Survivre à la fin du monde

L’aveu récent de David Suzuki sur l’échec de l’environnementalisme me fait penser à un autre billet du même genre de Dave Pollard: Giving Up on Environmentalism. Et c’est un constat qu’il convient effectivement de faire en tant que société: notre incapacité à faire face aux enjeux environnementaux planétaires et le danger que cela nous fait courir.

Tandis que Suzuki laisse entendre qu’il faut continuer le combat, Pollard l’entend différemment: l’échec est irrémédiable et autant se préparer dès maintenant à en vivre les conséquences. Si le blogue de Pollard est titré How to save the world, pour des raisons historiques, How to survive the end of the world lui irait mieux, maintenant.

S’il a été possible aux groupes environnementaux de faire pression sur des gouvernements spécifiques pour faire face à des problèmes “locaux”, comme les pluies acides, il est beaucoup plus difficile de faire pression sur des groupes de pays. Le principal exemple positif en la matière concerne la couche d’ozone et les CFC. Dans ce cas précis, la porte de sortie résidait dans une technologie de remplacement pas si couteuse; et encore, ce n’est qu’une demie-victoire car le trou ne semble pas vouloir se résorber.

Dans le cas des autres problèmes globaux auxquels nous faisons face, comme les changements climatiques ou la manière dont nous ruinons nos océans, la mise en oeuvre de solutions serait très couteuse… et la surveillance à peu près impossible. Comment empêcher réellement la production de gaz à effet de serre, moteur même du développement économique “pas cher”, alors que le trois quart des pays de la planète n’arrivent même pas à endiguer de manière significative une corruption galopante


En 2006, alors que Kyoto semblait relativement bien en selle, j’avais lu un article scientifique utilisant la théorie des jeux pour démontrer qu’il était impossible d’espérer que la majorité des pollueurs adhèrent à un protocole de réduction des gaz à effet de serre: pour toutes sortes de raisons, il semblait inévitable pour les auteurs qu’un groupe de pays choisisse de passer outre pour gagner ou conserver avantage compétitif (réel ou perçu), menant ainsi à l’effondrement toute stratégie de réduction massive des gaz à effet de serre. À cette époque, il semblait encore vraisemblable de voir Kyoto être généralisé. Malheureusement, l’immense pas en arrière que nous avons fait depuis 2008, fin de la période Kyoto, montre combien ces auteurs avaient raison.

Les probabilités sont assez élevée que nous allons voir dans les décennies à venir si ceux qui prévoient l’apocalypse des changements climatiques ont raison.


Je me baignais longtemps, sous le soleil comme sous la lumière des étoiles, et je ne ressentais rien d’autre qu’une légère sensation obscure et nutritive. Le bonheur n’était pas un horizon possible. Le monde avait trahi. Mon corps m’appartenait pour un bref laps de temps ; je n’atteindrais jamais l’objectif assigné. Le futur était vide ; il était la montagne. Mes rêves étaient peuplés de présence émotives. J’étais, je n’étais plus. La vie était réelle.

La possibilité d'une île, Michel Houellebecq

Je viens de m’apercevoir que cette année correspond au tricentenaire de la naissance de Denis Diderot –ce qui explique surement la sortie en film de La Religieuse (qui n’est pas encore sorti au Québec).

Lors de mon année de terminale, c’était le quadricentenaire de naissance de Descartes et j’avais pris grand plaisir à lire le Discours de la méthode et La dioptrique. Mais c’est l’année d’avant que la philosophie était entrée dans ma vie grâce à un génial prof de français qui eu la bonne idée de mettre sur nos routes Jacques le fataliste et son maître.

Depuis, j’ai lu ce roman picaresco-philosophique au moins 4 fois et l’incipit surement une dizaine de fois.

Si vous lisez ces quelques lignes, je vous invite à lire Diderot. Au moins Jacques le fataliste (et la Lettre sur les aveugles). Derrière des propos drolatiques et farfelus, Diderot s’attaque à des concepts philosophiques centraux comme la morale et la liberté. Loin de s’enfermer dans une vision obtuse et binaire (on nait libre, etc.), Diderot s’oppose autant aux dirigeant de son époque (ce qui lui vaudra la prison) qu’aux proto-révolutionnaires en plaçant la liberté dans le prolongement de ce qui nous construit. Contrairement à Jacques, Diderot ne pense pas que tout est écrit, mais n’achète pas non plus l’idée d’une liberté illimitée.

Lisez Diderot (et son histoire), lisez de La Boétie et vivez libres! –ou essayez.


Comment s’étaient-ils rencontrés? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils? Que vous importe? D’où venaient-ils? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils? Est-ce que l’on sait où l’on va? Que disaient-ils? Le maître ne disait rien; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.

