La liberté dans les films pour enfants

Comme je l’ai déjà expliqué, j’aime à étudier la symbolique dans les films d’enfants. Certains d’entre eux jouent en boucle à la maison, et il faut bien dire que certains ne sont pas dénués d’intérêt.


Le gros hit du moment est Madagascar, film qui pourrait bien hériter du titre de descendant spirituel des fables de la Fontaine: Des animaux aux prises avec des problématiques bien humaines, notamment celle de la liberté et ses paradoxes.

D’un coté, le lion vivant béatement sa captivité de zoo, acheté qu’il l’est par l’adulation de son public et des steaks fournis en grands nombres. De l’autre coté, le zèbre, rêvant d’une liberté absolue qu’il obtiendra en aboutissant, par hasard sur l’île de Madagascar. Toutefois cette liberté se traduira par l’effondrement des constructions sociales vers la bestialité primitive amenant ainsi le zèbre à devenir la proie du lion.

On y retrouve des analogies très modernes, entre ceux qui acceptent leur cage dorée contre un peu de vin et de jeux et les libertaires qui refusent de comprendre que leur vision appliquée à la lettre ne serait qu’une régression de la société. Le tout pourrait évidemment largement être appuyé par les écrits de philosophes divers et variés ayant traités de la liberté.

La morale de cette fable est un peu facile: les animaux décident de retourner dans la société (New York) tout en laissant entendre qu’ils ne délaisseront plus leur liberté pour autant en s’autorisant de passer par Paris, l’Espagne ou la Chine.


Autre film en vogue, mais moins, Les Indestructibles. Les super-héros Bob et Hélène voient leur caractère exceptionnel (et salvateur) rejeté par la société, les obligeants à rentrer dans le rang. Bob subit dès lors une vie morose de père de famille, ayant visiblement perdu tout goût à la vie, employé dans une companie d’assurance utilisant tous les moyens pour escroquer ses clients. Il décide finalement de reprendre sa liberté, acte symbolisée par la scène où il est pulvérise de son supérieur, un avorton hargneux, escroqueur en chef des petites vieilles dans le besoin et tortionnaire d’employés.

Bob retrouve alors sa joie de vivre et sa liberté d’être lui-même, un homme extraordinaire qui sauvera Metrocity des mains d’un vilain sadique et manipulateur.

La morale est commune à celle de plusieurs films de super-héros, souvent incompris voire ridiculisés. Dans celui-ci, il y a toutefois un acte très clair de reprendre sa liberté face à un emploi débilitant et à la société en générale qui lui refuse le droit à son extraordinaire différence (chose que nous sommes tous, quelque part).


Je me demande toujours quelle part de cette symbolique fait son chemin dans l’esprit d’un enfant. Clairement, lorsque j’étais petit, je regardais juste les super-pouvoirs. Plus ça volait dans tous les sens, plus ça explosait, mieux c’était. Quelque part, j’étais tout de même conscient que Clark Kent et Peter Parker subissaient le ridicule et l’oppression de leur différence malgré leur supériorité. Alors quelle part des valeurs véhiculées peuvent faire leur chemin de manière plus ou moins consciente? Doit-on s’étonner d’avoir des générations demandant de manière croissante liberté et autonomie… mais confondant souvent liberté et prison dorée.


Ainsi, le plus éveillé d’entre eux n’aurait pas quitté son écuelle de soupe pour recouvrer la liberté de la République de Platon.

Discours de la servitude volontaire, Étienne de la Boétie
Survivre à la fin du monde

L’aveu récent de David Suzuki sur l’échec de l’environnementalisme me fait penser à un autre billet du même genre de Dave Pollard: Giving Up on Environmentalism. Et c’est un constat qu’il convient effectivement de faire en tant que société: notre incapacité à faire face aux enjeux environnementaux planétaires et le danger que cela nous fait courir.

Tandis que Suzuki laisse entendre qu’il faut continuer le combat, Pollard l’entend différemment: l’échec est irrémédiable et autant se préparer dès maintenant à en vivre les conséquences. Si le blogue de Pollard est titré How to save the world, pour des raisons historiques, How to survive the end of the world lui irait mieux, maintenant.

