Le fier territoire de l'homme

Poursuivant mon rattrapage de lecture -au détriment de mon sommeil, je suis passé au travers de l’essai Je serai un territoire fier et tu déposeras tes meubles. Le titre m’a fait repousser sa lecture bien que les essais d’Atelier 10/Nouveau Projet soient toujours porteurs de messages forts. Après Second début, qui traitait du retour nécessaire du féminisme, voici donc le pendant traitant du rôle de l’homme.

Steve Gagnon soulève avec un certain lyrisme toutes les tares qui pèsent sur les épaules des hommes, et plus encore des adolescents. Si le féminisme a des objectifs a priori assez clairs, la définition des problèmes des hommes est plus épineuse, plus souterraine, à la manière dont la gente masculine tend à enterrer ses états d’âmes le plus profond possible pour ne plus en entendre parler. Cliché? Peut-être. Pourtant à lire la description que donnent des ados de la virilité, clichés et réalités ne se confondent que trop bien.

Une courte lecture recommandée à tous les hommes, bonus supplémentaire aux pères de garçons (avec 3 chez moi, je devrais pouvoir le relire encore quelques fois.)


Ce livre, bien involontairement, m’a replongé dans un des épisodes les plus humiliants de mon adolescence. Pas l’humiliation superficielle de celui qui prend un vent en public ou se fait tabasser à la sortie de l’école. L’humiliation profonde, celle qui change la perception qu’on a de soi-même, dans la mauvaise direction.

Je devais avoir 16 ans et passais un temps significatif à mes entrainements de natation; sans aucun espoir d’atteindre ne serait-ce qu’un niveau national, c’était un élément important de ma vie. Un jour, le club nous annonce qu’il peut former gratuitement 3 membres de l’équipe comme maitre nageur (formation d’une valeur de 2000 francs) et que les personnes formées pourrons ainsi donner des cours aux plus jeunes et avoir un petit salaire. Mes deux meilleurs amis et moi-même posons notre candidature: nous sommes les meilleurs du club et les plus vieux, nous sommes les trois seuls titutlaires d’un dauphin d’or, niveau le plus élevé pour le sauvetage, nous sommes certains d’être les heureux élus.

La semaine suivante, nous apprenons que les sélectionnées sont trois copines de 3 ans nos cadettes, techniquement relativement moyennes en natation. Lorsqu’avec mes amis nous demandons des explications, la réponse est simple, directe, cassante: les garçons sont moins matures que les filles. Il fallait croire qu’un écart de trois ans justifiait encore de prendre les filles.

La vérité était bien sûr toute autre: le père d’une des trois filles était président du conseil d’administration du club. Il a du se dire que s’il se cassait les couilles dans ce rôle, il pouvait bien obtenir quelques passe-droits pour sa fille et ses copines. Nous le savions bien à l’époque, mais l’argument servit pour justifier le choix n’en était pas moins ravageur pour nous; pour moi du moins.

Je me rappelle m’être retrouvé dans les vestiaires avec mes amis et avoir dit quelque chose comme “ils veulent qu’on ne soit pas mature, on va leur montrer”. Et s’en sont suivis plusieurs conneries bien senties comme peuvent en faire des petits cons en quête de revanche.


Est-ce que les garçons sont immatures? C’est ce que mentionnent plusieurs adolescentes interrogées dans le cadre de l’essai de Steve Gagnon. Chose certaine, je l’étais. À l’époque je me pensais précoce parce que j’avais fait ma puberté tôt, j’étais grand et les choses avaient fait que j’avais acquis une liberté d’action assez importante dès l’âge de 13-14 ans.

Dans les faits j’étais indolent, superficiel et je passais le plus clair de mon temps libre à glander ou regarder des émissions de télévision que je trouvais moi-même chiantes. Sauf quand il s’agissait d’aller nager ou de faire des choses dangereuses comme plonger du haut d’une falaise.

Comme l’explique l’essai, il est du devoir des hommes d’aider les garçons à se trouver. Je continue à croire que nous aurions été de bons maîtres nageurs: la piscine était notre deuxième maison et toute occasion pour nous retrouver ensemble était bonne -bien que la majorité du temps nous étions trop feignants pour nous retrouver hors des entrainements. Un peu de reconnaissance aurait surement fait le travail pour un certain temps, probablement plus que les filles choisies qui se sont rapidement trouvé une autre activité. Au lieu de ça, nous avons continué à fomenter des mauvais coups pour nous confirmer et autres que nous étions effectivement immatures.


