du tout ? Le strict minimum ? Jusqu’où ? Qu’est-ce qui est exagéré, qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Je m’en suis tenue à ce qui était souhaitée par la patiente et sa famille, c’est-à-dire le traitement médical de base. En suivant les étapes dans mon petit guide de médecine clinique…

Dans mon dos, toute l’équipe d’infirmiers ricanait. Ils trouvaient que j’aurais dû laisser la nature suivre son cours et laisser cette pauvre dame mourir en paix. Ils trouvaient que je faisais de “l’acharnement thérapeutique”. À 3h du matin, l’accusation est forte et me porte un coup. Je suis sensible à l’éthique et je ne trouve pas qu’il faille faire de l’héroïsme médical envers et contre tous. Mais dans ce cas, ma conscience me dictait de soigner raisonnablement la patiente, sans la discriminer pour l’âge.

D’abord, la dame était anticoagulée pour sa condition cardiaque, mais il se trouve que la drogue utilisée s’était changée en poison à un niveau supra-thérapeutique. Je lui ai fait injecter l’antidote pour renverser ce problème.

Mais ça ne suffisait pas, elle avait perdu beaucoup se sang et se trouvait très anémiée et presque en choc. J’hésitais beaucoup à lui injecter du liquide pour soutenir son coeur, car la marge de manoeuvre était étroite. Trop de liquide, elle accumule de l’eau sur les poumons. Pas assez, elle tombe en choc.

J’ai opté pour un peu de liquide, et quelques transfusions. Et aussi des facteurs de coagulation (un autre produit de transfusion) pour aider le saignement à s’arrêter.

Voilà le traitement médical reconnu. Point d’acharnement thérapeutique, il me semble. Je ne me suis pas pris pour “Dieu” à essayer de la sauver pour prolonger sa vie d’un autre siècle. Au contraire, qui aurais-je été pour décider de ne pas entreprendre un traitement simple et somme toute limité, que j’aurais entrepris pour n’importe qui d’autre ?

Les paris du personnel infirmier allaient bon train. Va-t-elle passer le cap de 4h du matin ? Ou même 5h ? Je m’attendais incessamment à devoir faire le constat de décès. Finalement, la dame a passé au travers la nuit, et je l’ai même revue dans l’urgence quelques jours plus tard. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue par la suite.

Cette nuit-là, on m’a littéralement fait passer pour un monstre. Une jeune résidente qui voudrait se pratiquer sur tout le monde pour le bénéfice de sa propre formation. Une acharnée du traitement qui ne laisse pas les vieux s’en aller paisiblement, qui gâche leur mort.

Il est difficile de réfléchir lucidement à 3h du matin, alors que l’on est soi-même sous l’effet du stress intense. Encore plus si on doit se battre contre tout le monde pour agir selon sa conscience et surtout, selon les désirs de la personne malade et de ses proches.

Et si ça avait été votre grand-mère ?

Mon stage de neuro s’achève déjà après deux mois. Demain sera ma toute dernière garde de médecine interne ! Tant de stress pour un usage si court…

J’ai trouvé ce stage particulièrement instructif, peut-être celui qui m’aura le plus apporté depuis le début de ma vie hospitalière. Plusieurs des cas rencontrés me rappelaient les récits d’Oliver Sacks dans L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau et Un anthropologue sur Mars. La neurologie est un domaine tout à fait passionnant et il n’est pas du tout étonnant que ça m’intéresse ; il existe un vaste monde frontière avec la psychiatrie, et toutes les bases physiologiques majeures y trouvent leur explication. Après tout, la psychiatrie, ça se passe toujours dans le cerveau et nulle part ailleurs. Et nos médicaments ont de nombreux effets secondaires neurologiques qu’il faudra savoir gérer…

J’ai du mal à vous parler de mon vécu de soignant dans ce domaine alors que pour plusieurs lecteurs de ce blog, le sujet est très sensible, parfois de manière incroyablement aiguë. J’ai peur de paraître insensible ou détachée, alors que Stéphane pourrait vous témoigner du bouleversement majeur que je n’ai cessé d’éprouver ces dernières semaines…

Je me suis occupée de toutes sortes de patients. J’ai géré pratiquement seule deux ACV aigüs. Sans oublier toutes les épilepsies, Parkinson, démences, tumeurs, scléroses en plaques, lésions de la moelle, comas et autres saloperies.