S’il a été possible aux groupes environnementaux de faire pression sur des gouvernements spécifiques pour faire face à des problèmes “locaux”, comme les pluies acides, il est beaucoup plus difficile de faire pression sur des groupes de pays. Le principal exemple positif en la matière concerne la couche d’ozone et les CFC. Dans ce cas précis, la porte de sortie résidait dans une technologie de remplacement pas si couteuse; et encore, ce n’est qu’une demie-victoire car le trou ne semble pas vouloir se résorber.

Dans le cas des autres problèmes globaux auxquels nous faisons face, comme les changements climatiques ou la manière dont nous ruinons nos océans, la mise en oeuvre de solutions serait très couteuse… et la surveillance à peu près impossible. Comment empêcher réellement la production de gaz à effet de serre, moteur même du développement économique “pas cher”, alors que le trois quart des pays de la planète n’arrivent même pas à endiguer de manière significative une corruption galopante


En 2006, alors que Kyoto semblait relativement bien en selle, j’avais lu un article scientifique utilisant la théorie des jeux pour démontrer qu’il était impossible d’espérer que la majorité des pollueurs adhèrent à un protocole de réduction des gaz à effet de serre: pour toutes sortes de raisons, il semblait inévitable pour les auteurs qu’un groupe de pays choisisse de passer outre pour gagner ou conserver avantage compétitif (réel ou perçu), menant ainsi à l’effondrement toute stratégie de réduction massive des gaz à effet de serre. À cette époque, il semblait encore vraisemblable de voir Kyoto être généralisé. Malheureusement, l’immense pas en arrière que nous avons fait depuis 2008, fin de la période Kyoto, montre combien ces auteurs avaient raison.

Les probabilités sont assez élevée que nous allons voir dans les décennies à venir si ceux qui prévoient l’apocalypse des changements climatiques ont raison.


Je me baignais longtemps, sous le soleil comme sous la lumière des étoiles, et je ne ressentais rien d’autre qu’une légère sensation obscure et nutritive. Le bonheur n’était pas un horizon possible. Le monde avait trahi. Mon corps m’appartenait pour un bref laps de temps ; je n’atteindrais jamais l’objectif assigné. Le futur était vide ; il était la montagne. Mes rêves étaient peuplés de présence émotives. J’étais, je n’étais plus. La vie était réelle.

La possibilité d'une île, Michel Houellebecq

Je viens de m’apercevoir que cette année correspond au tricentenaire de la naissance de Denis Diderot –ce qui explique surement la sortie en film de La Religieuse (qui n’est pas encore sorti au Québec).

Lors de mon année de terminale, c’était le quadricentenaire de naissance de Descartes et j’avais pris grand plaisir à lire le Discours de la méthode et La dioptrique. Mais c’est l’année d’avant que la philosophie était entrée dans ma vie grâce à un génial prof de français qui eu la bonne idée de mettre sur nos routes Jacques le fataliste et son maître.

Depuis, j’ai lu ce roman picaresco-philosophique au moins 4 fois et l’incipit surement une dizaine de fois.

Si vous lisez ces quelques lignes, je vous invite à lire Diderot. Au moins Jacques le fataliste (et la Lettre sur les aveugles). Derrière des propos drolatiques et farfelus, Diderot s’attaque à des concepts philosophiques centraux comme la morale et la liberté. Loin de s’enfermer dans une vision obtuse et binaire (on nait libre, etc.), Diderot s’oppose autant aux dirigeant de son époque (ce qui lui vaudra la prison) qu’aux proto-révolutionnaires en plaçant la liberté dans le prolongement de ce qui nous construit. Contrairement à Jacques, Diderot ne pense pas que tout est écrit, mais n’achète pas non plus l’idée d’une liberté illimitée.

Lisez Diderot (et son histoire), lisez de La Boétie et vivez libres! –ou essayez.


