Il est de notoriété publique que les us et coutumes des étudiants en médecine diffèrent légèrement de ceux de la faune estudiantine en général. Ainsi, c’est chez nous que l’on trouve les initiations les plus *hard *<FONT size=1>(en français dans le texte)</FONT> et les rites à tendance sexuelle la plus prononcée.

Beaucoup se gargarisent fièrement de cet état de fait. Moi, je trouve ça plutôt moche et j’en ai un peu honte pour ceux qui perpétuent (et accentuent) cette tradition. C’est ainsi que ma cuvée a été promue l’an dernier au rang très convoité de “classe la plus porn <FONT size=1>(toujours en français)</FONT>* *de tous les temps”.

Je peux vous en donner un léger aperçu avec notre cri de classe. L’an dernier, c’était : “Pré, pré, prélimininaires ; parce que ça méd, méd, m’aide à scorer” (vous aurez compris qu’on était alors en pré-med) - j’ai bien dû mettre un an avant de comprendre le manque d’innocence de ce slogan. Cette année, notre formule de ralliement s’est muée en : “La meilleure c’est la, la, la [voix de filles en chaleur] première fois [voix de filles en post-coït assouvi] ; Hou, hou, hou, hou [voix de mâles simiesques en rut] (nous sommes en première année maintenant).

Sans oublier la fameuse danse du Limousin, qui nous est resservie à toutes les sauces (les étudiants en médecine de Limoges ne connaissent étonnamment pas cette fameuse aubade). Cela consiste en un strip-tease <FONT size=1>(puisque je vous ai dit que je m’exprime dans la langue de Molière)</FONT> d’un garçon, sur fond de classe en délire. La nouveaux pré-meds menacent d’ailleurs cette année d’aller jusqu’à la danse des Limousines… Édifiant.

L’année est donc bel et bien commencée. Nous sommes allés montrer notre cri, nos vagues (en forme de tapis, de cuvette de toilette, etc.) et taper sur les murs en hurlant chez nos successeurs, cette semaine, et ils sont venus répliquer aujourd’hui. Malgré ma désapprobation sur certains points, je ne peux m’empêcher de sourire à chaque fois. Après tout, quel frais et délicieux divertissement cela représente-t-il en plein cours !

Le plus “particulier” demeure encore les spectacles organisés par la promo. Le niveau peut descendre très bas ; c’est inénarrable. Après avoir vu mes copines de classe transformées en filles de joie (à peu de choses près) en une soirée, je n’ai jamais pu effacer cette image tenace que j’ai d’elles. Et l’ambiance dans le public (les futurs médecins qui vous soigneront, messieurs dames) n’a réussi qu’à me laisser un arrière-goût d’arène romaine lors d’un combat de gladiateurs.

Comment ne pas se sentir oppressé devant tant de finesse !

*Elle attend que le monde change
Elle attend que changent les temps
Elle attend que ce monde étrange
Se perde et que tournent les vents
Inexorablement, elle attend *

[…]
Elle attend comme un coup de foudre
Le règne des anges innocents
[…]

Elle attend que la grande roue tourne
Tournent les aiguilles du temps
Elle attend sans se résoudre
[…]

Et elle regarde des images
Et lit des histoires d’avant
D’honneur et de grands équipages
Où les bons sont habillés de blanc
Et elle s’invente des voyages
Entre un fauteuil et un divan
D’eau de rose et de passion sage
Aussi purs que ces vieux romans
Aussi grands que celui qu’elle attend

Un grand écrivain se remarque au nombre de pages qu’il ne publie pas. (Stéphane Mallarmé)

*L’art de lire, c’est l’art de penser avec un peu d’aide. *(Émile Faguet)

On peut être poète dans tous les domaines : il suffit que l’on soit aventureux et que l’on aille à la découverte. (Guillaume Apollinaire)

Maintenant que nous sommes en médecine, nous avons énormément de choses à apprendre, tant sur les plans théorique que pratique. Cela peut engendrer une certaine anxiété devant la somme de travail à fournir et les risques encourrus. Après tout, nous sommes appelés à tenir entre nos mains la santé et la vie de compatriotes de plus en plus intransigeants.

En outre, pour arriver où nous sommes, il aurait fallu faire preuve d’un esprit de compétition assez élaboré et être animés d’une compulsivité formidable. Ainsi conditionnés, nous ne saurions plus maintenant comment cesser d’être des paquets de nerfs ambulants devant l’absence d’un enjeu véritable pour les années à venir. (Sauf moi, à tout le moins, qui suis occupée à savourer tranquillement la joie de ne pas avoir eu à passer au travers d’un concours P1 et de ne pas avoir devant moi un concours d’internat). Alors nous continuerions à nous imposer une pression excessive. Du moins, c’est ce qu’affirme jusqu’à notre vice-doyen en personne.

Ce qui expliquerait que de nombreuses personnes aient “craqué” l’an dernier ; certaines ont abandonné le programme, d’autres ont échoué ou redoublent, etc. Beaucoup seraient allés pleurer et se plaindre devant l’impossibilité de ce qui nous est demandé chez le coordonnateur de l’année.

Alors, pour prévenir, on nous fait de longs - très longs - discours sur la difficulté normale de ce qui nous attend. Du stress à gérer. Des loisirs à préserver. De la nécessité de requérir de l’aide au moindre pépin, sans laisser traîner. Des attentes envers nous-mêmes à abaisser pour les rendre plus réalistes. Et puis quoi encore. Une armée se trouve donc à notre disposition au moindre ennui, du psychologue à l’aide financière d’urgence.

Ça a l’air bien gentil… Mais n’est-ce pas un peu trop ? Je me souviens avoir été bien affolée, à la même époque, un an auparavant, devant de semblables sermons d’accueil si alarmistes. Inutilement. Tout s’est très bien passé, et je n’ai jamais compris tous ces avertissements avant même de débuter.

Sommes-nous en train de devenir des assistés qui ne peuvent encaisser ni faire face à quoi que ce soit ? La possibilité de se plaindre à ce point ne peut-elle pas aussi accentuer nos problèmes ? Et si nous étions plutôt partis avec l’idée convaincante et rassurante que nous pouvions tous y parvenir sans problème, avec de l’effort ?

*Le poème doit être comme l’étoile, qui est un monde et paraît un diamant. *(Juan Ramon Jimenez)

Pour le poète, le monde est toujours vierge… Il recommence tout à partir des fondements. (Ralph Waldo Emerson)

Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. (Rainer Maria Rilke)