Jacques le fataliste et son maître, Denis Diderot

3 saisons

Montréal, 2011

La saison de jardinage s’est évanouie il y a un mois de ça. La terre est désormais froide et sans vie. Alors que je fermais le jardin, une interrogation m’a frappé: pourquoi jardiner?

Tandis que j’arrachais du sol des plants de tomates brunis, la réponse est venue d’elle-même: pour voir de mes yeux et sentir de mes mains la brièveté du vivant. Revivre chaque année le cycle. Naître, croître, décrépir. Naître, croître, décrépir. Comme pour ne pas être étranger à l’approche de la frontière ultime.


Les arbres sont beaux en automne
Mais l’enfant qu’est-il devenu
Je me regarde et je m’étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus

J'arrive où je suis étranger, Louis Aragon
Histoires de données: les accidents de la route

Attendu par certains (dont moi), la Table québécoise de la sécurité routière a publié son troisième rapport de recommandations assorti de 23 recommandations. Les-dites recommandations ne placent vraiment pas la barre très haute, mais là n’est pas mon point.

Regardons la recommandation 8:

Rappeler aux gestionnaires de réseaux la nécessité d’assurer une veille de la performance des intersections, notamment sur le plan des statistiques relatives aux accidents ou aux situations particulières qui surviennent et qui concernent plus spécialement le virage à droite au feu rouge.

Troisième rapport de recommandations, Table québécoise de la sécurité routière

On apprend par ailleurs que les données proviennent de la SAAQ, compilées par le MTQ. Ça tombe bien, ce sont les mêmes données que celles que nous avons utilisé pour la carte d’accidents de The Gazette. Autant dire ce qui est, la qualité de ces données est plus que discutable. Dans notre cas, 30% des données étaient inutilisables (cas typique: la localisation de l’accident contenait seulement une rue, sans intersection ni numéro de rue) et le reste nécessitait une masse de travail conséquente. Un expert en transport de la Ville de Montréal m’a confirmé qu’ils utilisaient ce même jeu de données pour évaluer les intersections qui devaient être améliorées et qu’ils devaient eux aussi passer un temps considérable à normaliser les données.

Il n’en demeure pas moins que, depuis l’entrée en vigueur du [virage à droite sur feu rouge], 6 décès, 34 blessés graves et 864 blessés légers ont été associés à cette manœuvre. Quant aux 6 personnes décédées, elles étaient toutes âgées de 65 ans et plus.

Ibid

Possiblement que le MTQ a eu accès à des données plus riches que ce que nous avions obtenu via une demande d’accès à l’information. Il n’en reste pas moins que je me permets de douter de l’exactitude d’un tel décompte.


Quand on parle de données représentant des faits, il est primordiale de comprendre comment ces données sont “créées”. En l’occurrence, les données de la SAAQ proviennent des rapports de police. Or, plusieurs cyclistes ont récemment souligné que lors d’accidents impliquant des cyclistes, aucun constant d’accident n’avait été fait. C’est notamment le cas pour les accidents de “dooring” où la police insiste pour dire que ce n’est pas un accident de la route. En l’absence de constat d’accident… l’accident n’existe pas.

Un de mes projets de rêve serait d’étudier combien d’organisations différentes se retrouvent à retravailler cette même information et ce que cela représente en temps perdu et en différences dans le résultat final. Le summum serait de remonter certaines informations jusqu’à leur source, le constat d’accident (ou son absence). Cela permettrait surement de confirmer que les données utilisées pour étayer un tel rapport sont douteuses.

En tout état de cause, il s’agit de données qui devraient être rendues publiques selon une politique de données ouvertes, pour permettre aux organisations et personnes impliquées dans ces questions de faire leur propre analyse.


In 1720, traffic fatalities from “furiously driven” carts and coaches were named the leading cause of death in London (eclipsing fire and “immoderate quaffing”)

Traffic - Why we drive the way we do (and what is says about us), Tom Vanderbilt

Terres inconnues

Terres inconnues, États-Unis d'Amérique, 26 mars 2013

L’actuel débat sur la charte des valeurs (de la laïcité?) démontre surtout qu’il y a un immense malentendu au Québec au sujet de l’immigration. À défaut de prendre position sur la charte, je souhaite partager mon expérience et ma vision sur l’immigration dans la Belle Province.

Une entreprise de séduction

J’ai entamé mes démarches d’immigration en 2000 pour arriver ici en 2002. À l’époque, le gouvernement du Québec (péquiste, notons-le) vendait littéralement le Québec aux futurs immigrants: une sorte d’Eldorado francophone, symbole d’ouverture, où les gens sont accueillants et la vie agréable, sécuritaire et peu coûteuse. C’était, dans l’ensemble, le message. En échange, la seule demande du Québec était de faire un effort pour parler français. Pour le reste, tout le monde était bienvenu, en l’état.