Je nous souhaite d’être solidaires envers ces adolescents perdus qui cherchent comment devenir les humains nobles et flamboyants qu’ils ont encore l’espoir d’être, puisque c’est notre responsabilité de les tenir à l’écart des garde-robes de sous-sol où ils ont tendance , trop souvent, à s’attacher le cou.

Steve Gagnon, Je serai un territoire fier et tu déposeras tes meubles.

Les djihadistes sont des salafistes dévoyés, qui recourent à la violence au lieu de faire confiance à la prédication, mais ils restent de salafistes, et pour eux la France est terre d’impiété, dar al koufr; pour la Fraternité musulmane, au contraire, la France fait partie du dar al islam. Mais surtout pour les salafistes toute autorité vient de Dieu, le principe même de la représentation populaire est impie, jamais ils ne songeraient à fonder un parti politique.

Michel Houellebecq, Soumission.

Lors de sa sortie, j’avais du me résigner à ne pas lire Soumission, le dernier roman de Houellecq. Publié la veille des attentats contre Charlie Hebdo, très largement commenté et analysé dans le contexte des attentats (et comme un pamphlet anti-islam, ce qu’il n’est pas), il paraissait impossible de le lire sans préconception.

Par un effet d’association, les récents attentats à Paris ont rappelé à mon esprit ce livre dont les commentaires étaient désormais assez loins pour une lecture sans a priori. Par ailleurs, mon état actuel de père au foyer m’offre un peu de temps pour lire ce qui s’est avéré une galette traversée en deux jours.

Toujours est-il que si vous avez l’intention de lire ce romain prochainement, je vous invite à ne pas poursuivre votre chemin…


Les commentaires lors de sa sortie soulignaient à quel point certains lecteurs ne comprennent pas ce genre de littérature. Non, cette histoire d’un président français issue du parti la Fraternité musulmane en 2022 ne vise pas à refléter une possibilité; pas plus que la Possibilité d’une île où, une secte transforme le genre humain, enlevant la nécessité de se nourrir (et donc de chier) et de se reproduire (et donc de baiser), ouvrant ainsi un futur fait de clones. Non, ces romans d’anticipation ne visent pas être justes dans 20 ans.

Les romans de Houellebecq suivent quasiment tous le même schéma: un homme blanc dans la quarantaine, ordinaire, misanthrope, esseulé, maussade, méditant sur sa déliquescence dont les rares intérêts dans la vie sont sexuels, de préférence avec des prostituées ou plus rarement des jeunes filles, se retrouve pris au centre des déchirures de notre société. Dans chaque roman la déchirure est différente mais offre une critique en général assez claire et directe de nos sociétés capitalistes postmodernes.

Le synopsis du roman pourrait facilement laisser penser que la déchirure traitée dans le roman est celle de la montée de l’islamisme ou d’une guerre des religions, mais c’est faire fausse route. La montée des extrêmes complémentaires (Islam et extrême droite) avec leur pendant violent (djihadistes et identitaires) n’est que la conséquence du vide de sens dans nos sociétés et notamment de l’échec désormais insurmontable de la classe politique. En bout de ligne, la meilleure lutte à l’extrêmisme violent s’avère être un “extrême modéré”, comme le sont les Frère musulmans qui finissent par prendre le pouvoir avec l’appui d’un front républicain étendu (gauche et droite en cours d’implosion). Moins spectaculaire, l’histoire aurait aussi bien pu suivre une voie similaire avec une victoire du Front National et une rechristianisation de la France.

De manière général, le personnage central suit, avec plus d’un siècle d’écart, la trajection de Joris-Karl Huysmans, son principal sujet d’étude, en se convertissant, pas au catholiscisme toutefois mais à l’islam. Sans réel épiphanie, plutôt d’un mariage de raison. En bout de ligne le terme soumission sonne plus dur qu’il n’est réellement pour le personnage: se trouvant du bon bord dans les changements imposés par ce nouveau régime, il accepte l’Islam avec une position sociale très enviable, incluant au niveau financier et la possibilité d’avoir 3 femmes de son choix, probablement jeunes, belles et vraiment soumises pour le coup. Bref, la possibilité d’une nouvelle vie, supérieure à toutes ses espérance jusque là. Tant pis pour ceux et surtout celles qui se retrouvent du mauvais coté.