La multitude de ponctions lombaires, comme les érables que l’on entaille au printemps pour en récolter la sève.

Comment vous dire sans les amoindrir les nombreuses catastrophes neurologiques dont j’ai été témoin ? Les familles dévastées, les décès. Je crois que tout ça, je ne peux que le garder pour moi.

Ma conclusion avec la neurologie, c’est que c’est un domaine intellectuellement fascinant où il y a tant à observer, à comprendre, à expliquer. À découvrir encore. Car comme médecins, nous sommes souvent bien limités et impuissants, et nous devons nous contenter de notre rôle d’observateur, aussi informé et rempli de bonne volonté soit-il.

Dans quelques jours, je passerai en pédiatrie, pour approfondir mes compétences en matière de développement du petit d’homme, de la naissance à l’orée de la vie adulte. Là où beaucoup d’enjeux se nouent et se dénouent aussi…

Le galvaudage du concept de sélection naturelle est chose courante, notamment dans son application sociale. Le lecteur me pardonnera donc le détournement auquel je vais moi-même m’adonner.

Le monde de l’entreprise n’est autre qu’une réplique du monde naturel. À ce jeu le pouvoir d’une personne répond à la domination d’une espèce sur son habitat naturel. Le processus de sélection naturelle est complexe, chaque espèce développant au fil des générations des stratégies diverses. Mais au sein de la Compagnie, entité écosystémique autonome, la variété semble moins de mise. La domination s’exprime rapidement et par une stratégie souvent répétée de la négation de l’Homme et de ses aspirations profondes.

Même dans un contexte qualifié d’équilibré, les quelques personnes de pouvoir écrasent invariablement les autres indépendamment de leur capacité à foutre le camp car on en retombe toujours sur les mêmes cas.

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Prière

Car oui, la sélection naturelle en entreprise fait monter les surhommes, et pas ceux qu’avait Nietzsche en tête. Plutôt celui prêt à sacrifier tout à sa réussite personnelle et s’attendant des autres qu’ils fassent pareil, toujours au profit de celui en haut et non pour eux-mêmes et pour en retirer les fruits. Ainsi la sélection naturelle nous contraint-elle à souffrir invariablement, plus ou moins directement (plus directement que l’on détient soi-même un certain pouvoir) des êtres autoritaires, garants du bon fonctionnement de l’Univers et qui à ce titre refusent à toutes et à tous les droits les plus basiques dans un monde développé comme celui d’avoir l’esprit en paix.

Les hommes sont confiés par la nature les uns aux autres : un homme, du seul fait qu'il est homme, ne dois pas être regardé comme un étranger par un autre homme Cicéron, *Des fins des biens et des maux*

Ainsi va l’instant, de débordements en surcharge d’une vie invivable par nature sous laquelle nous venons à crouler ; tel une étoile filante le temps fuse comme si nous-même filions à une célérité proche de celle de la lumière.

Ce ne sont pas que des paraboles, l’été avance et signe des temps, la période des festivals touche à sa fin. Sans vraiment comprendre comment, nous avons littéralement échoué comme des bouteilles inertes dans des évènements d’une joie venue d’ailleurs.

Dans le cadre des Francofolies de Montréal, nous avons vu Grand Corps Malade. D’une brève publicité à la télé à un torrentiel téléchargement, nous voilà téléportés au dernier rang du dernier étage du théatre Maisonneuve. Mais est-il vrai, ce grand gars claudiquant avec sa béquille, clamant ses textes ciselés sans commune mesure avec les autres slammeurs, à l’histoire digne d’un roman ou est-ce simplement une construction d’une maison de production, un mytho inventif qui s’est construit une image vendeuse ?

Je n’arrive plus à croire ce que je vois, encore moins ce que j’entends. Je ne suis pas le seul. Ainsi Patrick Lagacé publia-t-il en mon nom un cliché de la piste de ski de Dubaï et d’une seule voix les lecteurs crient-il unanimement au canular. J’en veux à ces cracheurs de venins à la bile trop alcaline de ne pas reconnaitre l’authentique, le réel. Mais comment en vouloir à un public blasé à force d’être pris pour un troupeau d’ahuris sans cervelle.