Comment s’étaient-ils rencontrés? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils? Que vous importe? D’où venaient-ils? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils? Est-ce que l’on sait où l’on va? Que disaient-ils? Le maître ne disait rien; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.

Jacques le fataliste et son maître, Denis Diderot

3 saisons

Montréal, 2011

La saison de jardinage s’est évanouie il y a un mois de ça. La terre est désormais froide et sans vie. Alors que je fermais le jardin, une interrogation m’a frappé: pourquoi jardiner?

Tandis que j’arrachais du sol des plants de tomates brunis, la réponse est venue d’elle-même: pour voir de mes yeux et sentir de mes mains la brièveté du vivant. Revivre chaque année le cycle. Naître, croître, décrépir. Naître, croître, décrépir. Comme pour ne pas être étranger à l’approche de la frontière ultime.


Les arbres sont beaux en automne
Mais l’enfant qu’est-il devenu
Je me regarde et je m’étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus

J'arrive où je suis étranger, Louis Aragon
Histoires de données: les accidents de la route

Attendu par certains (dont moi), la Table québécoise de la sécurité routière a publié son troisième rapport de recommandations assorti de 23 recommandations. Les-dites recommandations ne placent vraiment pas la barre très haute, mais là n’est pas mon point.

Regardons la recommandation 8:

Rappeler aux gestionnaires de réseaux la nécessité d’assurer une veille de la performance des intersections, notamment sur le plan des statistiques relatives aux accidents ou aux situations particulières qui surviennent et qui concernent plus spécialement le virage à droite au feu rouge.

Troisième rapport de recommandations, Table québécoise de la sécurité routière

On apprend par ailleurs que les données proviennent de la SAAQ, compilées par le MTQ. Ça tombe bien, ce sont les mêmes données que celles que nous avons utilisé pour la carte d’accidents de The Gazette. Autant dire ce qui est, la qualité de ces données est plus que discutable. Dans notre cas, 30% des données étaient inutilisables (cas typique: la localisation de l’accident contenait seulement une rue, sans intersection ni numéro de rue) et le reste nécessitait une masse de travail conséquente. Un expert en transport de la Ville de Montréal m’a confirmé qu’ils utilisaient ce même jeu de données pour évaluer les intersections qui devaient être améliorées et qu’ils devaient eux aussi passer un temps considérable à normaliser les données.

Il n’en demeure pas moins que, depuis l’entrée en vigueur du [virage à droite sur feu rouge], 6 décès, 34 blessés graves et 864 blessés légers ont été associés à cette manœuvre. Quant aux 6 personnes décédées, elles étaient toutes âgées de 65 ans et plus.

Ibid

Possiblement que le MTQ a eu accès à des données plus riches que ce que nous avions obtenu via une demande d’accès à l’information. Il n’en reste pas moins que je me permets de douter de l’exactitude d’un tel décompte.


Quand on parle de données représentant des faits, il est primordiale de comprendre comment ces données sont “créées”. En l’occurrence, les données de la SAAQ proviennent des rapports de police. Or, plusieurs cyclistes ont récemment souligné que lors d’accidents impliquant des cyclistes, aucun constant d’accident n’avait été fait. C’est notamment le cas pour les accidents de “dooring” où la police insiste pour dire que ce n’est pas un accident de la route. En l’absence de constat d’accident… l’accident n’existe pas.

Un de mes projets de rêve serait d’étudier combien d’organisations différentes se retrouvent à retravailler cette même information et ce que cela représente en temps perdu et en différences dans le résultat final. Le summum serait de remonter certaines informations jusqu’à leur source, le constat d’accident (ou son absence). Cela permettrait surement de confirmer que les données utilisées pour étayer un tel rapport sont douteuses.

En tout état de cause, il s’agit de données qui devraient être rendues publiques selon une politique de données ouvertes, pour permettre aux organisations et personnes impliquées dans ces questions de faire leur propre analyse.


In 1720, traffic fatalities from “furiously driven” carts and coaches were named the leading cause of death in London (eclipsing fire and “immoderate quaffing”)

Traffic - Why we drive the way we do (and what is says about us), Tom Vanderbilt