Le lecteur régulier de Houellebecq ne peut qu’être saisi par la tournure des choses. En effet, en plus du personnage central, ses romans ont généralement une trajectoire assez commune où, malgré sa misanthropie et ses imprécations sur le thème du pourrissement humain, le personnage central apparait toujours comme pouvant ressentir du bonheur, à tout le moins profiter d’une progression de son état d’esprit, pour généralement finir dans une chute brutale. Ici à l’opposé on sent le personnage glisser inexorablement, perdant notamment la seule personne qu’il aimait, envisager le suicide, pour être finalement sauver par la religion, de la même manière que la religion sauve la France. Drole de trajectoire pour ce roman qui semble finalement faire l’apologie d’une inféodation désirée à une religion représentant tout sauf les principes fondateurs de la République. À moins que ce ne soit justement pour montrer la facilité avec laquelle on peut en venir à souhaiter cette soumission (quoique difficile à avaler étant donné les récurrentes litanies anti-humanistes…) Quoiqu’il en soit, le plus politique des romans de Houellebecq.


Nietzsche avait vu juste, avec son flair de vieille pétasse, le christianisme était au fond une religion féminine.

Michel Houellebecq, Soumission.
Changer

Au moment d’écrire ces lignes, je vis mes dernières minutes dans les bureaux de Nord Ouvert. Bientôt, je sortirai pour ne plus revenir. En tous cas pas en tant qu’employé. Fidèle à mes cycles, je suis resté en poste pendant 3 ans. 3 années riches d’apprentissage, de nouveauté et l’impression de participer à quelque chose qui se bâti.

Contrairement aux autres emplois que j’ai quitté précédemment, je n’étais pas rendu las. Je n’avais pas l’impression d’avoir fait le tour de la question. C’est pour cette raison que cela m’a pris beaucoup de temps, et beaucoup d’hésitation pour me décider. En bout de ligne, c’est la proposition, à savoir de rejoindre le Bureau de la ville intelligente et numérique de Montréal qui a fait penché la balance. La possibilité de faire évoluer les choses de manière plus concrète et directe. Car si nous faisons beaucoup de choses à Nord Ouvert, c’est souvent de manière périphérique aux gouvernements. Notre situation extérieure par rapport à l’appareil bureaucratique limite notre capacité de changement, notre capacité de comprendre ce qui se passe (à l’intérieur) et s’avère souvent plus frustrant qu’autre chose. Je l’ai appris à mes dépens dans mes derniers projets.

Je ne me fais pas non plus d’illusions débordantes. Je n’ai pas la prétention que moi, dans toute ma grandeur, je vais pouvoir révolutionner les choses. Je sais que cela prendra aussi un savant mélange de patience et de ténacité pour faire avancer des choses. J’ai la chance de ne pas partir totalement dans l’inconnu: ces dernières années m’ont permis de connaitre beaucoup de personnes à la ville. Des gens qui voudraient être des agents de changement et dont certains m’ont fait part d’un vent de renouveau à l’interne et l’espoir de voir les choses évoluer à un rythme plus rapide. Je souhaite pouvoir contribuer à cette accélération des choses. Je souhaite pouvoir faire entendre, même un peu, ma vision; une vision qui ne se contente pas d’ajouter des senseurs partout pour être plus efficace, mais qui cherche à s’allier la population, à répondre aux questions et à rendre la ville plus vivante.

Quitter la Bourse de Montréal pour rejoindre Nord Ouvert était un immense saut de le vide. Au moment de quitter, je m’imaginais un ou deux ans plus tard revenir au “bercail” la queue entre les jambes et un échec sur les épaules. (Note: la bourse de Montréal a un historique de gens qui quittent et qui finissent pas revenir). Grâce au support de James et plus récemment de Jean-Noé, ce fut une réussite. Pas la perfection; il y a bien des choses que j’aimerais refaire différemment, mais malgré tout la satisfaction d’avoir réalisé de belles choses et d’avoir contribué au développement d’une organisation importante et dont la réputation n’est plus à faire. J’ose croire que j’y ai joué un rôle.

Évidemment, cette hantise de quitter la Bourse réapparait comme par magie. Est-ce que je fais le bon choix? Est-ce que je vais me retrouver le bec dans l’eau dans 1 an? Est-ce que, simplement, je me fais trop d’espoir? Le temps le dira. En attendant, wish me luck comme on dit.

Considérations à propos de l'économie sociale et du 'communautaire'

Je flotte ces temps-ci dans une étrange atmosphère, sorte de miroir déformant dans lequel plusieurs personnes me renvoient, directement ou non, l’image que le travail que je fais tiens quasiment du bénévolat. Rien de personnel, pour ceux dont émane cette image, il appert que le “communautaire” est vaguement fait pour qui il ne serait pas possible d’acquérir meilleure position, que ceux acceptant de donner des contrats le font comme on donne l’aumône aux pauvres.

C’est un peu cette approche condescendante que l’on a aussi entendu récemment de la part du gouvernement qui dans une démarche présentée comme altruiste souhaitait transférer au “communautaire” certaines tâches que le réseau de la santé n’arrive pas à prendre en charge efficacement. Évidemment les organismes en question sont montés aux barricades tant il était évident que cela tenait plus de l’exploitation qu’autre chose. Mais trêve de politique.