Personne ne pipait mot de la question du vote éthnique qui n’était pourtant pas si loin derrière. Personne non plus pour dire que les immigrants ont un taux de chômage significativement pour élevé que les québécois, preuve d’une certaine difficulté de la société d’accueil à recevoir les nouveaux venus.

D’ailleurs quelques temps après mon arrivée, les délégations du Québec ont été plus ou moins accusées de publicité mensongère à l’égard des futurs immigrants tant le message vendu était loin de la réalité. D’après ce que j’entends, le pitch de vente a été quelque peu revu, mais demeure un pitch de vente. Avez-vous déjà entendu en vendeur de voitures dire que ses berlines tombent en panne au bout de 2 ans?

Ainsi, bon an mal an, le Québec reçoit entre 40 000 et 55 000 immigrants annuellement dont une bonne partie pense de bonne foi s’installer dans un milieu multiculturel et ouvert. C’est le message qui a été vendu.

L’immigration, vue de l’immigrant

Pour la majorité des personnes concernées l’immigration résulte d’un choix difficile. Oublions ceux que j’appelle les expat’ professionnels, les touristes longue durée, qui à l’image de beaucoup de Français viennent s’installer pour quelques années, pour le trip, en sachant qu’ils vont repartir. Regardons plutôt ceux qui visent s’installer pour une durée indéterminée. Souvent c’est pour éviter des problèmes dans leur pays, pour donner un meilleur cadre de vie à leur enfant ou, comme moi, c’est le choix de savoir qui des deux, dans un couple, ira vivre chez l’autre.

Dans la majortié des cas, ce n’est pas fait de gaité de coeur. On laisse derrière nous de la famille. On se retrouve à renier intérieurement ce qui nous a construit jusque là avec ce que ça contient de mauvais mais aussi de bon. Quasiment en chaque immigrant se trouve une déchirure.

Je vais me prendre en exemple non représentatif: selon tous les critères objectifs, je représente le “bon immigrant”: francophone, une femme québécoise, une bonne proportion d’amis québécois, un travail, etc. Je ne retourne qu’assez peu “au pays”, et ayant assez peu de famille ou d’amis en France, je n’ai finalement qu’assez peu d’attaches outre-atlantique. Pourtant, comme je l’écrivais récemment je ne me sens ni québécois, ni français, ou les deux en même temps. Une ambiguité irrésolue, une appartenance floue.

Après 11 ans d’immigration, ma réflexion sur le sujet est que l’intégration au sens pur du terme -devenir Québécois, est une chimère. Seul des non-immigrants peuvent sérieusement s’attendre à ce que des immigrants s’intègrent, adoptent des valeurs communes, un mode de pensée et d’agissement complètement similaire à la société d’accueil. C’est regarder les nouveaux venus non comme des humains mais comme des robots qui pourraient se reprogrammer à loisir. Il n’en est évidemment rien.

Le malentendu

Le grand malentendu dont je parlais se résume donc ainsi: des dizaines de milliers de nouveaux immigrants foulent chaque année le sol québécois pour la première fois. Non seulement se sont-ils fait dire que c’était un exemple d’ouverture sur le monde mais dans les faits il leur serait impossible d’être différent de ce qu’ils sont au fond d’eux. Ces personnes, au fil d’un processus d’hybridation long et complexe, d’une reconnaissance loin d’être évidente, de remises en cause profondes et difficiles, ces gens finissent par en arriver à un certain degré d’adaptation à leur nouvelle société. Et en plein dans ce processus, ils se font dire par une charte, par un scandale d’accomodements raisonnables, que ce n’est pas encore assez, qu’ils doivent se reprogrammer complètement et rejeter en bloc tout ce qui les a bâti? D’abord c’est éthiquement inacceptable, c’est réifier les immigrants pour n’en fait qu’un tas de légo que la société d’accueil pourrait faire et défaire à volonté, reniant tout ce qui a été dit par le passé. Ensuite, ça marche simplement pas. Ce n’est pas possible. C’est la voie vers la frustration, la rancoeur, le rejet.

Si la moitié de l’actuelle population québécoise, c’est-à-dire une grande majorité des Québécois francophones, trouve qu’il y a un problème “d’intégration” des immigrants, ce n’est pas une charte qui va régler le problème. Et faut regarder le problème à sa source: les politiques d’immigration et ainsi dissiper ce malentendu qui dure depuis trop longtemps.


Sourire à chacun et se méfier de tous, n’avoir ni ennemi ouvert ni ami assuré, montrer toujours un visage riant quand le coeur est transi; ne pas pouvoir être joyeux, ni oser être triste!

Discours de la servitude volontaire, Étienne de la Boétie