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Mini-mes everywhere !

Mais devant ce grand maigre trainant la patte, avec qui je partage d’avoir rencontré de trop près le fond de l’eau après avoir sauté de trop haut, j’ai laissé mes doutes de coté pour me laisser aller à sa voix chaude et à ses textes poétiques. À sa présence aussi, humaine, sur terre, touchant au réel comme ça me manque tant, prêt à engager la conversation avec une salle de 1500 personnes au complet s’il le faut. Difficile de croire que son plaisir d’être sur scène était feint, la reconnaissance était dans sa voix.

Le lendemain soir, Émilie Simon était d’une autre planète. Volontiers dans la lignée de Bjork, mixant voix féminine au multiples facettes et beats électro, elle était lointaine. À peine s’adressa-t-elle au public. À peine fit-elle du bout des lèvres un rappel déjà prévu devant une foule chauffé à blanc, on se demande bien par quoi si ce n’est l’envie de profiter du “moment”. Une voie profonde, des sons inconnus mixés avec talent mais sans présence humaine palpable si ce n’est le percussionniste.

Par courage ou par dépit d’une impossible semaine à venir, dimanche soir fut consacré au spectacle de clôture des Franco, annoncé comme “glam” par le principal acteur, Pierre Lapointe. De glam, il n’y avait que des arbres en papier maché recouverts par de très thaïlandais carreaux réfléchissants. Kitsch tout au mieux, mais pas glam. Surement la journaliste de La Presse qui couvrait le spectacle tournait au crack pendant la soirée pour y voir le plus grand évènement de tous les temps ou presque. Tout ça pour quoi ? Un chanteur pop accompagné par un orchestre sonnant comme une boite de conserve dans la sono surpuissante installée pour satisfaire les 100.000 spectateurs dont nous étions. Je ne doute pas que les arrangements étaient très recherchés mais dans ce vacarme acoustique où cordes et cuivres étaient impossibles à distinguer, difficile d’y trouver du Debussy ou du Ravel ! À coup sûr un beau concert qui valait l’heure d’attente assis au sol, mais non un de ces moments qui marque l’histoire comme plusieurs semblent prêts à s’en inventer à chaque coin de rue.

Sur notre lancée de profiter de la vie nous sommes également allé au Théatre de Verdure voir les Grands Ballets Canadiens. Une découverte pour moi, une grande volupté. Certes les pointes et les entre-chats en tutu ne sont peut-être pas pour moi, mais les pièces plus modernes valent surement de s’y arrêter. Des tableaux et des mouvements qui trouveraient leur place autant en danse qu’en peinture.

Mais l’intermède musical n’est qu’un remède de courte durée. La vie a repris par un maussade lundi pluvieux, par l’obstination bornée de tout ce qui ne marche pas et même, quand tout va mal, par la connerie humaine en laquelle j’aimerais cesser de croire.

Mais en ce lundi pluvieux, avant de penser à nous, à nos tracas, nous avons une pensée pour notre ami, Laurent.

!!! Bulletin spécial !!!

Montréal, Laval et Manhattan sont coupés du monde depuis cette nuit. Face à la crainte d’auto-destruction massive des ponts permettant d’accéder à ces métropoles insulaires, les gouvernements respectifs ont totalement coupé toute circulation par voie terrestre afin d’éviter tout décès supplémentaires causé par l’effondrement d’ouvrages d’art. De plus, par mesures de sécurité, la population est placée en quarantaine forcée pour éviter toute contamination d’autres ponts en Amérique du Nord ou ailleurs, la propagation de la psychose dite de l’autodestruction des ponts restant encore peu connue. Dans les premières heures de la crise, un cordon sanitaire par hélicoptère a été mis en place pour ravitailler la population des îles. Cependant l’arrivée des hélicoptères provoquant des mouvements de foule meurtriers, l’armée procède depuis quelques heures à des largage de vivres à basse altitude qui n’ont pas manqué de détruire quelques immeubles.