Mettons les choses au clair: l’économie sociale (ce que nous faisons chez Nord Ouvert) est un autre modèle que la classique entreprise à capital pour avoir une organisation. Ça met en évidence que ceux qui participent à cette organisation ne veulent pas le faire pour dériver des profits à des actionnaires et entendent donc investir tout bénéfice dans la mission de l’organisation. Ça ne veut pas dire que ceux qui y travaillent le font bénévolement. Et même si pour moi comme mes collègues cela implique un salaire plus faible que ce qu’on pourrait faire ailleurs, je ne goute pas quand un quelqu’un laisse quasiment entendre que je devrais travailler au salaire minimum (j’exagère à peine).

À mes yeux le modèle d’économie sociale est une approche qui correspond aux organisations dont la mission et le rôle dans la société sont plus importants que toute autre considération. Le fait d’être une organisation sans but lucratif ne veut pas dire qu’on fait du moins bon travail, que ceux qui y travaillent sont moins compétents et que les contrats obtenus doivent l’être à rabais…


Parlant de compétence. Bien souvent, ceux qui partent avec des préjugés de ce genre sur les organismes sans but lucratif devraient plutôt se regarder l’espace d’un instance. Dans mon expérience pour le grand capital, j’ai eu le plaisir de constater combien certaines personnes sont payées des sommes faramineuses pour… rien. Je ne parle même pas des P.D.-G. aux salaires mirobolants. De l’analyste “de base” au V.P complet-cravache, j’en ai vu des personnes payées de 70 000$ à plus de 500 000$ dont la plus-value était proche de zéro… quand elle n’était pas négative (nuisance incluse).

L’expérience de devoir générer son propre salaire, et possiblement celui d’autres personnes, sur base d’un produit ou d’une idée fait réaliser à quel point on se pose finalement assez peu de question quand on est salarié. C’est là qu’on se rend compte que pour générer un salaire, mettons de 70 000$, il est normal d’attendre une sacrée production de valeur, dans notre cas autant d’une valeur économiquement justifiable que socialement utile.


Parce que cette beauté échappe aux marchés, au crédit, à la consommation dont on voudrait nous faire croire qu’elle constitue le but ultime de nos existences, parce qu’elle nous emmène loin de l’accumulation de richesse, tout en nous enrichissant autrement, elle est subversive, comme la poésie.

Véronique Côté, La vie habitable. Poésie en tant que combustible et désobéissances nécessaires
Écrire, sentir, dormir

Être en contrôle de sa vie.
Choisir (et donc renoncer).

Décider ce qu’on fait,
comment on parait,
ce qu’on ressent.

Pourtant, parfois la vague d’un événement nous emporte et j’accepte alors de lâcher un peu la barre, choquer les voiles et laisser filer. Cela permet de conserver une certaine lucidité et de supporter ceux qui en ont besoin.

Écrire est souvent la première manière de laisser filer. Dans cet état d’esprit, les idées s’enchainent et tournent en boucle si elle ne peuvent sortir. Toutes les idées, de la plus frivole à la plus profonde. Toutes doivent sortir. Une logorrhée fatigante mais moins que la contention.

Au milieu de ce qui peut sembler un déferlement cérébral, le retour au corps devient un refuge nécessaire. Donner au corps ce dont il est privé trop souvent, des sensations. Sentir le corps vivre, souffrir, monter, descendre. Infuser l’emballement mental par des signaux puissants du dehors.

Enfin dormir. Dormir comme une pierre. Ce n’est pas une action volontaire, c’est une conséquence. Un sommeil spontané, fréquent, limitant mais nécessaire. Laisser aux rêves le soin de travailler une partie du trop plein d’idées, de sentiments.

Tout ceci prend du temps et de l’énergie. Les autres tâches deviennent encombrantes et longues, viennent s’entrechoquer avec le cercle infini des idées qui veulent sortir. Les échanges mondains deviennent lourds, la communication autre qu’écrite est accablante.

Lorsque le vent fraichit et que la houle enfle, la cape voire la fuite sont les seules voies possibles jusqu’à ce que les conditions permettent de reprendre le cap.

Valcourt se sentait porté par un de ces manèges monstrueux qu’on trouve dans les grands parcs d’attractions et qui procurent presque simultanément la terreur et l’extase, la peur de mourir et la sensation de vivre intensément, sans trop savoir comment départager ces sentiments les uns des autres.

Gil Courtemanche, Un dimanche à la piscine à Kigali