On rapporte que rien qu’à Montréal, une centaine de personnes sont mortes, noyées dans le Saint-Laurent, en essayant de rejoindre la rive sud à la nage tandis que 3 autres se sont immolées plutôt que de devoir passer sous l’Autoroute 40 pour se rendre chez eux. Le maire a d’ailleurs déclaré l’état d’urgence et a imposé la loi martiale, autorisant ainsi le Service de Police de la Ville de Montréal à abattre toute personne qui menacerait de passer à pied, à cheval ou en voiture tout pont, ponceau ou traverse sur-élevée. Les commentateurs informés anonymes proches du dossier estiment que cette situation de crise sera levée lorsque tous les ponts auront été reconstruit, soit d’ici une vingtaine d’années si le gouvernement arrive à débloquer les fonds.

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Times Square


Scènes de panique à Times Square
lors de l’annonce de la mise en quarantaine de Manhattan

(Ce billet est une gracieuseté de mon réveil qui m’a menacé dès ce matin 6h20 avec les risques d’effondrement de certains ouvrages et la fermeture des ponts les plus à risque.)


Tant qu’à écrire…

Je me permets de commenter cette étude selon laquelle, notamment, un Hummer aurait un impact environnemental plus faible qu’une Prius… C’est une analyse du cycle de vie analysant le cout environnemental (ramené en dollar/mille/véhicule) comparant quasiment tous les véhicules sur le marché. J’ai déjà fait un cours sur le sujet et ce que j’en ai retiré, c’est qu’une analyse de vie, on peut lui faire dire n’importe quoi. Simplement parce que foncièrement l’utilisation d’un critère pondéré unique (comme le dollar) revient à additionner de patates avec des poulets (par exemple comparer l’impact du nickel extrait pour les batteries avec l’essence consommée alors que leurs conséquences environnementales ne sont pas du tout les mêmes).

Par ailleurs, le processus d’inventaire est extrêmement fastidieux et facile à biaiser. Ainsi j’ai eu l’occasion de parcourir une analyse de cycle de vie environnemental comparant McDo à la restauration traditionnelle (et commandité par la clownesque chaîne de restauration rapide). La conclusion était que McDo avait un impact deux fois plus faible. Cependant les hypothèses sur l’inventaire était biaisées : d’abord l’étude ne prenait pas en compte l’impact des déchets propres à la restauration rapide (vous savez, tout ce qu’on jette dans une gigantesque poubelle à la fin) alors que pour la restauration traditionnelle on prenait en compte le nettoyage des couverts. Par ailleurs l’étude analysait les intrants du processus McDo seulement en comptabilisant les burgers et autres plats effectivement vendus, oubliant ainsi les nombreux produits qui finissent leur vie à la poubelle parce que non-consommés au moment où ils sont frais.

Bref, sans pour autant dire que cette étude sur les voitures est fausse, comme toute analyse du cycle de vie, il convient de regarder de près les hypothèses… qui ne sont pas disponibles dans ce cas…

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A New-yorker week end


Le Groupe de Quatre Arbres de Dubuffet (Merci JP ;)

Ceci amène donc à des bijoux de connerie focalisant entièrement sur les 1000t de nickel des batteries des Prius qui font 3 fois le tour du monde avant d’être montées. Mais dites-moi, il faut combien de tonne de matériaux brut pour produire un Hummer, et ça fait combien de fois le tour du monde, huuu ?

Sérieusement : il faut se méfier du greenwashing qui lave plus vert que vert. Dans un sens comme dans l’autre, que ce soit la marque de voiture qui dit que sa voiture pollue moins qu’un vélo ou que ce soit l’étude toujours indépendante qui prouve scientifiquement qu’un char s’assaut M1A2 Abrams est plus environnemental qu’une voiture hybride. La question des batteries présentes dans les véhicules électriques ou hybrides mérite effectivement d’être posée. La pertinence même de l’électrique dans un pays qui produit son électricité à partir du charbon doit être évaluée. Enfin pour bien des nouveautés technologiques à portée environnementale, un impact (mettons les gaz à effet de serre) est rapidement remplacé par un autre (les impacts liés au batteries). En attendant, je continue à être très sceptique quand une étude me dit que la Prius a un impact environnemental double d’un Hummer.